“En Colombie, l’irruption de la pandémie s’est accompagnée de menaces de mort, et des vies se sont envolées non pas à cause du virus, mais par balles.”
Le site colombien de journalisme Cerosetenta résume ainsi le drame de jeunes vies fauchées par des attaques de groupes armés, ces derniers mois, et notamment encore le week-end des 22 et 23 août.
En plusieurs points du pays, au moins dix-sept personnes ont été assassinées dans la nuit du 21 au 22 août, et trois autres, dont un mineur, ont perdu la vie dans la nuit du 23 au 24 août dans la région d’Antioquia, au nord-ouest du pays, rapporte le quotidien El Tiempo.
L’effarement était déjà à son comble la semaine précédente, le 15 août, à l’annonce du massacre de huit jeunes qui avaient organisé une fête, dans le Nariño, au sud-ouest. Il suivait de peu une autre tuerie perpétrée contre cinq adolescents dans la région de Cali (centre).
Le retour d’une violence qui devait cesser
La presse colombienne ne sait plus comment titrer, tant les jours qui se succèdent égrènent leurs macabres nouvelles. L’hebdomadaire Semana commente :
“L’accord de paix signé avec [la guérilla des] Farc en 2016 avait promis de réduire la violence, mais un conflit persiste, qui met en scène les guérillas, les paramilitaires, les trafiquants de drogue et les agents de l’État. En plus de 60 ans, le bilan est supérieur à 9 millions de victimes.”
Dans son article, Semana rappelle la chronologie de ces toutes dernières semaines : “36 massacres qui refont basculer la Colombie vers son époque la plus sombre.”
Le quotidien El Espectador parle de faits rapprochés “qui réveillent les vieux fantasmes d’un conflit qui paraissait surmonté, mais qui a resurgi avec férocité.”
Pour Cerosetenta (070), ces tueries de jeunes gens sont à mettre sur le compte de tous ces groupes dissidents ou criminels – trafiquants de drogue ou paramilitaires – “qui cherchent à imposer leurs propres règles de confinement dans les territoires qu’ils contrôlent.”
La journaliste explique ainsi que des tracts menaçants circulent dans plusieurs départements “délaissés par l’État”, comme le Cauca, le Valle del Cauca, le Nariño, Bolívar, et le Guaviare. Ces missives relaient les consignes de l’État pour lutter contre la pandémie, mais imposent aussi leurs mesures particulières, comme des restrictions de mouvement, des couvre-feu pour les réfugiés vénézuéliens, le tout assorti de menaces d’agressions physiques voire de mort, ou encore de destruction de véhicules. “Et tout cela se déroule loin des regards et de la surveillance de l’État.”
Un président qui minimise
L’Organisation des nations unies (ONU) avait publié quelques jours avant les récents assassinats un rapport inquiet sur ce que l’entité des Droits humains de l’institution désigne bien comme des massacres en Colombie, alors que le président Iván Duque, lui, réfute ce terme de massacre, et lui substitue celui d’” homicides collectifs”, pointe El Colombiano, citant le président.
Iván Duque suscite beaucoup de critiques à cet égard, car à cette subtilité de vocabulaire destinée à minimiser l’impact de la violence, il ajoute, notamment dans un tweet du 22 août, un bilan plutôt positif de réduction du nombre d’homicides sur l’année écoulée, “avec des informations superficielles, basées sur des données non pertinentes ou comparées de façon erronée “, analyse le site Confidencialcolombia.
De son côté, le site La Silla vacía publie des graphiques montrant au contraire, depuis l’arrivée d’Iván Duque au pouvoir en 2018, des indicateurs de violence en hausse.
Et dans une longue série de tweets, la maire très populaire de Bogota, Claudia López, exprime sa colère contre ce gouvernement qui “a déchiqueté l’accord de paix” et ne remplit aucun des engagements de justice sociale et de progrès économique faits à cette occasion.
Dans son rapport, rapporte El Espectador, la Commission des Droits humains de l’ONU rappelle également la recrudescence des assassinats de leaders sociaux dans les zones rurales – 97 rien qu’en 2020 – et d’anciens guérilleros réinsérés dans la vie civile : 215 ont été tués depuis novembre 2016. “Autant de chiffres qui contrastent avec la vision positive du président Duque”, souligne le journal.
Le gouvernement semble faire face à une impasse sur ce sujet de la sécurité, alors que l’armée, qui en est investie, est sujette à caution en raison d’affaires d’exécutions extrajudiciaires, de corruption et d’abus sexuels. Une dérive qu’un observateur, dans El País, met sur le compte du président Duque, “qui n’a pas donné de ligne de conduite aux militaires, tout en les politisant”.
Sabine Grandadam
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