Pour les féministes japonaises, de plus en plus présentes sur la scène politique à la faveur du mouvement #MeToo, c’est la gaffe de trop qui a fait déborder le vase. Mio Sugita, députée du Parti libéral-démocrate (PLD) au pouvoir, a déclaré dans une réunion de son parti le 25 septembre que “les femmes peuvent mentir autant qu’elles le veulent” sur les violences sexuelles, relaie l’agence de presse Kyodo Tsushin. Ultraconservatrice en matière des droits des femmes et adepte des valeurs patriarcales à la japonaise, comme le rappelle le site Business Insider, elle est connue pour avoir tenu des propos très violents en qualifiant le mouvement #MeToo de “chasse aux sorcières”, et l’égalité sexuelle de “délire immoral qu’on ne pourra jamais réaliser”. Par-dessus tout, elle a provoqué de vives réactions en 2018 en affirmant que les membres de la communauté LGBT “ne sont pas productifs” car “ils ne font pas d’enfants”.
Responsabilité du parti au pouvoir
Outrées par ces propos, les féministes japonaises ont organisé une manifestation en urgence le 3 octobre, qui a réuni 200 personnes. Un chiffre exceptionnel pour un rassemblement de ce genre dans ce pays, où la manifestation n’est pas ancrée dans la culture et où la parole au sujet des violences sexuelles a longtemps été considérée comme un tabou. “Accusées à tort de mensonge, nombre de victimes ont été réduites au silence. C’est un cliché que combat le mouvement #MeToo. Les députés, eux, doivent soutenir ces victimes au lieu de les blâmer”, a martelé Jun Yamamoto, présidente d’un collectif de victimes citée par le Mainichi Shimbun.
Pour les organisations féministes, le parti PDL a lui aussi sa part de responsabilité, car Sugita bénéficie du soutien des ténors de la formation, au premier rang desquels Shinzo Abe. En 2017, ces derniers ont même accepté de la mettre à la tête de la liste proportionnelle du PLD de la région de Chugoku, dans l’ouest du Japon, faveur qui lui a permis d’être élue. “La responsabilité du PLD devrait être mise en cause”, avance l’auteure Minori Kitahara, l’une des figures principales du féminisme au Japon.
Afin d’exiger la démission de Sugita, elles ont lancé une pétition en ligne qui a déjà récolté plus de 130 000 signatures, rappelle le Mainichi. Quant à Sugita, elle a dans un premier temps nié avoir tenu ces propos avant d’admettre les faits, évoquant un contexte différent de celui présenté dans les médias.
“Il faut augmenter la part des femmes en politique”
Malgré la polémique, seul un nombre relativement limité de responsables du parti a condamné l’affirmation de Sugita. Seiko Hashimoto, ministre chargée de l’Égalité entre les sexes, a affirmé, rapporte le journal Asahi, qu’“il est très regrettable” que la députée ait tenu des propos “insultant les personnes qui font des efforts” pour lutter contre les violences sexuelles, tandis que l’ancien ministre de l’Économie Hiroshige Seko a jugé ses propos “inadmissibles”. Contrairement à ce que demandaient les militantes féministes, le parti s’est contenté de recadrer verbalement la députée. “Il est nécessaire qu’elle donne une explication précise pour que tout le monde puisse comprendre ses vraies intentions”, a déclaré Hakubun Shimomura, ancien ministre de l’Éducation chargé de la ligne politique du parti majoritaire, cité par la chaîne publique NHK. Quant à Seiko Noda, secrétaire générale adjointe du PLD, elle refuse pour le moment de recevoir les initiatrices de la pétition dans les locaux du parti.
Pour Genki Katsube, essayiste qui intervient régulièrement sur les sujets concernant l’égalité entre les femmes et les hommes, cette affaire est symptomatique du milieu politique nippon, où le nombre de députées stagne, avec 9,9 % de femmes dans la chambre basse et 22,9 % dans la chambre haute. “Les hommes politiques ne se sentent pas concernés par les affaires de violences sexuelles. Dans cette situation, même les députées, de peur de provoquer des problèmes, préfèrent se taire, écrit-il dans sa tribune publiée sur Ronza, site de débats géré par l’Asahi Shimbun. Il faut augmenter la part des politiques femmes, sinon cet immobilisme du PLD ne changera pas.”
Courrier International
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