« Ce problème (écologique) nous dépasse, feignons de le maîtriser »
C’est Molière, je pense, qui mit un jour cette phrase dans la bouche d’un de ses héros. Avec l’adjectif « écologique », elle semble vraiment taillée sur mesure pour exprimer l’esprit du récent sommet de printemps de l’Union Européenne.
Pour ce qui est de feindre la maîtrise de la question écologique, en effet, les chefs d’Etat de l’UE pourraient rivaliser avec certains personnages créés par Jean-Baptiste Poquelin. Voyez avec quel aplomb ils font passer leur message : pas de panique, le réchauffement climatique est sous contrôle, nous prenons les mesures qui s’imposent. C’est du grand art !
Si l’objectif de 20% de renouvelables dans le panier énergétique de l’UE est adopté (on l’ignore, au moment où ces lignes sont écrites), le tableau, en effet, semblera impressionnant : + 20% d’efficience énergétique et 20% d’énergie verte = - 20% de gaz à effet de serre d’ici 2020. Et si les autres pays (suivez mon regard…) prenaient aussi leurs responsabilités, l’UE serait même prête à retrancher encore 10% d’émissions (30% en tout). Qui dit mieux ? N’est-il pas évident que les Français et les Hollandais qui ont dit « non » à la constitution européenne sont irresponsables d’avoir affaibli une Europe aussi si active dans la défense du climat ?
Cette image est trompeuse. Certes, le vent a tourné : les dirigeants sont bien obligés de reconnaître que la situation climatique est sérieuse. On sent même une inquiétude… Mais les moyens adoptés ne sont absolument pas à la hauteur. Et la raison apparaît en filigrane dans l’équation de l’UE. En effet, comment se fait-il que 20% de hausse de l’efficience énergétique + 20% de renouvelables ne donnent que 20% de réduction ? Pourquoi les émissions ne diminuent-elles pas en proportion, ou presque ? C’est la question à cent balles.
La réponse : parce qu’il n’est pas question de toucher à la structure économique, à la vache sacrée de la croissance et à la gestion néolibérale. Tout doit continuer à fonctionner comme si de rien n’était. Les transports, par exemple. Ils représentent 28% des émissions, et 90% des augmentations d’émissions. Une tonne transportée par camion = six fois plus de CO2 que par train. L’efficience énergétique du transport en voiture = 50% de celle du transport en métro. Une réduction radicale du transport de marchandises et une réorientation radicale de tous les transports vers le rail, à elles seules, permettraient donc de faire en sorte que 20 + 20 = bien plus que 20. Avec en plus une politique publique d’isolation des bâtiments, on dépasserait allègrement les 30%. Et on serait sur la bonne voie pour réduire les émissions mondiales de 80% environ d’ici 2050.
Seulement voilà, ça ne ferait pas l’affaire du monde des affaires. L’UNICE l’a dit sans ambages : la politique énergétique doit être basée en priorité sur « la philosophie (sic) de l’économie de marché » et sur la « protection de la compétitivité ». Donc sur le profit. Donc notamment sur les transports, clé de voûte du just in time mondialisé et de la flexibilité tous azimuts. Donc aussi sur la publicité, la fabrication d’armes, les centrales nucléaires (décrétées « sources d’énergie sans carbone »), les monocultures géantes dans le tiers monde (pour produire les biocarburants) et les masses de gadgets censés nous faire oublier la pauvreté des relations humaines dans une société qui tourne à vide pour l’immense majorité d’entre nous.
Et tout ça pourquoi ? Parce que, pour la minorité privilégiée, cette société ne tourne pas à vide : le profit gicle à gros jets. Pour ces gens-là, tout peut changer à condition que rien ne change, c’est-à-dire que l’accumulation continue. Voilà l’explication du fait que, pour le sommet de l’UE, 20 + 20 = 20 (et sans doute moins que 20, car il y a loin de la coupe aux lèvres). La réponse néolibérale au changement climatique est incompatible non seulement avec le social et l’environnemental, mais aussi avec l’arithmétique