Sur le prétendu « nouveau chemin » de l’exécutif, l’impératif d’accroissement productif fait toujours partie des passages obligés. Le président de la République et son premier ministre l’ont récemment martelé : pas question d’abandonner le fétiche de la croissance. C’est d’ailleurs sous le registre de la « croyance » qu’ils ont chacun exprimé leur adhésion à une « écologie du mieux » et à la « croissance écologique », en les opposant à une « écologie du moins » et à la « décroissance verte ».
À l’appui de cette rhétorique binaire, le pouvoir en place ne manque pas de pointer le cortège de drames sociaux suscités par la récession économique que nous traversons. Là où le mouvement pour la justice climatique s’efforce d’associer les combats pour la fin du mois et contre la fin du monde, le gouvernement affirme qu’un excès de zèle écolo pourrait les faire entrer en collision.
Ce positionnement n’est pas surprenant. Depuis ses premiers pas en politique, Emmanuel Macron a toujours défendu une stratégie de réformes visant à améliorer le rang de la France dans la compétition économique globale. Quant à Jean Castex, son « gaullisme social » évoque plus les grandes heures des énergies fossiles et de l’étalement urbain que l’ère de la sobriété et de la décélération.
C’est aussi le reflet d’une profonde ignorance, couplée à de l’opportunisme politique, comme le souligne l’économiste Éloi Laurent, auteur de Sortir de la croissance (Les Liens qui libèrent, 2019). Il relève que personne n’utilise les termes de « croissance écologique » et de « décroissance verte ». « Le choix de ces mots relève d’une stratégie politique qui veut associer le terme de “décroissance” aux écologistes et sous-entendre que ce que ces derniers promettent, c’est une forme de confinement perpétuel », ajoute-t-il. Pour contrer la poussée des écologistes dans certaines élections municipales, il faut donc agiter le chiffon rouge de la décroissance.
Pour autant, leur discours pose problème pour trois raisons. D’une part, il travestit les véritables thèses des promoteurs contemporains de la décroissance, ce « mot-obus » propulsé dans le débat public vers le début des années 2000 pour – déjà – éviter une récupération trop facile de la critique écologiste. D’autre part, il contribue à nourrir des illusions sur la possibilité d’une croissance vertueuse dans un mode de production inchangé. À la malhonnêteté intellectuelle s’ajoute donc la tromperie des citoyens de bonne foi, alors même que des seuils toujours plus préoccupants sont en train d’être franchis sur le front climatique. Enfin, une telle dégradation du débat public empêche la discussion d’avancer sur les façons de satisfaire les besoins sociaux tout en préservant une planète dignement habitable.
La décroissance n’est pas la récession
En premier lieu, donc, Macron et Castex dressent une fausse égalité entre décroissance et récession. L’équivalence est pourtant rejetée explicitement par les décroissants eux-mêmes, qui conviennent volontiers qu’une chute du PIB dans le système actuel ne peut que dégrader le niveau d’emploi et des revenus de la majorité sociale. C’est pourquoi « l’enjeu n’est pas de faire la même chose en moins, mais bien de faire différemment en mieux », soulignent les animateurs de Projet décroissance (voir leur blog Mediapart). Autrement dit, la décroissance n’a de sens qu’au sein de rapports sociaux différents de ceux qui prévalent aujourd’hui.
Leur cause ne peut donc pas se réduire à une diminution indiscriminée de l’activité économique mesurée par le PIB. Elle consiste plutôt en un changement d’imaginaire social, se traduisant par une déprise collective de l’univers de la marchandise. Dans cette organisation alternative de la société, le bien-être ne dépendrait pas autant qu’aujourd’hui de l’accumulation de ressources monétaires et patrimoniales. Même si le vocabulaire marxiste n’est pas celui des décroissants, il s’agirait d’assurer le primat de la valeur d’usage (comment une production répond à des besoins sociaux identifiés) sur la valeur d’échange (la quantité d’argent associée à une production).
La fin de la croissance du PIB comme objectif en soi, comme priorité, peut réunir bien au-delà des rangs des décroissants. Certes, les rapports de ces derniers avec le reste de la gauche et de l’écologie politique sont compliqués. Au sein de leur nébuleuse traversée de débats, on peut en effet trouver des références et une lecture de la société conservatrices, au point que certains militants se sont désolidarisés d’analyses ou de groupes jugés réactionnaires. D’un autre côté, les gauches altermondialiste et radicale restent attachées à des mots (« développement ») et des stratégies (le réformisme d’État) qui hérissent de nombreux décroissants. Ces enjeux sont bien décrits dans un petit livre de Stéphane Lavignotte paru en 2009, La Décroissance est-elle souhaitable ? (Textuel, 2009).
Pour autant, l’« objection de croissance » pourrait être largement partagée lorsqu’elle dénonce cette dernière comme le fétiche dont la poursuite aboutit à l’alourdissement continu – et à terme invivable – de notre empreinte énergétique. Si l’exécutif avait fustigé la décroissance en promouvant des indicateurs alternatifs de richesse, de bien-être et de qualité d’environnement, la critique aurait pu s’entendre.
« Sortir de la croissance », Les liens qui libèrent, 2019. © DR
Plutôt que par un indicateur fruste mêlant des réalités hétérogènes exprimées en monnaie, l’action publique pourrait être guidée par un tableau de bord mesurant notre exploitation de l’écosystème, les inégalités dans la société et la satisfaction des besoins sociaux essentiels. Les services de l’État ont beau produire un rapport annuel sur une dizaine d’indicateurs alternatifs, ceux-ci ne sont quasiment jamais mobilisés dans le discours gouvernemental. Le PIB, le déficit et la dette en restent les indéboulonnables idoles chiffrées.
Et c’est bien ici le problème : ce que refusent profondément Castex et Macron, c’est de modifier les priorités, de placer les besoins des individus et des communautés avant la simple génération de profits mesurée par le PIB. « La priorité des priorités, c’est de lutter contre la crise et le chômage, et le retour à une croissance économique qui sera riche en emplois durables », a encore martelé Jean Castex ce 17 juillet. La « décroissance » ou « l’a-croissance » est précisément le renversement des priorités : le bien-être humain dans les limites de ses capacités est placé avant le fétichisme de la marchandise. Dès lors, « la priorité des priorités » n’est plus la croissance, mais les moyens permettant aux individus de vivre dignement et en sécurité.
Un tel changement de paradigme suppose évidemment de modifier les rapports de production et l’organisation sociale. En 1976, le marxiste Paul Mattick, qui voyait dans les modèles socialistes une forme de capitalisme d’État, résumait, dans un texte appelé Capitalisme et écologie la crise écologique de cette façon : « La destruction progressive de l’environnement n’est pas tant le résultat des forces productives croissantes que du développement de ces forces dans le contexte capitaliste. Si la production capitaliste était réellement ce qu’elle prétend être, une production qui satisfait les besoins humains, ce développement aurait eu un caractère très différent, avec des technologies différentes et des conséquences écologiques différentes. »
Cette vision est assez proche finalement des positions de certains chercheurs décroissants d’aujourd’hui comme la Finlandaise Tiina Heikkinen, qui définit la décroissance comme un « système de production plus coopératif » dans lequel on engage « une transition délibérée vers une production moindre et plus propre ». On est loin de la récession ou du « confinement perpétuel ». Il s’agit plutôt d’une production soumise à une contrainte nouvelle. Certes, ce système conduit à des choix, mais le capitalisme aussi. Simplement, ces choix ne sont pas dictés par la seule capacité des dépenses des individus, mais par un intérêt commun.
« La réflexion doit porter sur le rapport entre la conquête de la liberté et l’abondance, et maintenir une société moderne et ouverte avec un nouveau mode de production », rappelle Pierre Charbonnier, philosophe et auteur d’Abondance et liberté (La Découverte, 2019). C’est une autre vision de la liberté, certainement, mais ce n’est pas une forme de féodalisme hippie comme l’exécutif semble le prétendre. Et c’est bien cela que, par leurs caricatures, Jean Castex et Emmanuel Macron veulent à tout prix éviter : l’utilisation des forces productives pour la satisfaction humaine, au lieu de leur utilisation pour la génération de profits.
En continuant d’invoquer la croissance, fût-elle qualifiée d’écologique, le pouvoir laisse surtout entendre qu’il serait possible de « corriger » le fonctionnement actuel de l’économie, plutôt que de lui substituer une autre logique. Pour des élites sans cesse attachées à « faire la pédagogie » de leurs réformes, c’est contribuer à alimenter des illusions. Bien sûr, celles-ci servent les intérêts de tous ceux qui sont les gagnants du statu quo. Mais elles imprègnent la société bien au-delà, l’encourageant dans l’aveuglement et le déni de la catastrophe en cours. S’il y a de la démagogie, c’est du côté du gouvernement qu’il faut la chercher.
La croissance pour elle-même est un piège mortifère
Car les fait sont têtus : en dépit des accords internationaux sur le climat, et des innovations technologiques ayant permis de diminuer l’intensité énergétique de chaque point de PIB, les émission de gaz à effet de serre ont continué d’augmenter en valeur absolue, et de s’accumuler pour longtemps dans l’atmosphère.
Le rêve de la « croissance verte », c’est celui de ce qu’on appelle le « découplage » entre la croissance du PIB et les émissions de CO2. Ce découplage est très lent et erratique, il faut en moyenne depuis dix ans dans le monde 1 % de CO2 de moins pour produire un dollar de PIB supplémentaire, mais pour stopper le réchauffement climatique, il faudrait abaisser « l’intensité carbone » de la croissance de 7 %. Mais plus on voudra de croissance, plus il faudra réduire cette intensité.
Comme le résume Pierre Charbonnier, il n’est pas sûr que l’on sache faire plus de croissance sans appuyer plus fortement sur les ressources. « Aujourd’hui, les énergies renouvelables s’ajoutent aux fossiles plus qu’elles ne les remplacent », ajoute-t-il. Les travaux de l’économiste Gaël Giraud ont montré que la croissance du PIB et la consommation énergétique sont étroitement liées, on peut donc jouer à la marge sur l’intensité de la croissance mais on est loin d’une quelconque « croissance verte ». Sans compter qu’il faut ici aussi évoquer également l’extraction de ressources dont les énergies dites « propres » ont parfois besoin, et donc du respect des écosystèmes.
Se fier à la seule technologie et aux seules incitations fiscales pour réaliser cette prouesse ne tient pas la route. D’abord, c’est sous-estimer les coûts d’extraction et la disponibilité des ressources nécessaires pour les innovations permettant de moins consommer et d’éviter les énergies fossiles. Ensuite, c’est ne pas prendre au sérieux la rapidité avec laquelle non seulement les comportements individuels, mais nos gigantesques infrastructures énergétiques et productives doivent se reconfigurer. Enfin, c’est négliger le phénomène bien connu selon lequel un gain d’efficacité énergétique peut encourager une consommation au point d’augmenter les besoins finaux d’énergie. On peut prendre le problème par tous les bouts, il y aura bien des pans entiers de biens et services à faire décroître et une logique d’accroissement à freiner en urgence. Et l’on en revient alors à la question essentielle des priorités.
Daniel Tanuro, « Trop tard pour être pessimiste », Textuel, 2020.
Dans un livre publié cette année aux éditions Textuel, l’ingénieur agronome Daniel Tanuro en tire la conclusion qu’« il ne suffit pas de réguler, planifier et d’innover, il faut renoncer à “la relance”, rompre avec l’accumulation, produire et transporter moins, partager plus […]. Des choix rigoureux et difficiles doivent être faits, qui nécessitent impérativement une planification démocratique et une redistribution drastique des richesses ». Surtout, développe-t-il plus loin, le « PIB par tête » doit fortement diminuer pour être écologiquement soutenable.
Une étude vient de pointer la forte probabilité que le changement climatique soit responsable des températures inédites enregistrées cette année en Sibérie (le 20 juin, 38 °C ont été mesurés dans la zone arctique !). Dans la décennie à venir, la concentration atmosphérique des particules de CO2 pourrait même dépasser des niveaux jamais atteints depuis 15 millions d’années, c’est-à-dire avant l’apparition des lignées pré-humaines dont nous sommes les lointains successeurs, sur une Terre avec des niveaux de température et de montée des eaux jamais expérimentés par notre espèce.
La diminution inédite des émissions de carbone due au « grand confinement », dont on mesure bien le caractère extraordinaire, équivaut à peine à ce qu’il nous faudrait accomplir chaque année pendant au moins dix ans pour atteindre l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5 °C au-dessus de l’ère préindustrielle.
Autrement dit, l’argument de la politique « raisonnable » et « rationnelle » que semble avancer l’exécutif pour balayer toute réflexion sur le modèle productif ne semble pas plus raisonnable que rationnel. Car, pour Éloi Laurent, la crise du coronavirus souligne l’urgence de l’inversion des priorités. « Le cas des États-Unis prouve parfaitement que lorsque la priorité est donnée à la production de richesses classique, et qu’on lève ainsi le confinement trop tôt, on court à la catastrophe. » Pour lui, le confinement a justement montré que le lien de priorité doit être la protection des écosystèmes, qui permet la protection de la santé humaine et qui, ensuite, permet l’activité économique. « L’économie ne peut être ici qu’un élément de troisième ordre, parce que, précisément, elle n’existe que si les gens vivent et sont en bonne santé », ajoute-t-il.
Pierre Charbonnier y voit aussi le « dévoilement d’une crise d’imagination » des dirigeants politiques au pouvoir. « Ils n’ont pas compris ou feignent de ne pas comprendre la situation », résume-t-il. Preuve en est leur mépris de la « décroissance », qui est désormais un sujet de recherche plus sérieux que les modèles macroéconomiques absurdes de William Nordhaus utilisés par Gilbert Cette à la Banque de France, qui permettent de relativiser le « coût économique » du réchauffement climatique (déconstruits ici par l’économiste Michel Husson) ; ces modèles qui concluent que, pour la France, il n’est pas nécessaire d’agir contre le changement climatique, en ignorant sa réalité concrète. Comme souvent, la « réalité » n’est pas toujours où l’on croit qu’elle est, et elle est assez peu perçue par les économistes mainstream.
Une écologie superficielle et antisociale
Le 15 juillet, Jean Castex a prévenu : « L’écologie doit être créatrice de richesses. » Tout est donc vu par le prisme de la croissance qui doit pourvoir à tout, régler tous les problèmes. Pour l’exécutif et la majorité, la démocratie économique étant une vue de l’esprit, la seule manière de combler les besoins des citoyens ordinaires sans toucher aux avantages des élites dirigeantes consiste à générer du surplus matériel et à laisser faire le marché. Comme des limites écologiques objectives à cette génération de surplus apparaissent et émeuvent de plus en plus, il faut certes consentir à des aménagements de la production. Ceux-ci restent cependant laissés à l’appréciation des élites économiques et administratives, à ceux qui « produisent de la richesse » et ont donc le droit d’en disposer.
En cela, le pouvoir est totalement inscrit dans une « écologie par en haut », confiée à des experts prétendant répondre de manière a-partisane à une contrainte environnementale posée comme extérieure au jeu économique ordinaire. Dans un ouvrage sur Les Deux âmes de l’écologie (L’Harmattan, 2008), le géographe Romain Felli lui opposait une « écologie par en bas », s’attachant à démontrer que « la volonté de croissance réclame un développement incessant de la technique, un État toujours plus puissant et une spécialisation sans cesse accrue. Or, pour légitimer cette volonté de croissance, la méga-machine sécrète quotidiennement des besoins nouveaux ». D’où l’inanité de séparer les moments de la production et de la redistribution, solidaires d’une même logique d’exploitation du travail humain et de la nature dans un objectif d’accumulation.
Une manifestation de gilets jaunes, en septembre 2019. © DR
Là où le piège de cette « écologie par en haut » se referme, c’est que la tendance structurelle du capitalisme est à la baisse des gains de productivité et de la croissance. Cet essoufflement de la dynamique capitaliste est totalement occulté par les dirigeants, et pour cause. Si les conditions environnementales de la production poussent quand même à ménager l’écosystème, et que cela dégrade une rentabilité des capitaux investis déjà faible, alors c’est le travail humain qui devra en faire les frais.
Dès lors, le prix de l’écologie sera alors immanquablement l’austérité salariale et sociale. Mais c’est un « prix » qui prendra la forme d’un chèque en blanc. Car alors que le gouvernement s’apprête à verser une goutte d’eau de 20 milliards d’euros dans la rénovation thermique des bâtiments, aucune conditionnalité écologique, aucune contrainte nouvelle n’est imposée au système productif.
Le schéma est toujours le même : la baisse des impôts et du coût du travail, autrement dit l’affaiblissement du monde du travail conduirait à plus d’innovations « vertes ». Cela permettrait au capitalisme de dépasser la crise écologique, comme il l’a fait avec les autres crises dans son histoire, et à voir sa productivité repartir. Mais, comme l’a dit Jean Castex, c’est bien ici de la « croyance ».
La réalité est que, depuis deux décennies, la crise écologique n’a guère séduit que superficiellement les investisseurs privés, qui lui préfèrent les innovations financières comme le Bitcoin ou le trading à haute fréquence, qui sont formidablement énergivores. La baisse des impôts a favorisé les bulles financières et immobilières, pas l’environnement. Il y a bien des ajustements, mais rien qui permette d’engager un changement sérieux de trajectoire.
La croissance verte devient une mode d’investissement superficiel, un acte de communication comme jadis « l’Internet », mais qui n’a aucune raison objective de modifier les données de productivité. Dès lors, le retour de la « modération salariale » revendiquée par le président de la République dans son interview du 14 Juillet, celui de la réforme des retraites, celui de l’augmentation du temps de travail, obsession de Bruno Le Maire martelée sur tous les tons, ne sont liés à aucune garantie écologique. C’est une croyance aveugle dans les capacités du marché qui sera payée par le système social. Sans aucune garantie que les résultats écologiques soient au rendez-vous.
Là encore, Éloi Laurent dénonce cette fuite en avant. Pour lui, le gouvernement a choisi l’austérité plutôt que la sobriété. Or, souligne-t-il, cette dernière offre pourtant des perspectives plus intéressantes. La société de la sobriété a besoin d’un système social fort, dont le financement ne repose plus sur la croissance mais sur les économies réalisées grâce à la sobriété. « Il faut imaginer les économies réalisées si l’on respectait les écosystèmes ou si l’on réduisait la pollution », explique l’économiste.
Ce dernier ajoute un autre élément : « l’hypothèse de Porter » qui veut que les contraintes stimulent l’innovation. Autrement dit, la sobriété trouverait son propre chemin en produisant ses propres solutions. On retrouve ici l’intuition de Paul Mattick : un système de production nouveau produit une utilisation adaptée des richesses naturelles et humaines.
Dès lors, il faut le reconnaître, l’écologisme de bazar de l’exécutif est une double aubaine qui lui permet de peindre d’une couleur politiquement à la mode une politique de réaction sociale qui constitue sa vraie identité. On ne peut exclure la bonne foi et, effectivement, la croyance que cette politique serait utile à l’environnement. Mais cette bonne foi même ne fait que traduire l’impasse dans laquelle est ce pouvoir.
Paul Mattick, dans le texte déjà cité, rappelait qu’il « n’est pas impossible, moyennant une production suffisante de plus-values, que le capital lui-même soit capable d’éviter la destruction de l’environnement dans son propre intérêt et pour autant que le coût soit payé par la population qui travaille ». Mais alors le problème deviendra social. Et c’est bien pourquoi la crise écologique est aussi une crise sociale et que sa sortie ne sera que sociale. La lutte de classes ne sort que renforcée de cette crise, et feindre de l’ignorer, comme le fait le gouvernement, est une stratégie de diversion à court terme.
Opposer une croissance écologisée à une décroissance source de malheur social est donc non seulement simpliste, mais aussi trompeur et indécent à l’heure où le dérèglement climatique s’emballe toujours plus. Ce manichéisme trahit un imaginaire fruste, au service des intérêts bénéficiant de l’ordre existant. C’est une politique qui place encore et toujours le capital et sa valorisation au-dessus de toute autre considération et en fait la solution à tous les problèmes du monde.
Une telle vision n’aide pas à poser les bonnes questions sur la façon dont nos formations sociales peuvent reproduire des conditions d’existence compatibles avec un système-Terre accueillant pour les 8 à 9 milliards d’êtres humains appelés à y coexister au cours du siècle. Elle n’est que le reflet triste de cette loi dont Marx, dans Travail salarié et capital (1847), disait qu’elle n’accordait aucun repos aux forces productives en leur murmurant sans cesse à l’oreille : « Marche ! Marche ! »
Romaric Godin, Fabien Escalona