La démocratie est en danger au Sri Lanka et les intellectuels commencent à le dire haut et fort. La réforme de la Constitution déposée au Parlement le 22 septembre par le président Gotabaya Rajapaksa est “un pas de plus vers le démantèlement” du multipartisme et de l’équilibre des pouvoirs qui avaient été péniblement instaurés en 2015, affirme ainsi The Diplomat.
Cette année-là, le clan Rajapaksa avait été chassé du pouvoir par les urnes et une coalition s’était installée au sommet de l’État pour mettre fin au régime autocratique qui prévalait jusqu’alors. Selon Jayadeva Uyangoda, chercheur en sciences politiques cité par le journal, on veut aujourd’hui “mettre fin à la démocratie parlementaire et aux traditions libérales”.
Une évolution d’autant plus “inquiétante, pour ne pas dire tragique”, que ce pays de 22 millions d’habitants est “la plus ancienne démocratie d’Asie, avec des indicateurs socio-économiques bien meilleurs que ceux d’autres pays” de la région, observe le magazine international basé à Tokyo.
Le projet de réforme, qui pourrait faire l’objet d’un vote d’ici à la mi-novembre, vise à redonner les pleins pouvoirs au président et à réduire les prérogatives du Premier ministre et du Parlement. L’exact contraire de ce qui avait été décidé en 2015 pour empêcher les Rajapaksa de reprendre les rênes du pays.
Népotisme des Rajapaksa
Mahinda, frère de l’actuel chef de l’État et aujourd’hui chef du gouvernement, avait réussi à établir un régime autocratique lorsqu’il était lui-même président (2009-2015). À l’époque, rappelle The Diplomat, le Sri Lanka était gangrené par “le népotisme et la corruption dans des proportions sans précédent”. Des membres de la famille Rajapaksa étaient “nommés ministres ou placés à la tête d’entreprises et d’administrations”. Le Parlement était “aux ordres”, les médias “réduits au silence” et le pouvoir judiciaire “rendu inutile”.
Pour justifier ce retour en arrière, Gotabaya Rajapaksa, élu président en novembre 2019 et vainqueur haut la main des législatives du 5 août 2020, dénonce “l’instabilité politique et la paralysie de la gouvernance” qui ont caractérisé la parenthèse des années 2015 à 2020. Cinq ans durant lesquels un président d’obédience socialiste, Maithripala Sirisena, et un Premier ministre de droite, Ranil Wickremesinghe, ont très difficilement cohabité, au point d’être rendus responsables des attentats islamistes sanglants du 21 avril 2019 (plus de 260 morts).
Organiser un référendum
Désormais dans l’opposition, les deux précédentes têtes de l’exécutif et leurs partis respectifs espèrent que la Cour suprême bloquera cette retouche “illégale” de la Constitution et appellent à “l’organisation d’un référendum” pour laisser la population donner son avis. Il faut absolument protéger l’article 3 de la loi fondamentale, qui stipule que “la souveraineté du Sri Lanka appartient au peuple et est inaliénable”, estime le Colombo Telegraph.
La réforme voulue par les frères Rajapaksa “viole la souveraineté du peuple” et va même jusqu’à supprimer le Conseil constitutionnel, en plus de donner au président la capacité de se débarrasser du gouvernement et de dissoudre le Parlement à sa guise, “ce qui pose un problème grave et insoluble”.
Un débat pour masquer les défis
La rapidité avec laquelle le texte, connu sous le nom de “20e amendement”, a été rédigé par la présidence pose également question. “L’approche des Rajapaksa, c’est de cacher les problèmes du pays et de contrôler le récit qui est fait de la politique actuellement menée”, analyse de son côté le Daily FT. Car le débat institutionnel, érigé “en priorité obsessionnelle du tandem Gotabaya-Mahinda, permet de faire oublier tous les autres sujets du moment, à commencer par la pandémie de Covid-19”.
Ainsi, les règles de quarantaine qui s’appliquent dans l’île depuis le mois de mars “découlent d’une loi obsolète remontant à 1897, sous l’occupation britannique”. Il aurait été bienvenu de les actualiser, explique le journal. Qui fait également remarquer que, pendant ce temps-là, l’État laisse “une dévastation environnementale de grande ampleur” se produire en toute impunité, avec “la destruction à grande échelle” des forêts, des réserves protégées et des zones humides pour construire toujours plus d’infrastructures, au nom du développement.
Guillaume Delacroix
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