LREM veut incarner le parti de l’« ordre républicain »
Si certains tentent encore de déplacer le curseur, la plupart des élus de la majorité présidentielle ont intégré l’évolution politique d’Emmanuel Macron sur les questions de sécurité. Ils assument désormais leur droite, de façon plus ou moins résignée.
Amiens (Somme).– La soirée touche à sa fin lorsque arrive « le clou du spectacle ». Le visage du premier ministre apparaît sur l’écran géant de la salle des congrès qui accueille, ce 11 septembre, la rentrée politique de La République en marche (LREM). Contraint de s’exprimer par voie numérique en raison de l’épidémie de Covid-19, Jean Castex vante les mérites du « dépassement », qu’il juge plus que « nécessaire en ces moments de notre histoire où sont à l’œuvre les ferments de la division, du repli sur soi, du rejet de l’autre, de la recherche de boucs émissaires, de la tentation des extrêmes ».
Face aux militants, aux parlementaires et à la poignée de ministres réunis là, le chef du gouvernement rappelle ce qu’attendent, selon lui, les Français du parti présidentiel : « Apaiser et rassembler la société. » Loin des coups de menton du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, installé au premier rang, cette bulle ferait presque oublier qu’en pleine crise sanitaire, économique et sociale, Emmanuel Macron a choisi de recycler la stratégie perdante de Nicolas Sarkozy, dans la perspective de 2022.
Bien qu’il s’en défende, c’est pour cette seule raison politique que le pouvoir exécutif a décidé de mettre, en cette rentrée, les bouchées doubles sur ce qu’il appelle « l’ordre républicain », expression fourre-tout derrière laquelle il place la sécurité et la lutte contre le « séparatisme ». Pour cette seule raison aussi que les accents sarkozystes de Gérald Darmanin, sur la forme comme sur le fond – vendredi, il annonçait encore vouloir interdire la distribution de nourriture aux migrants par certaines associations à Calais (Pas-de-Calais) –, saturent l’espace public.
Dans ce paysage qui fleure bon les années 2000, la majorité présidentielle a bien du mal à se positionner. S’ils sont encore nombreux à revendiquer le fameux équilibre du « en même temps », beaucoup ne peuvent que reconnaître l’évolution d’Emmanuel Macron sur les questions pudiquement qualifiées de « régaliennes » – comprendre l’immigration, la sécurité et l’identité. Ceux qui, au sein de LREM, se sentent encore de gauche ont beau tenter de minimiser le sujet, ils n’en demeurent pas moins gênés par la situation.
Aussi essaient-ils de déplacer le curseur, en insistant sur le plan de relance et les mesures prises en matière d’écologie. Comme Les Républicains (LR), ils s’engouffrent dans les polémiques récentes autour du sapin de Noël – qualifié d’« arbre mort » par le maire de Bordeaux (Gironde) – et du Tour de France – « machiste et polluant » pour celui de Lyon (Rhône) – afin de contrer les nouveaux élus Europe Écologie-Les Verts (EELV). Quant aux excès de leur propre majorité, ils font mine de les ignorer.
Refusant d’entrer dans « le débat sémantique » autour du mot « ensauvagement » emprunté à l’extrême droite par Gérald Darmanin, le délégué général de LREM Stanislas Guerini assure qu’il s’agit là d’un « débat très secondaire par rapport à l’obligation de résultats ». Pour autant, reconnaît-il à demi-mot, le style du ministre de l’intérieur ne facilite pas la tâche des Marcheurs de la première heure. « Il est temps que ça se termine », tranche-t-il, visiblement ravi que ses troupes aient pu, malgré la recrudescence de l’épidémie, se retrouver à Amiens.
Car c’est ici, se souviennent les nostalgiques de la campagne présidentielle, que tout a commencé en avril 2016, lorsque Emmanuel Macron a lancé son mouvement. « C’est une inspiration pour nous de revenir sur [ces] lieux », indique le député de Paris, pour mieux souligner son envie de retrouver l’essence de LREM – ce que ses membres aiment à qualifier d’« ADN ». C’est aussi le signal que certains députés de la majorité ont souhaité adresser en élisant Christophe Castaner à la tête du groupe à l’Assemblée nationale.
« C’était important, pour certains de mes collègues, d’avoir une forme de rééquilibrage », confirme l’ancienne juppéiste Marie Guévenoux. L’argument a sans doute pesé dans les 25 voix qui ont séparé l’ex-ministre de l’intérieur de sa concurrente Aurore Bergé, issue de l’aile droite du mouvement. Pour autant, assure la majorité des élus croisés à Amiens, la campagne s’est jouée sur tout – différentes approches de méthode, relations interpersonnelles, etc. – sauf sur les clivages politiques. Après trois ans et moult départs, le groupe a fini par s’homogénéiser.
Les esprits frondeurs ayant quitté les rangs, les critiques se font désormais mezzo voce. Ceux qui veulent rester fidèles, sans pour autant tout endosser, marchent sur un fil. « Le mot “ensauvagement” n’est pas le mien et il faut faire attention à ne pas faire naître un sentiment qui, dans beaucoup d’endroits, reste un sentiment, indique Pieyre-Alexandre Anglade, député des Français de l’étranger. Mais il y a une sensibilité aiguë dans le pays sur ces sujets. Une partie des Français attendent qu’on s’en empare. Ne pas répondre serait abdiquer. Une majorité comme la nôtre est sous la pression de cette opinion. »
Dit autrement par l’eurodéputé Stéphane Séjourné dans Le Figaro : « Il faut regarder la réalité en face sur les questions d’insécurité, sans angélisme, mais sans se tromper de combat. Je ne tombe pas dans la surenchère verbale que nous tendent les extrêmes. » À rebours d’Emmanuel Macron qui a accusé la presse d’avoir fait « le Kamasutra de l’ensauvagement », la députée Sonia Krimi admet elle aussi que « les mots ont un poids très important ». « Quand on les prononce, ils existent et peuvent être violents, y compris pour ceux qui se sentent déjà mis à l’écart de la société dans laquelle ils vivent », affirme-t-elle, en reconnaissant par ailleurs que « c’est facile d’être violent ».
Facile et « malheureusement » indispensable, si l’on en croit sa collègue Marie Guévenoux. « Dans la société actuelle, il ne faut pas être dans la demi-mesure pour être audible », regrette-t-elle. Cette juppéiste, qui avait quitté LR en raison de désaccords profonds sur la « vision de la société » de son ancien parti – « du pain au chocolat à la Manif pour tous » –, plaide pour « une forme de pondération qui n’est pas à la mode, alors qu’elle pourrait nous protéger d’un certain nombre d’écueils ». En matière de sécurité, elle estime que « beaucoup de choses ont été faites » depuis trois ans, mais constate que « la population ne le voit pas ». « Ce qu’elle voit, c’est un empilement de faits divers. »
« Castex, c’est la Macronie de demain »
Tel serait donc le rôle joué par Gérald Darmanin dans le dispositif global : communiquer jusqu’à l’outrance pour mettre en lumière l’action de l’exécutif, faire taire les critiques sur son « laxisme » et emporter l’adhésion de cette partie de l’électorat de droite qui doute encore qu’Emmanuel Macron puisse être son candidat en 2022. « Il endosse le costume », résume Sonia Krimi. « Le gouvernement de Jean Castex, c’est une galerie commerciale. Chacun a sa vitrine, chacun soigne sa clientèle, confie un autre député LREM. Il y a une stratégie pour achever la droite. »
Mais derrière cet « opportunisme politique », il y a aussi « une vraie conviction du président et d’Alexis Kohler [le secrétaire général de l’Élysée – ndlr] sur le régalien », poursuit le même élu, qui n’adhère pas franchement aux discours sur « la République une et indivisible, qui ont tendance à effacer la diversité ». D’ailleurs, au-delà des mots, il y aussi des projets de loi, comme celui sur le « séparatisme », annoncé en conseil des ministres cet automne. « Comme tout sujet de société, c’est un sujet qui divise », reconnaît Sonia Krimi, qui préfère attendre le texte pour s’exprimer.
La députée, qui avait demandé un visa pour le Canada à l’époque de « Sarkozy, Guéant et Morano », « tellement [elle était] horrifiée » par ce qu’elle entendait, ne « sent pas cette même violence » aujourd’hui. « Peut-être parce que j’ai moi-même changé… », concède-t-elle. Son collègue de l’Hérault, Patrick Vignal, balaie le problème. « La palabre ne m’intéresse pas, affirme-t-il. Moi, ce que je veux, c’est que Darmanin m’aide à lutter contre le trafic de drogue à Montpellier et que Dupond-Moretti me donne les magistrats manquants pour ma ville. Le reste, je m’en fous ! »
Lui se dit plutôt satisfait du dernier remaniement, marqué par l’arrivée de Jean Castex à Matignon. « Castex, c’est la Macronie de demain, veut-il croire. Ça suffit les Parisiens, les costumes bien taillés et les chaussures vernies ! » Cet ancien socialiste devenu macroniste en 2016 a souffert de l’étiquette LREM à la municipale de Montpellier, où il a péniblement engrangé 6,10 % des suffrages exprimés au premier tour, en passant pour « le mec de droite ». Depuis trois ans, il en avait un peu marre de s’entendre dire : « On a l’impression que c’est votre monde, pas le nôtre. »
Alors si les Français veulent de la sécurité, ils en auront. Le reste n’a guère d’importance, ajoute-t-il, indifférent aux discussions sur la ligne idéologique du parti présidentiel. De toute façon, « ce mouvement n’a jamais eu un socle d’ADN commun et l’alchimie n’a jamais pris entre ce que nous appelons souvent l’ancien et le nouveau monde ». Mais pour d’autres, cette absence de corpus est tout de même considérée comme un problème, notamment parce qu’elle offre à la droite le loisir de remplir le vide.
C’est notamment le cas du député Jacques Maire, qui a fondé le courant « En Commun » aux côtés de son collègue Hugues Renson, vice-président de l’Assemblée nationale, et de la ministre de la transition écologique Barbara Pompili. Regrettant que l’élection du président de groupe ait été « dépolitisée », l’élu des Hauts-de-Seine plaide pour y « organiser une diversité ». « Aujourd’hui, on fait comme s’il n’y avait qu’une seule ligne. Cela tue le mouvement », dit-il.
Jacques Maire pousse pour que son groupe porte une voix différente de celle du gouvernement à l’occasion du projet de loi sur le « séparatisme ». « Après, soyons honnêtes, l’essentiel de l’agenda parlementaire va être consacré au plan de relance, à la réforme des retraites et au cinquième risque [à la Sécurité sociale – ndlr] », souligne le député, jugeant « inutile et dangereuse » la stratégie consistant à « occuper la part de marché de la droite ». Pour beaucoup, ce futur projet de loi fera office de « test » dans la majorité. Christophe Castaner a d’ores et déjà prévenu ses troupes : « La division du groupe LREM serait une forme de séparatisme. »
Les Marcheurs croisés vendredi, à Amiens, ne semblent pas se poser autant de questions que les élus de la majorité. Archibald, membre des Jeunes avec Macron (JAM) en Bretagne, assure d’ailleurs qu’il n’y a aucun « problème » avec la façon dont le gouvernement aborde les sujets de sécurité. « C’était dans le programme. Ce ne sont pas les mots qui comptent, ce sont les actes », répète-t-il. « C’est vrai que ce n’est plus possible, il faut agir. Nous avons vécu les violences des manifestants, les casseurs, tout le monde en a marre », estime également Sophie, cheffe d’entreprise à Lille (Nord).
Mathilde Goanec et Ellen Salvi
• MEDIAPART. 12 septembre 2020 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/120920/droite-toute-lrem-veut-incarner-le-parti-de-l-ordre-republicain
La République figée d’Emmanuel Macron
L’estimant « menacée » par des « forces obscurantistes » et « séparatistes », le chef de l’État a livré sa vision de la République, vendredi, au Panthéon. Une approche conservatrice qui a tout pour satisfaire son nouvel électorat de droite.
« Il y a urgence. » C’est en ces termes que l’Élysée a justifié le discours prononcé vendredi par Emmanuel Macron, depuis le Panthéon, à l’occasion des 150 ans de la proclamation de la IIIe République, le 4 septembre 1870, qui a marqué la chute du Second Empire. « Nous sommes dans un temps historique où il y a une coagulation étonnante de forces hétéroclites qui ont pour projet initial de s’en prendre à la République et ce qu’elle emporte avec elle », a fait valoir l’entourage du chef de l’État.
Le choix de cette date a interrogé bon nombre d’historiens, mais aussi certains responsables politiques, à l’instar du chef de file de La France insoumise (LFI) Jean-Luc Mélenchon, qui s’est longuement exprimé sur le sujet dans une vidéo et a tweeté : « Non, monsieur le président, la République française n’est pas ce que vous en dites. Je vous répondrai solennellement le 21 septembre, vrai anniversaire de la fondation de la #République en France. »
« La République n’a pas 150 ans, elle va avoir 228 ans le 21 septembre prochain... Célébrer le 4 septembre 1870 et ignorer le 21 septembre 1792, la République révolutionnaire, le 24 février 1848, les Première et Deuxième République : légère sidération du professeur et du citoyen », a écrit Thibaut Poirot, professeur agrégé d’histoire, rappelant que le général de Gaulle, dans son discours du 4 septembre 1958, avait lui bien « inscrit les trois dates (1792, 1848, 1870) dans une histoire commune ».
En décidant de « remettre cette date du 4 septembre à l’honneur », Emmanuel Macron a opté pour le choix le plus conservateur, puisque la proclamation de cette IIIe République a été suivie de la répression des tenants d’une République démocratique et sociale, à savoir les communards. Au-delà du seul aspect historique, cette cérémonie était surtout l’occasion, pour le chef de l’État, de s’exprimer sur ses nouvelles marottes, à commencer par ce qu’il qualifie de « séparatisme » – pour ne plus dire « communautarisme ».
Rappelant qu’un projet de loi sur le sujet sera présenté à l’automne, le président de la République a souligné qu’« il n’y aura jamais de place en France pour ceux qui, souvent au nom d’un Dieu, parfois avec l’aide de puissances étrangères, entendent imposer la loi d’un groupe ». Ce faisant, il a confirmé que derrière le mot « séparatisme », il entend surtout lutter contre ce que sa ministre en charge de la « citoyenneté » appelle « l’islam politique ». Ce projet de loi vise « principalement le séparatisme islamiste », a d’ailleurs assumé Marlène Schiappa sur France Inter, le 31 août.
Emmanuel Macron a insisté vendredi sur ce point : « La République, parce qu’elle est indivisible, n’admet aucune aventure séparatiste. » Il a également affirmé qu’« on ne choisit jamais une part de France, on choisit la France ». Ses valeurs, ses principes, sa culture et son histoire constituent, aux yeux du chef de l’État, un « bloc », présenté de telle façon qu’il exclut toute réflexion sur la diversité, grande absente d’un discours où fut pourtant cité le poète Aimé Césaire.
Loin du mouvement perpétuel qu’elle devrait constituer, inlassable conquête de nouveaux droits, Emmanuel Macron a livré, sur un ton d’homme d’église, une vision sanctuarisée de la République, renouant avec l’idée d’« éternel Français » qui lui est chère. Employant à plusieurs reprises le mot « combat », qu’il résume désormais sous l’expression de « patriotisme républicain », il a également souligné que chaque citoyen avait « des devoirs et des droits, mais toujours des devoirs d’abord ».
Comme il l’avait déjà fait au mois de juin, le président de la République a de nouveau rendu hommage aux forces de l’ordre, et à « toutes celles et ceux qui luttent contre la violence, contre le racisme et l’antisémitisme », sans faire ne serait-ce qu’un sous-entendu à la discrimination systémique pratiquée par la police, récemment dénoncée par le Défenseur des droits. Il n’a bien évidemment pas eu un mot sur les violences policières – expression dont il refuse jusqu’à l’emploi.
Le chef de l’État a toutefois rapidement évoqué, d’un point de vue très général, la question des discriminations, reconnaissant que nous étions « encore loin, trop loin » du principe fondamental d’égalité. « Nous irons plus loin, plus fort dans les semaines à venir, pour que la promesse républicaine soit tenue dans le concret des vies », a-t-il de nouveau promis, sans plus de précisions. Le même discours d’émancipation était tenu pendant la campagne de 2017. Mais après trois ans d’exercice du pouvoir, il sonne faux.
Surtout, ce discours est littéralement écrasé par les questions identitaires auxquelles Emmanuel Macron s’est converti depuis un an. Le candidat d’En Marche ! qui défendait la diversité s’est métamorphosé en un farouche opposant au multiculturalisme, qu’il associe au communautarisme. Pour conserver l’électorat de droite qui est devenu le sien, le président de la République en a désormais adopté toutes les antiennes.
Reprenant à son compte le concept d’« archipellisation » de la société française, l’Élysée a confirmé que le discours du Panthéon constituait « l’acte 1 d’une série d’initiatives qui seront prises de manière à rappeler que dans ce pays, il y a une République qui garantit que nous vivons dans une société des droits de l’homme ». « À l’heure où c’est contesté par des forces qu’on peut qualifier très souvent d’obscurantistes, c’est un impératif qui s’imposait au président et à tous les Français », estime son entourage.
Ellen Salvi
• MEDIAPART. 4 septembre 2020 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/040920/la-republique-figee-d-emmanuel-macron
Estrosi confirme la droitisation de Macron
En proposant de soutenir la réélection d’Emmanuel Macron en 2022, Christian Estrosi a plongé la majorité dans un profond malaise. Son offre s’inscrit pourtant dans la dérive droitière du chef de l’État, qui gêne de plus en plus ses fidèles de la première heure.
Sa déclaration a ravi les élus du Rassemblement national (RN), scandalisé ses collègues de Les Républicains (LR) et plongé la majorité dans un profond malaise. Dans un entretien accordé au Figaro, le maire de Nice (Alpes-Maritimes) et ancien ministre de Nicolas Sarkozy, Christian Estrosi, a invité sa famille politique à passer « un accord avec Emmanuel Macron » pour soutenir sa réélection en 2022, « sur la base d’un projet commun ».
« Il existe beaucoup de talents chez nous mais, soyons honnêtes, aucun d’entre nous ne s’impose pour concourir à la présidentielle », a-t-il fait valoir, avant d’ajouter que beaucoup de parlementaires et d’élus locaux partageaient son sentiment « sans oser le dire publiquement ». Sitôt ce sentiment publié noir sur blanc, les réactions politiques se sont multipliées, contraignant bon nombre de figures de LR à répéter qu’un tel scénario était proprement inenvisageable.
Du côté de La République en marche (LREM), en revanche, rares sont les élus à s’être épanchés sur le sujet. « Prix de l’humour politique attribué à… », s’est contenté de tweeter le député et vice-président de l’Assemblée nationale, Hugues Renson, avec un lien vers l’entretien de Christian Estrosi. « Les gens sont mal à l’aise, admet l’un de ses collègues de banc, issu des rangs du Parti socialiste (PS). C’est fou d’en être arrivés là. »
Pas si fou, à vrai dire. Car malgré les interrogations de la presse et les dénégations de ceux qui, parmi ses soutiens, se disent encore de gauche, Emmanuel Macron est de droite. Il mène des politiques de droite, au côté de premiers ministres de droite, d’un ministre de l’économie de droite, d’un ministre de l’intérieur de droite… Depuis trois ans, rien n’est venu démentir ce fait. Le remaniement de juillet, promesse de « réinvention », l’a même entériné.
Le président de la République avait donné le ton dès le début de son quinquennat en s’appropriant les antiennes économiques et sociales de LR. Non content d’avoir accaparé une partie de l’électorat de droite, au détriment du centre-gauche qui avait permis son élection, le chef de l’État s’est ensuite aventuré, à compter de septembre 2019, sur le terrain des questions dites « régaliennes » – comprendre l’immigration, la laïcité et la sécurité.
Depuis lors, celui qui avait dépollué la campagne de 2017 des sujets identitaires s’est employé à les remettre au cœur du débat public, en lançant un débat insensé sur l’immigration, avant d’accorder un entretien au journal d’extrême droite Valeurs actuelles, dont il disait même en privé : « C’est un très bon journal, il faut le lire pour comprendre ce que pense la droite. »

« Figaro Magazine », janvier 2018.
Autant de coups de boutoir qui ont conduit une partie de ses fidèles à pointer aux abonnés absents. « Je suis un homme de gauche. Pour le rester, je dois quitter LREM », confiait au JDD le député Aurélien Taché, au mois de mai, avant de rejoindre un nouveau groupe parlementaire baptisé « Écologie démocratie solidarité » (EDS). La nomination du sarkozyste Jean Castex à Matignon et plus encore celle de Gérald Darmanin à Beauvau ont fini de conforter son choix.
Dans la majorité, ceux qui ont décidé de rester n’en mènent pas large. Ils se contentent d’observer les coups de menton du nouveau ministre de l’intérieur. Ils écoutent Marlène Schiappa expliquer qu’il « existe maintenant une gauche identitaire qui porte une culture de l’excuse ». Ils entendent le chef du gouvernement convoquer la « France qui ne dit rien mais qui n’en pense pas moins », la « France du bon sens et de la raison ». Ils attendent un projet de loi sur le « séparatisme ».
Ils appartiennent à une formation politique où certains assument parfaitement l’emprunt du mot « ensauvagement » à l’extrême droite et où d’autres indiquent qu’ils continueront à accorder des interviews à Valeurs actuelles, malgré le fait que la députée La France insoumise (LFI) Danièle Obono y ait été dépeinte en esclave. Ils soutiennent encore ce président de la République, qui juge désormais le « monde universitaire coupable » d’avoir « cassé la République en deux ».
Ils ont voté, en 2018, la loi asile et immigration qui a consacré un recul des droits des étrangers. Ils ont adopté, un an plus tard, la loi « anticasseurs ». Ils ont toujours refusé d’employer l’expression « violences policières », allant même jusqu’à nier leur existence. Ils se sont alliés à la droite aux municipales. Ils ont vu le chef de l’État soigner sa démagogie et entretenir une proximité avec Nicolas Sarkozy ou Philippe de Villiers. Ils n’ont jamais rien dit.
Dès lors, comment expliquer que les mêmes s’étonnent aujourd’hui de la proposition d’alliance de Christian Estrosi ? Si elle gêne la majorité et offusque LR, elle n’en demeure pas moins logique. « Je me demande ce que font encore avec LREM et Macron mes amis qui se disent de gauche et écologistes… Vivement 2022 Printemps de gauche et de l’écologie », a d’ailleurs tweeté le député Libertés et territoires François-Marie Lambert, qui a quitté le groupe majoritaire en 2018.
Les principaux intéressés, eux, se sont gardés de tout commentaire sur le sujet, préférant rebondir sur les propos tenus le même jour sur Europe 1 par le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, qui s’est désolidarisé du vocable de Gérald Darmanin. Seul le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, s’est dit « toujours satisfait quand des personnalités qui ne font pas partie de la majorité apportent leur soutien au président de la République ».
Y compris lorsque ces personnalités ont crié « Vive l’Algérie française ! » à l’issue d’une marche de pieds-noirs et de harkis à Nice (octobre 2012). Y compris lorsqu’elles ont voté contre le projet de loi autorisant le mariage pour tous (avril 2013). Y compris lorsqu’elles ont expliqué qu’il existe en France des « cinquièmes colonnes » de « l’islamo-fascisme » (avril 2015). En manque d’espace politique, elles trouvent naturellement un port d’attache du côté de LREM, qui a déjà capté une partie de leur électorat.
Quant aux autres élus LR, ceux qui persistent à penser qu’une nouvelle offre est possible entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, ils recommencent à dériver de plus en plus à droite, à l’image de Xavier Bertrand, qui a récemment parlé d’« été orange mécanique », en écho à un livre-référence de l’extrême droite, signé Laurent Obertone. De ce côté de l’échiquier politique, les candidats sont déjà nombreux pour 2022, mais les idées, elles, sont toujours les mêmes. Et elles ne se bousculent pas.
Ellen Salvi
• MEDIAPART. 1 septembre 2020 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/010920/estrosi-confirme-la-droitisation-de-macron