De violents bombardements avec utilisation de l’aviation et de l’artillerie lourde ont éclaté tôt dans la matinée le dimanche 27 septembre à la frontière entre l’Azerbaïdjan et le Haut-Karabakh. Cette province sécessionniste de l’Azerbaïdjan entièrement peuplée d’Arméniens a déclaré son indépendance en 1991. Elle est soutenue, mais à ce jour pas officiellement reconnue, par l’Arménie.
Bakou et Erevan, embourbés dans ce conflit ethno-territorial depuis plus de trente ans, s’accusent mutuellement d’avoir déclenché les hostilités et s’en renvoient la responsabilité. Les combats sont bien plus meurtriers que ceux qui ont opposé les belligérants en juin. Dimanche 27 septembre au soir, à en croire les statistiques officielles, on dénombrait 16 soldats morts et une centaine de blessés (dont des civils) côté arménien, cinq militaires tués et 19 blessés côté azerbaïdjanais, ainsi que des dizaines d’équipements militaires azerbaïdjanais détruits (chars, blindés, hélicoptères, drones). Lundi 28 septembre, le ministère de la Défense du Haut-Karabakh a revu le bilan à la hausse, parlant de 39 morts au total, dont sept civils.
Cette montée de la tension pourrait bien être “la plus dangereuse depuis le cessez-le-feu de 1994”, met en garde le journal russe en ligne Vzgliad.
Dans une allocution à la nation, le président azerbaïdjanais, Ilham Aliev – qui promet de reconquérir la province séparatiste, de mettre un terme à ce qu’il qualifie d’occupation arménienne et d’y faire revenir les Azéris –, a confirmé des pertes parmi les forces armées et les civils, et annoncé : “Leur sang sera vengé. C’est une énième illustration du fascisme arménien”, cite le journal azerbaïdjanais Zerkalo.az.
Le Haut-Karabakh et l’Arménie ont décrété la mobilisation générale et la “loi martiale”. En outre, le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, a annoncé une possible reconnaissance par l’Arménie de l’indépendance du Haut-Karabakh.
Le couvre-feu et la loi martiale ont été adoptés dans certaines grandes villes d’Azerbaïdjan, dont Bakou. “La guerre”, titre le quotidien arménien Golos Armenii pour résumer la situation. Mais Aliev doit savoir, continue le journal, qu’il aura face à lui “ceux qui ont gagné dans la guerre de l’Artsakh [nom arménien du Haut-Karabakh] dans les années 1990, et les enfants de ces vainqueurs”.
“Ils veulent la guerre ? Ils l’auront. Nous honorerons notre devoir devant notre patrie et les générations futures. C’est une guerre jusqu’au bout. Notre nation tout entière accepte le défi et gagnera”, a martelé le président du Haut-Karabakh, Araïk Aroutiounian, cité par le journal. Même détermination dans les forces armées karabakhies, dont le commandant, Djalal Aroutiounian, a affirmé : “Nous défendons le droit de vivre sur la terre de nos ancêtres, Dieu est avec nous et nous vaincrons.”
Le ministre de la Défense arménien, David Tonoïan, cité par le média arménien en ligne Panorama.am, promet “une riposte sévère comme jamais aux pouvoirs azerbaïdjanais qui surestiment leurs ressources” et “ne comprennent que le langage de la force”.
Une agression turco-azerbaïdjanaise ?
Alors pourquoi cette montée de violence, s’interroge-t-on ? “L’Arménie n’a pas intérêt à détruire le statu quo, il l’arrange, car le Haut-Karabakh est de fait indépendant et sa sécurité est indirectement garantie par la Russie, partenaire [militaire] de l’Arménie via l’Organisation du traité de sécurité collective”, analyse Vzgliad.
En revanche, en Azerbaïdjan, le thème du Haut-Karabakh a été “tellement sacralisé que la population réclame la résolution du problème séparatiste par tous les moyens, d’autant qu’on lui assène chaque jour les chiffres faramineux des investissements dans l’armée, supérieurs au budget annuel de l’État arménien”, poursuit le titre.
Pour l’historien arménien Armen Aïvazian, dans Golos Armenii, “cette agression n’est pas une agression de l’Azerbaïdjan contre l’État arménien, mais une agression turco-azerbaïdjanaise, car toute la planification a été faite sous la houlette des généraux turcs”. Depuis le 28 juillet, les manœuvres militaires conjointes entre Ankara et Bakou sont devenues “quasi quotidiennes”, et “toute l’information ouverte et disponible à tout un chacun montrait que l’agression était inévitable”.
Des hostilités destinées à ne pas durer
“Les hostilités seront violentes, mais vraisemblablement de courte durée”, analyse le quotidien moscovite Nezavissimaïa Gazeta, car, selon l’expert militaire russe Viktor Mourakhovski, pour une opération militaire d’ampleur, l’Azerbaïdjan doit déployer à la frontière avec l’Arménie au moins la moitié de ses forces armées. Or, ce n’est pas le cas, “par conséquent, sur le plan purement militaire, ce qui se passe n’est pas sérieux”.
Le journal russe en ligne Gazeta.ru livre une analyse comparative du potentiel militaire et économique des Azéris et des Arméniens. “En matière de territoire, de population (en croissance et majoritairement jeune), de PIB, de budget alloué aux forces armées, d’équipements, le potentiel de l’Azerbaïdjan est plusieurs fois supérieur : car Bakou est en mesure de payer grâce aux exportations d’hydrocarbures, bien que la chute du prix du pétrole ait un peu freiné les appétits du pouvoir.”
Cependant, le principal problème des forces armées de l’Azerbaïdjan est “la qualité et le professionnalisme des soldats et des commandants, leur volonté et leur capacité à mener une guerre, leur motivation”. Former ces effectifs est “une affaire de plusieurs décennies, même si la Turquie prête main-forte à Bakou dans ce domaine”.
“Aucune issue à cette impasse n’est pour l’heure envisageable”
Les ressources des deux pays pourraient être “dilapidées dès les premiers combats, mais alors si un conflit militaire sérieux perdure, comment vont-ils compenser les pertes en effectifs, équipements, munitions, et qui va réparer ces équipements ?” s’interroge le journal.
Pour Gazeta.ru, les deux pays sont “sans doute conscients de ces facteurs limitatifs”, et la perspective d’un conflit sanglant et durable est donc peu probable. D’un autre côté, la réconciliation des deux pays étant impossible, “aucune issue à cette impasse n’est pour l’heure envisageable”.
Alda Engoian
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