Le miracle du Mékong ne s’est pas réalisé, s’inquiète le site The Diplomat.. Chaque année, habituellement, “la force du débit du fleuve gonflé par la mousson entraîne le reflux du cours du Tonlé Sap, un de ses affluents, dans le lac éponyme au Cambodge”.
Mais, le débit du Mékong est désormais affaibli par les barrages, par la sécheresse et le changement climatique,, explique le site internet. Pour l’universitaire thaïlandais Chainarong Setthachua :
“C’est un désastre terrible pour la région du Mékong. Si nous perdons le Tonlé Sap, nous perdons le cœur de la plus grande pêcherie du monde.”
Le lac Tonlé Sap est le centre névralgique de la pêche au Cambodge et un lieu de migrations des poissons dans le bassin du Mékong, poursuit le site. “Pour la deuxième année, les eaux tumultueuses du Mékong n’ont pas permis l’incroyable renversement du cours du Tonlé Sap qui permet au lac de s’étendre sur cinq fois la surface qu’il occupe durant la saison sèche.”
Un cycle séculaire
Le reflux du cours de la rivière Tonlé Sap par la force du débit du Mékong gonflé par les eaux de la mousson a permis, depuis des siècles, l’inondation annuelle de la forêt située dans le lac.
“En temps ordinaire, la mousson et la montée des eaux qui y est associée, conduisant au reflux du Tonlé Sap, entraînent l’inondation de la forêt lacustre qui devient une incroyable nurserie à poissons.”
Mais, cette année, tout comme l’année dernière, l’eau est arrivée trop tardivement et en trop petite quantité. En 2019, la montée des eaux de la mi-août était faible. De plus, souligne le site, ces eaux étaient chaudes et peu concentrées en oxygène et charriaient des milliers de poissons morts.
Les barrages chinois dans le collimateur
Pour The Diplomat, “il est difficile d’évaluer l’étendue du désastre en cours, dû principalement aux barrages chinois construits en amont et qui retiennent l’eau et les sédiments, vitaux à la survie de l’écosystème du Mékong”.
Brian Eyler, le spécialiste du fleuve au sein de la Fondation Stimson, un organisme américain, rappelle l’impact de la catastrophe de l’année dernière qui se répète cette année :
“Les 2,5 millions de pêcheurs du Tonlé Sap ont augmenté leur endettement pour compenser la baisse des prises. Cette année, cela risque d’être pire. À force de répéter ce cycle d’endettement et de faible pêche, toute l’économie autour du lac risque de s’effondrer. Un risque également pour le pays dans son ensemble.”
Selon Senglong Youk, le responsable de l’association cambodgienne Fact (Fisheries Action Coalition), 20 à 30 % de pêcheurs ont abandonné leur gagne-pain pour trouver un autre emploi.
Les recherches de Brian Eyler, également auteur de The Last Days of the Mighty Mekong [inédit en français], confirmeraient que “les barrages chinois ont en juillet 2020 commencé à réduire de manière inédite le débit du fleuve alors que les pays en aval souffraient, comme l’année dernière, de sécheresse”.
Un manque de volonté politique
Le gouvernement chinois ainsi que la Commission du Mékong, une agence intergouvernementale créée en 1995 par le Vietnam, le Laos, la Thaïlande et le Cambodge, assurent que le bas débit du fleuve est lié à la faiblesse des pluies et à l’influence d’El Nino.
Pour autant, les études coïncident, selon The Diplomat, pour souligner que ces facteurs ont un effet bien moins délétère sur la destruction des réserves piscicoles dans le bas Mékong que l’expansion rapide des barrages. Ainsi, Ian Cowx, de l’université de Hull en Grande Bretagne, affirme que l’obstacle principal à la pêche vient moins du changement climatique et de la sécheresse que des barrages.
“Toutes les espèces de poissons s’adaptent à la sécheresse et aux inondations. Ici la question centrale est bien la diminution du débit liée aux barrages chinois et à celui construit sur la Sesan, [un affluent du Mékong au Cambodge].”
“Tous ces barrages – non seulement les chinois mais aussi le gigantesque ouvrage thaïlandais construit à Xayaburi et à Dong Sahong, au Laos, avec un financement malaisien -– ont modifié l’hydrologie du fleuve et affaibli son volume.” The Diplomat regrette le rôle timoré de la Commission du Mékong qui accumule les données sur le débit du fleuve et le déclin des ressources en poissons sans jamais inciter les pays membres à limiter la construction des barrages.
Tonlé Sap, le cœur du Cambodge
Selon un rapport de la commission publié en 2018, la baisse en ressources piscicoles serait de 35 à 40 % en 2020 et de 40 à 80 % en 2040. “De telles données alarmantes, sur le déclin de ces ressources et la menace que cette chute dramatique fait peser sur les ressources alimentaires de 70 millions d’habitants du bassin du Mékong, n’ont pas fait l’objet d’une déclaration ni conduit à demander aux États membres de limiter le recours à l’hydroélectricité.”
Pour Marc Goichot, du Fonds mondial pour la nature, “la question n’est pas technique ou scientifique. Il s’agit d’une question de gouvernance. Nous avons besoin d’une action urgente pour améliorer la situation du fleuve.”
Au risque de voir “le cœur du Cambodge”, le Tonlé Sap, s’arrêter de battre. Avec toutes les conséquences dramatiques qui en découleraient.
The Diplomat
Abonnez-vous à la Lettre de nouveautés du site ESSF et recevez chaque lundi par courriel la liste des articles parus, en français ou en anglais, dans la semaine écoulée.