Impensable il y a cinq ans, la bataille entre le français Areva et l’indien Suzlon Energy pour le contrôle de REpower illustre la surenchère actuelle. De 850 millions d’euros fin janvier, le prix du fabricant allemand d’éoliennes pourrait atteindre 1,3 milliard d’euros si Suzlon renchérissait sur la dernière offre du groupe nucléaire valorisant déjà REpower à 1,13 milliard (Le Monde du 16 mars).
Quand elle se retourne sur un passé récent, Anne Lauvergeon, la présidente du directoire d’Areva, a de quoi pester : en 2004, le gouvernement et l’Agence des participations de l’Etat (APE) lui avaient refusé l’acquisition du danois Bonus pour 350 millions d’euros. Racheté par Siemens, il vaut aujourd’hui près de 2 milliards d’euros.
Le gouvernement semble un peu plus conciliant qu’il y a trois ans tout en redoutant une « bulle ». Un mot que le ministre des finances, Thierry Breton, n’hésite pas à utiliser quand il parle des énergies renouvelables. Il a donné son feu vert à la première surenchère d’Areva, mais il ne souhaite pas que Mme Lauvergeon rachète REpower « à n’importe quel prix ». La présidente du groupe de nucléaire nuance, vendredi 23 mars, dans Le Figaro : c’est Jacques Chirac qui « a toujours pris position pour favoriser le développement d’Areva », notamment dans le cas de REpower.
DES « TSUNAMIS D’ARGENT »
Mme Lauvergeon, qui a acheté 29,9 % de REpower à 32 euros l’action et propose aujourd’hui 140 euros, ne croit pas à une bulle. « Chez les exploitants peut-être, analyse-t-elle, pas chez les fabricants d’éoliennes. REpower est, pour Areva, un investissement raisonné et raisonnable de l’ordre de 300 millions d’euros. »
Analyste à la Société générale, Didier Laurens constate bien « un afflux énorme de liquidités », mais il souligne qu’« il y a la perspective de cash-flows (bénéfices très importants) très importants ». Une bulle ? « Globalement, on peut justifier les valorisations actuelles, répond-il. Contrairement à Internet, on a des actifs matériels, des éoliennes et de la production d’électricité. »
Tout semble militer en faveur des énergies vertes - notamment l’éolienne : fin programmée des sources d’énergie fossiles, dépendance croissante aux grands fournisseurs (Russie, Moyen-Orient), promesses lointaines du charbon propre, urgence à produire de l’énergie sans C02, part minime (3 % hors hydraulique) des renouvelables dans la production d’électricité.
Tous les groupes d’énergie s’y sont mis et de petites sociétés se développent dans cette niche (La Française d’éolienne, Théolia...). Introduite jeudi 22 mars à la Bourse de Bruxelles, l’action d’Air Energy a été sursouscrite cinq fois. Le titre de Théolia a gagné 140 % en un an. L’action d’EDF Energies nouvelles est passée en quatre mois de 28 à 42 euros.
Pour les fabricants, les carnets de commandes sont pleins pour des années. Et pour les exploitants d’éoliennes, le risque très calculé. Ils bénéficient, en effet, des tarifs de rachat par EDF garantis sur quinze ans, ce qui leur donne visibilité et rentabilité (de l’ordre de 20 %). Une aide trop élevée, juge la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Ces tarifs constituent « un soutien disproportionné à la filière éolienne » et offrent aux investisseurs « une rentabilité très supérieure à ce qui serait nécessaire pour susciter l’investissement ».
Sans oublier qu’il représente, selon la CRE, « un moyen très coûteux pour la collectivité » d’atteindre ses objectifs (21 % d’électricité à base d’énergies renouvelables en 2010). « Le kWh d’éolien coûte deux fois plus cher que celui du nucléaire », calcule Colette Lewiner, directrice du secteur l’énergie de Capgemini. Elle estime le risque d’emballement boursier « réel » et s’attend que l’opinion prenne tôt ou tard conscience du coût et des limites de l’éolien.
Cette spéculation sur les actifs de l’éolien a commencé à se former en Allemagne en 2003 et en Espagne début 2006, puis en France. Elle va se développer aux Etats-Unis, pronostique Robert Bell, professeur de management à l’université de New York, dans La Bulle verte (Ed. Scali). « Les investisseurs institutionnels libéreront des tsunamis d’argent dans la nouvelle énergie », assure-t-il. Notamment les assureurs, de plus en plus inquiets des conséquences sur leurs résultats des catastrophes naturelles liées au réchauffement climatique. La bulle se formera après l’élection de 2008, quand le nouveau président américain devra changer de politique énergétique (après le tout-pétrole des années Bush).