Le récent accident ferroviaire au Royaume-Uni illustre, une fois de plus, les dégâts du démantèlement des services publics : suite à la privatisation des chemins de fer, la catastrophique maintenance des voies sur ce secteur est gérée par une entreprise privée, la Network Rail, différente de celles qui, par ailleurs, exploitent la ligne sur le plan commercial. Cette politique de libéralisation s’est accompagnée d’une destruction des services publics, d’une dégradation de la qualité des services aux usagers, d’un accroissement considérable des inégalités dans l’accès à ces services, de graves problèmes de sécurité des personnes, de scandales financiers divers et célèbres, ainsi que de destructions massives d’emplois.
Partout dans le monde, la privatisation des services publics de réseaux a suivi le même schéma. D’abord, on « libéralise » le secteur, en ouvrant tout ou partie de ses activités à la concurrence mondiale. Les premières activités concernées sont celles qui rapportent le plus, surtout si on les isole des autres. On tue donc immédiatement la péréquation des tarifs, garantie de l’égalité. Chaque entreprise privée peut alors exploiter le créneau qui lui paraît le plus rentable à très court terme. Arrivent alors les arguments sur « l’ouverture du capital » des entreprises publiques afin, prétend-t-on, qu’elles puissent « jouer à armes égales » : le processus de privatisation s’enclenche. Et l’on passe très vite d’une situation éphémère, où l’État est encore majoritaire dans le capital, à la privatisation totale : France Télécom et Air France depuis 2003, GDF en moins d’un an. Le maître des lieux devient l’actionnaire, à qui il faut verser toujours plus de dividendes. Les investissements sont strictement bornés par l’obsession du fameux « retour sur investissement », pour lequel on sacrifie tout, y compris la sécurité. Et même quand l’entreprise reste publique - comme La Poste ou la SNCF -, la pression extérieure joue à plein pour justifier une gestion de type privé, notamment en ce qui concerne le personnel. Si nécessaire, l’entreprise restée publique dans un secteur ouvert à la concurrence créera des filiales entièrement privées afin de gérer les secteurs les plus rentables : La Banque postale en est l’illustration la plus importante.
Autre conséquence très rapide : la remise en cause du statut des personnels, qu’il s’agisse de fonctionnaires (PTT) ou d’employés jouissant d’un statut particulier (SNCF, EDF, etc.) interdisant, de fait, de licenciements économiques massifs. Dans un premier temps, on liquide le caractère unique du statut par l’embauche de salariés sans statut particulier, voire précaires.
À l’opposé du démantèlement en cours et de la marchandisation généralisée du monde, certains domaines doivent être considérés comme des biens publics auxquels tout le monde doit avoir accès à égalité, sur l’ensemble du territoire, en permanence et quelles que soient leurs ressources. Ces domaines doivent demeurer dans la sphère publique, en situation de non-concurrence. Ainsi la santé, l’école, l’éducation en général, les services sociaux, les services de la petite enfance doivent rester - ou revenir - dans le domaine public. Pour ces activités, cela signifie une remise en cause des secteurs privés qui s’approprient, en leur sein, les « créneaux » les plus rentables : par exemple, les hôpitaux publics et les cliniques privées, parfois au sein même de ces hôpitaux. Il faut partir des besoins sociaux et de l’élaboration des missions de ces services par les populations concernées, au niveau où ils doivent être organisés : local, régional ou national. Ainsi, il est du ressort des communes ou des groupes de communes d’organiser les réseaux de transport de proximité, de distribution de l’eau, de voirie, mais aussi de développement culturel et de logements sociaux.
Monopole
De même, à ce niveau, il est logique de contrôler si les besoins, dans des domaines organisés à une échelle plus vaste (hôpitaux, transports ferrés, routiers, distribution d’énergie, postes), sont réellement satisfaits. Certains services publics doivent être organisés à grande échelle pour mettre le maximum de moyens à la disposition de chacun et assurer l’égalité de traitement, la continuité du service et une avancée permanente au niveau technologique, toujours avec le souci de la satisfaction réelle des besoins.
Par exemple, le fonctionnement actuel des transports est aberrant : il n’existe aucun plan cohérent de développement des transports entre transports urbains et ruraux de proximité, réseaux ferré et routier, et transport aérien. Pire, la SNCF et Air France, plutôt que de se compléter dans la desserte du territoire, structurent toute leur activité dans le cadre d’une concurrence air-rail, avec pour cible les hommes d’affaires voyageant entre Paris, Toulouse, Marseille et Nice. Centrée sur la recherche du profit, la SNCF a développé un réseau national TGV longues distances « Paris-métropoles régionales », sans aucun souci des dessertes régionales et interrégionales. La plupart des communes ont privatisé leur réseau de transport urbain ou de distribution d’eau, dégradant le service et augmentant les tarifs. Mais pour le plus grand bénéfice de groupes comme Vivendi !
Services de qualité
La suppression de la concurrence dans tous ces domaines est donc une priorité : la mise en compétition est aussi néfaste que le serait un réseau de transports urbains dans lequel deux compagnies de bus desserviraient les mêmes lignes. Ou - pourquoi pas ? - deux autoroutes parallèles exploitées par deux sociétés différentes ! Les pays de l’Union européenne tendent pourtant à cela, à travers la concurrence pour le transport ferré du fret et des passagers par exemple. La suppression de la concurrence privée est la condition pour satisfaire les besoins et maintenir des tarifs abordables - l’égalité d’accès pour toutes les populations. Le privé ne doit, en aucun cas, pénétrer le secteur des services publics ainsi défini : ni concurrence, ni privatisation. Cela signifie notamment une opposition radicale à la privatisation des secteurs qui ne le sont pas encore (SNCF ou La Poste), et la renationalisation des secteurs qui ont été privatisés, afin de reconstruire une seule entreprise, entièrement publique, ayant le monopole des missions de service public.
Mettre la priorité sur les besoins sociaux impose l’organisation des services publics par la collectivité, ainsi qu’une cohérence et une complémentarité dans des services de transports ou d’énergie. La logique de service public implique aussi que l’on cherche à satisfaire tous les besoins dans un domaine, donnant ainsi accès à tous au plus haut niveau de qualité. Cela est vrai, par exemple, dans le domaine des télécommunications, téléphonie mobile et Internet, dans lequel chacun voit que les prestations de qualité ne sont développées et mises en œuvre que si elles sont une source de profit et ne sont, de ce fait, pas accessibles à tous, au moins dans leurs versions les plus développées, au moment où un certain nombre de démarches administratives nécessiteront un accès à Internet rapide et la possession d’un ordinateur. La même démarche doit s’appliquer dans les transports ferrés, où la logique européenne est de développer des trains de luxe d’un côté, des « bétaillères à salariés » de l’autre.
Les services publics sont donc une question démocratique de première importance ; une question sociale aussi, pour permettre aux salariés de ne pas seulement avoir droit au minimum vital, mais à des services de qualité à bas prix, à la pointe des progrès, mis en œuvre pour l’amélioration du service et non pas l’augmentation du profit envisagé par une minorité de privilégiés.
Encart
Et le PS ?
Ségolène Royal s’est prononcée, dès le début de son « pacte présidentiel », pour « des services publics de qualité présents sur tout le territoire ». Et, un peu plus loin, pour la création d’« un pôle public de l’énergie entre EDF et GDF ». Aussitôt, nombre de commentateurs ont évoqué un positionnement à gauche, en déduisant hâtivement que Ségolène Royal, si elle était élue, reviendrait sur les privatisations clés, la seule citée étant d’ailleurs celle de GDF.
Conclusion bien rapide et de courte mémoire ! Dans son programme commun de la gauche plurielle, qui permit son arrivée au gouvernement en 1997, Lionel Jospin avait explicitement écrit la même chose sur France Télécom. La loi permettant l’ouverture du capital ayant été votée à l’Assemblée, Jospin s’engageait à revenir sur cette loi et, en tout état de cause, à ne pas la faire appliquer. Moins de trois mois après son arrivée au gouvernement, il procédait à la première ouverture du capital de France Télécom, première étape de la privatisation totale de l’opérateur.
D’ailleurs, pour le Parti socialiste, l’ouverture du capital d’EDF représentait alors un moyen de « conforter les moyens de financement propres à l’entreprise », « d’assurer la sécurité des approvisionnements », de « permettre le développement industriel et scientifique de l’entreprise ».
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L’enseignement des renseignements
Il est illusoire de croire que, lorsque des domaines relevant du service public sont ouverts à la concurrence, les services publics survivent. Il suffit de regarder de près ce qu’il reste du service public des télécommunications, après dix ans de déréglementation. La logique est imparable. Les « missions » de service public sont d’abord réduites à la portion congrue, sous l’appellation de « service universel », qui signifie, en réalité, « service minimum » : le téléphone de base, les cabines, les renseignements téléphoniques et l’annuaire dit « universel ». N’y figurent pas, bien sûr, l’Internet à haut débit (ADSL), les mobiles, autrement dit aucune des technologies les plus développées actuellement et qui servent de support à l’essentiel des communications et services d’aujourd’hui et, surtout, de demain. On peut imaginer ce que donnerait ce genre de définition concernant La Poste ou les chemins de fer.
Ensuite, ce n’est pas parce qu’un domaine relève des missions de service public qu’il n’est pas, par ailleurs, ouvert à la concurrence. L’exemple des renseignements téléphoniques est là pour en illustrer le résultat. Les numéros commençant par 118 se sont multipliés, leurs opérateurs promoteurs dépensant des millions d’euros en publicité pour se lancer. Résultat : il y a aujourd’hui moins de clients de tous les 118 réunis que de l’ex-12 à lui seul ! Les prix ont flambé : le récent rapport de l’Arcep, organisme régulateur de La Poste et des télécoms, souligne qu’un renseignement avec mise en relation peut coûter jusqu’à 3,05 euros, alors que le défunt 12, il y a un an, facturait le même service moins d’un euro ! Quant au 118 « réservé » à la mission de service public (le 118 711), dont France Télécom a la charge, il est interdit de publicité. Pourquoi ? Parce que, si France Télécom lui faisait de la publicité, cela le favoriserait par ailleurs sur son numéro de renseignements « commercial », le 118 712 ! Il est donc quasiment inexistant, et le « régulateur européen », toujours désopilant dans ces cas-là, en a déduit : « Le marché remplit très bien son office sans le service public, nous nous interrogeons sur l’utilité de laisser les renseignements dans le service universel » ! L’ouverture à la concurrence tue le service public. CQFD.