Nous avons une tendance croissante à nous souvenir de l’apparition des réfugiés en 2015 comme du début de la guerre historique entre les Hongrois et les migrants. Pourtant, ce constat ne reflète pas notre passé proche, mais la manière dont la propagande travestit la réalité.
Durant l’été 2015, l’atmosphère était tout autre. À l’époque, le service dédié aux questions de sécurité de la municipalité m’invita en tant que journaliste pour le portail Index, afin de partager mon expérience du terrain et d’aider les dirigeants de Budapest à traiter la situation.
L’année précédente, j’avais déjà remarqué qu’un nombre important de personnes venues de loin étaient à nos frontières. D’articles en vidéos, j’ai expliqué pourquoi des masses de réfugiés fuyaient le Moyen-Orient, comment ils sont arrivés en Turquie puis ont traversé la mer, et de quelle manière ils pénétraient en Hongrie via la frontière “verte” méridionale.
Le chef de la police était désemparé mais à l’écoute
À l’été 2015, lorsque les réfugiés se massaient à la gare de Keleti, je connaissais globalement leur histoire. C’est alors que je reçus cette fameuse lettre de la mairie dirigée par István Tarlós [ancien édile proche de Viktor Orbán], demandant mon aide pour résoudre cette affaire. Il n’était absolument pas encore question d’instrumentalisation. Les services de police de la municipalité ne savaient plus où donner de la tête. Des milliers de personnes patientaient sur le parvis de la gare et aux alentours.
La Ville voulait savoir comment parer au risque de contamination infectieuse, à l’accumulation d’ordures et à l’apparition de situations chaotiques. Le chef de la police était désemparé mais à l’écoute. Cela le surprenait que ces réfugiés attendant des trains vers l’Autriche et l’Allemagne souhaitent partir au plus tôt et que peu d’entre eux aient de quoi s’offrir un hébergement. Il écrivit que ces personnes auraient besoin d’un lieu temporaire capable de les accueillir en remplacement de la gare et décida que ses services monteraient tentes et douches, tout en affirmant que les réfugiés bénéficieraient d’un suivi médical.
Le projet prévoyait également que ces derniers reçoivent les informations nécessaires pour continuer leur chemin et ne plus encombrer Budapest. Finalement, le camp ne vit jamais le jour. Les auteurs de la propagande gouvernementale réalisèrent qu’ils pouvaient utiliser le contexte pour exciter les électeurs et présenter l’exécutif comme un sauveur, en suscitant la haine et la crainte envers les étrangers.
D’un coup, la municipalité ne cherchait plus de solution. Comme si elle avait oublié les réfugiés s’entassant jour après jour à Keleti. Comme si, en laissant des milliers de personnes s’installer sous la gare dans une zone partiellement couverte, elle désirait cacher la crise aux Budapestois.
Et puis la gare fut fermée..
Du haut des rambardes près de l’arrêt de bus, le curieux pouvait contempler confortablement cette foule diverse et confuse. Les passants observaient la situation avec une perplexité compréhensible. Des familles entières étaient assises sur des couvertures. Des mères changaient les couches de leurs bambins. Les enfants plus âgés jouaient au football. Les hommes lézardaient ou essayaient d’acheter des billets de train.
Et puis, la police ferma la gare comme si l’intérêt des forces de l’ordre était d’attiser la tension. Des milliers de personnes se retrouvèrent coincées dans le centre de Budapest, sans aucune possibilité de revenir vers Keleti ou de monter dans un train, tandis qu’aucun service étatique ou municipal ne s’attelait à résoudre le problème.
L’explosion semblait inéluctable, mais elle fut évitée grâce à la mobilisation d’ONG et de simples citoyens, qui aidèrent les nécessiteux en offrant des vêtements, des repas, des sacs de couchage et des couvertures.
En juin, la propriétaire d’un bar branché a vu des familles avec enfants par terre devant la gare de Nyugati et décidé d’utiliser sa réserve pour stocker les dons adressés aux organisations caritatives. En deux jours, ces dons de nourriture, eau et produits d’hygiène furent si nombreux qu’ils servaient déjà aux bénévoles.
Le 5 septembre, la chancelière déclarait l’Allemagne ouverte aux migrants
À la fin de l’été, cependant, le renforcement de la propagande antiréfugiés déboucha sur une série d’agressions ciblant ceux et celles qui les secouraient. Ces derniers se mirent à réclamer l’anonymat lorsqu’il était question de leur activité. Parallèlement, des associations partageant l’hostilité gouvernementale manifestaient contre les réfugiés, voire se déplaçaient directement à la gare de Keleti pour les intimider.
Angela Merkel débloqua l’impasse de Keleti. Le 5 septembre 2015, la chancelière déclarait l’Allemagne ouverte aux migrants sans numerus clausus. Le feuilleton Keleti connut un final théâtral : des milliers de réfugiés empruntèrent l’autoroute à pied en direction de l’Autriche. L’image était si forte que le gouvernement hongrois lâcha du lest afin d’esquiver toute colère internationale.
Certaines personnes restées à Budapest ont été autorisées à prendre des trains et d’autres, convoyées en bus vers la frontière autrichienne. Néanmoins, la situation ne revint jamais à la normale en Hongrie. Les bons samaritains se cachèrent, tandis que les partisans de l’exclusion et du repli sur soi assumèrent de plus en plus ouvertement leur opinion.
András Földes
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