“La pêche a toujours été l’un des principaux obstacles à un accord entre l’UE et le Royaume-Uni sur l’après-Brexit. Aujourd’hui, elle est en train de devenir l’un des problèmes les plus épineux”, prévient d’emblée The Guardian. Avec la question des aides d’État, celle de l’accès aux stocks de poisson de la Manche et de la mer du Nord constitue un casse-tête. Et ce n’est pas nouveau : les négociations actuelles ont un fameux air de déjà-vu.
Voilà un demi-siècle, le sujet avait déjà failli faire capoter… l’entrée du Royaume-Uni dans le bloc. “Huit heures seulement après le début des pourparlers d’adhésion, le 30 juin 1970, les Britanniques ont eu une mauvaise surprise, raconte le journal londonien.
“Les six membres de la Communauté économique européenne avaient convenu d’établir une politique commune de la pêche (PCP) en négociant rapidement un accord (une question qu’ils esquivaient depuis douze ans), au moment précis où le Royaume-Uni, l’Irlande, le Danemark et la Norvège, pays riches en poissons, frappaient à la porte.”
Les fonds marins sont alors devenus un sujet explosif. Au point de faire douter le gouvernement britannique de sa capacité à convaincre les députés de voter l’entrée dans le marché commun. “C’est d’ailleurs à cause de la pêche que la Norvège a refusé d’entrer dans la Communauté européenne”, précise The Guardian.
Les chalutiers européens puisent largement dans les eaux britanniques
Aujourd’hui, comme en 1970, les tensions concernent le partage des réserves halieutiques et l’accès des chalutiers européens aux eaux britanniques. D’après un rapport de l’université écossaise des Highlands and Islands, 58 % des poissons et des mollusques pêchés dans la zone économique exclusive (jusqu’à 370 kilomètres des côtes) du Royaume-Uni en 2016 l’ont été par des navires d’autres États membres.
Certes, depuis les années 1980, Londres est déjà parvenu à graduellement augmenter la part de ses prises, au terme d’intenses négociations, qui visaient à “protéger les petites communautés de pêcheurs, surtout en Écosse et en Irlande du Nord”. Mais le gouvernement conservateur et les professionnels du secteur en veulent beaucoup plus. À la faveur du Brexit, Boris Johnson souhaite doubler les prises, au détriment des navires français, espagnols et néerlandais.
Si la pêche ne pèse que 0,1 % dans le PIB britannique, le sujet est hautement symbolique : il est l’illustration d’une souveraineté retrouvée. D’autant que de nombreux pêcheurs ont voté oui à la sortie de l’UE dans l’optique de se libérer des contraintes européennes en la matière.
Pas d’accord, pas d’accès mutuel aux eaux territoriales
Mais Bruxelles ne l’entend pas de cette oreille. “Influencée par huit États membres qui pêchent dans les eaux britanniques, la position initiale de l’UE est que le Royaume-Uni doit accepter le statu quo, autrement dit : les bateaux européens peuvent continuer à faire de belles prises dans les eaux britanniques”, détaille le quotidien europhile. De l’aveu même de son négociateur en chef, Michel Barnier, la position de l’Union est “maximaliste”.
Pour atteindre un accord, les deux parties devront lâcher du lest, estime The Guardian. Et vite, car si rien n’est signé avant la fin de la période de transition, le 31 décembre 2020, les chalutiers européens n’auront, tout d’un coup, plus du tout accès aux eaux britanniques – et vice versa. En outre, des barrières douanières s’érigeront du jour au lendemain. Une mauvaise nouvelle pour les pêcheurs britanniques, dont les deux tiers des produits de la mer sont exportés vers le continent.
“Le compromis final ne se situera peut-être pas à mille lieues du statu quo actuellement en vigueur – un marchandage mesquin autour des quotas de pêche mené chaque année dans une atmosphère de bocal”, avance le quotidien londonien.
“Le système actuellement en vigueur dans l’UE, avec des totaux admissibles de captures [TAC] fixés chaque année, est basé sur une formule de partage des stocks”, ajoute The Guardian. En d’autres termes, les négociations actuelles, qui paraissent déjà interminables, ne seraient qu’un tour de chauffe. “Les ministres britanniques pourraient bien continuer à ferrailler à Bruxelles sur les quotas de cabillaud et de sprat pendant des années encore.”
The Guardian
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