Aujourd’hui, le plus intéressant n’est plus ce qui a provoqué la chute spectaculaire de Frank Jensen, c’est ce que sa démission va permettre. En deux semaines, l’histoire politique du Danemark a été marquée par la chute de deux leaders dans ce règlement de comptes avec le sexisme et les comportements déplacés dont nous connaissons le début, mais pas la fin, loin de là.
La série d’affaires que Frank Jensen a accumulées, telle une ombre noire, depuis trois décennies au sommet de la vie politique danoise devait, un jour ou l’autre à n’en pas douter, lui coûter les postes de maire de Copenhague et de numéro deux du parti social-démocrate [au pouvoir]. Son comportement lui a été fatal à deux reprises, l’indignité de ses actes et la gestion de la situation qui s’est ensuivie ayant toutes deux révélé un leader politique perdu qui n’a compris que bien trop tard (ou qui n’a pas compris du tout) la cause de sa chute.
La politique danoise bouleversée
D’abord, Frank Jensen a abusé de son pouvoir par des comportements offensants à l’égard d’un nombre important de femmes. Ensuite, il a aggravé cet abus de pouvoir en offensant deux des femmes déjà offensées. Il a intimidé l’une d’elles lors d’un entretien téléphonique et a attaqué l’autre en partageant une publication haineuse sur Facebook.
Frank Jensen a essayé de réparer une erreur fatale en commettant une nouvelle erreur fatale, et sa dernière tentative désespérée pour trouver une solution a surtout révélé qu’il n’a jamais véritablement compris son propre problème. Si l’ancien maire était manifestement incapable de voir le danger par lui-même, il faut espérer que Mette Frederiksen, présidente du parti [et Première ministre], étonnamment taciturne, ait apporté son aide en interne et ait été à la hauteur de ses responsabilités à la tête du parti.
Le départ de Frank Jensen ne doit pas faire date uniquement dans sa propre vie politique, mais aussi pour l’ensemble du mouvement #MeToo, qui a bouleversé la politique danoise avec une force que peu avaient anticipée.
Prise de conscience nécessaire
Aujourd’hui, il peut être tentant d’attendre le prochain règlement de comptes. Qu’en est-il de son camarade de parti, le ministre des Affaires étrangères Jeppe Kofod, qui, il y a douze ans, a eu des rapports sexuels avec une jeune fille de 15 ans ? Il y a cependant une différence fondamentale entre les deux affaires : Jeppe Kofod a exprimé ses regrets et ses excuses pour son comportement honteux. Et il vient de renouveler ces excuses.
Lors de la prochaine phase de confrontation nécessaire avec le sexisme, il sera décisif de voir si les coupables comprennent que les temps ont changé. Morten Østergaard [chef du Parti social-libéral, qui a démissionné début octobre] l’a compris trop tard, et Frank Jensen toujours pas, apparemment. Or ceux qui souhaitent réellement se positionner dans le bon camp de cette bataille culturelle doivent pouvoir reconnaître leurs erreurs, s’excuser et se faire pardonner.
Le départ de Morten Østergaard et de Frank Jensen ne signifie pas forcément que tous les hommes qui ont fauté doivent tomber. Mais si les dirigeants demeurent incapables de prendre conscience de leurs abus de pouvoir, il n’y a qu’une option : dehors ! C’est ce que Morten Østergaard et Frank Jensen viennent d’apprendre à leurs dépens. Espérons que d’autres sauront en tirer les enseignements.
Politiken
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