Deux idées hantent certains esprits dans la gauche radicale française et dans des milieux qui en sont plus ou moins proches. La première est que les nouvelles mesures de confinement prises par Macron et ses sbires répondraient à des objectifs qui n’ont pas grand-chose à voir avec la pandémie qui, par ailleurs serait surestimée par des scientifiques au service du pouvoir. La deuxième est que finalement, les capitalistes, du moins certains d’entre eux seraient favorables au confinement.
Sur le premier point, malgré les affirmations hasardeuses de certains [1] les chiffres sont clairs : la pandémie est en passe de submerger le système hospitalier et, en temps de paix, aucun gouvernement bourgeois (Trump constitue à sa façon une exception) ne peut apparaitre comme laissant ouvertement mourir ses ressortissants (même si chaque année meurent des centaines de SDF ainsi que de malades ou d’accidentés du travail, décès qui auraient pu être évités). Certes, les choses seraient différentes si des années de politique néo-libérales n’avaient pas systématiquement détruit des lits à l’hôpital. Certes aussi le confinement a des avantages collatéraux pour les dominants et l’Etat : il impose des contraintes supplémentaires aux travailleurs tandis que le climat de crainte les isole les uns des autres et rend plus difficile grèves et manifestations. Le quotidien financier Les Echos notait ainsi le 4 novembre l’Etat espérait que « la disparition du collectif, dans les entreprises télétravaillantes et dans les universités fermées évitera les mouvements de colère traditionnels ». D’autant que le confinement permet aussi de justifier des contrôles permanents.
Mais, fondamentalement, Macron et les représentants du capital (Medef et autres organisations patronales) ne voulaient pas d’un nouveau confinement et s’efforcent d’ailleurs depuis plusieurs mois d’atténuer les protocoles sanitaires dans les entreprises et dans le système scolaire. Il en est de même, à des degrés divers, des homologues étrangers des dirigeants français. Car un confinement strict signifie que la machine à exploiter les travailleurs et à accaparer la plus-value est globalement en panne. C’est ce qui débouche sur la crise économique tout à fait particulière que nous connaissons [2].
A propos des capitalistes et du confinement, on lit parfois que les capitalistes ne seraient pas opposés au confinement car ils (ou tout au moins certains d’entre eux) seraient gagnants (et bénéficieraient par ailleurs des aspects disciplinaires évoqués plus haut). Certains (Amazon et consorts, la grande distribution) vont effectivement à nouveau profiter du reconfinement et le fait qu’Airbus et Boeing plongent n’est pas leur souci prioritaire. Il faut en fait comprendre que comme l’a analysé Marx, le fonctionnement de cette économie repose sur la concurrence entre des « capitaux nombreux ». A tout instant, dans cette lutte entre requins, il y a des perdants et des gagnants et la pandémie ne fait pas exception. Mais, globalement, le confinement et l’incertitude liés aux vagues successives de la Covid sont, comme cela a été écrit plus haut, est un facteur essentiel de cette crise économique où les scénarios de reprise en V sont démentis par les faits.
Un des arguments avancés à l’appui de la thèse du « complot capitaliste » est qu’entre mai et octobre, il n’y a eu en France aucune création de capacités hospitalières. Ici intervient, une deuxième caractéristique de la réalité de ce système qui, comme l’écrivait Ernest Mandel, combine « rationalité économique partielle dans chaque « cellule » du système (…) avec une irrationalité globale de plus en plus criante, au niveau de la société humaine. [3] » Une première rationalité partielle conduit à considérer les crédits de la santé comme des coûts à réduire au nom de l’équilibre budgétaire et de l’envolée de la dette publique indépendamment des conséquences que cela peut avoir sur les patients et les soignants. Ceci alors qu’on réduit les impôts les sociétés et les grandes fortunes au nom d’une autre rationalité partielle. Une troisième rationalité partielle conduit à fabriquer de plus en plus de SUV et à négliger ou à renvoyer à plus tard les conséquences du dérèglement climatique. La combinaison de ces rationalités partielle conduit à une irrationalité globale : celle d’un système économique marqué par des inégalités croissantes et la perspective d’une catastrophe climatique.
Derrière ce nouveau confinement, il n’y a pas de « complot », ni de l’Etat, ni de certains capitalistes mais des caractéristiques fondamentales de ce système auxquelles seuls mettront fin son renversement et son remplacement par une société et une économie organisées pour le plus grand nombre : une société réellement démocratique et une économie planifiée, ne détruisant pas aveuglément les écosystèmes. Comme l’écrivait aussi Ernest Mandel, « l’humanité ne peut plus se payer le luxe de la « libre entreprise [4] ».
Aujourd’hui, au stade où nous en sommes, un confinement est nécessaire mais cela ne justifie pas accepter des mesures « dont le but est d’interdire aux gens d’avoir des activités de loisir, de détente, des activités politiques, syndicales, de lutte, alors même que le travail, et en particulier l’activité salariée, elle, continue. [5] »