Au 9 septembre, le Pérou déplorait plus de 30 123 décès dus au Covid-19, rapporte le quotidien Expreso, citant les derniers chiffres du ministère péruvien de la Santé. Le pays andin affichait à cette date plus de 702 000 cas positifs détectés, sur une population de 32 millions d’habitants.
La mortalité liée à l’infection par coronavirus est la plus élevée d’Amérique latine et désormais la plus importante dans le monde, selon l’université Johns Hopkins citée par BBC Mundo, avec 87,53 décès pour 100 000 habitants. Ce taux place le Pérou devant le Brésil et le Mexique en nombre de décès, et également devant les États-Unis.
Le Pérou a pourtant très tôt, dès le 16 mars, imposé un confinement strict de la population et un couvre-feu. À cette date, le coronavirus n’affectait pas la région aussi fortement qu’en Europe.
L’état d’urgence est alors décrété, une mesure qui vient par ailleurs d’être prolongée jusqu’à fin septembre, tandis qu’un confinement plus ciblé s’applique désormais, en particulier dans la province de Lima, qui abrite la capitale et où vit un tiers de la population. Dès le mois de mars, le gouvernement a également dispensé des aides directes aux personnes les plus vulnérables, notamment aux travailleurs du secteur informel.
Malgré ces précautions, le pays a enregistré, de mars à août, une forte surmortalité. Interrogeant des experts, les médias avancent plusieurs raisons à cette situation.
1/ Un système de santé déficient
La pandémie a surpris le pays alors qu’il ne disposait que de peu de lits de soins intensifs (entre 100 et 250 selon divers décomptes) et des équipements hospitaliers insuffisants, “avec pour conséquence le décès de nombreuses personnes qui n’ont pu être secourues”, rapporte César Cárcamo, un épidémiologiste péruvien cité par El País. En quelques mois, le gouvernement a porté la dotation en équipements de soins intensifs à 1 200, un nombre qui reste très insuffisant face à l’afflux de patients, selon les experts.
À ce problème s’est ajouté celui du manque de personnel médical spécialisé et de médecins dans les centres de santé. “Dans les faits, les centres de santé n’ont pas été efficaces car nombre de médecins qui y étaient affectés avaient un âge les exposant fortement au risque, tandis que les autres étaient déployés dans les hôpitaux”, poursuit César Cárcamo, qui fait partie d’un groupe d’appui au gouvernement pour lutter contre la pandémie.
Globalement, les dépenses de santé du Pérou s’élèvent à 4,9 % (pour 2017), contre une moyenne de 8,8 % dans les pays de l’OCDE. Ces dépenses ont néanmoins augmenté ces vingt dernières années.
Les trop faibles ressources médicales, notamment en personnel, n’ont pas permis le suivi des cas contacts de patients positifs, ni la prise en charge suffisante des malades qui appellent le numéro d’urgence. Le Pérou a bien multiplié les tests (plus de trois millions à ce jour), mais en utilisant des tests rapides “présentant de fortes marges d’erreur”, souligne El País. En mars, le pays ne disposait que d’un seul laboratoire pour fabriquer des tests moléculaires (virologiques).
Enfin, comme l’ont montré les images de patients reliés à des bouteilles d’oxygène dans la rue, les hôpitaux, sous-équipés en oxygène, ont conseillé aux malades de s’en procurer sur le marché. Une situation qui a pesé lourdement sur le budget des familles avant que le gouvernement, en juin dernier, ne passe une commande massive de bouteilles.
2/ Précarité économique et promiscuité
“Le travail informel et l’entassement [à domicile] affaiblissent l’efficacité du confinement”, résume César Cárcamo. Près de 70 % des Péruviens travailleraient de façon informelle, gagnant leur vie au jour le jour et très souvent contraints de sortir de chez eux.
Dans ces conditions, deux facteurs se conjuguent pour propager le coronavirus : l’obligation de sortir malgré le confinement pour aller travailler et la promiscuité dans des logements exigus et des immeubles surpeuplés.
De surcroît, deux autres facteurs ont aggravé la contagion, observe pour BBC Mundo un universitaire péruvien, Hugo Nopo : l’obligation pour la majorité des personnes de se déplacer dans les banques pour percevoir les aides octroyées par l’État, et le commerce de détail, essentiellement présent sur les marchés.
Transparence
Conscient de ces effets négatifs, le gouvernement a réagi, mais il était sans doute déjà trop tard.
Interrogé sur le niveau de mortalité dans le pays, le président du Conseil des ministres du Pérou, Walter Martos, a déclaré à la chaîne péruvienne RPP que ces chiffres reflètent aussi la transparence du gouvernement :
“Je ne connais pas d’autre pays que le Pérou qui soit aussi transparent sur le nombre de morts liés à cette pandémie. Bon nombre de cas supposés ont été enregistrés dans nos décomptes, ce qui augmente le nombre de morts dans les statistiques.”
Sabine Grandadam
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