Le scrutin en Birmanie du 8 novembre dernier assure un triomphe au parti au pouvoir, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), et à sa très populaire conseillère d’État, Aung San Suu Kyi [chef de l’État de fait]. Les résultats préliminaires annoncés le lendemain du scrutin, et confirmés depuis, consacrent une nouvelle victoire écrasante, comme en 2015 [les premières élections libres après cinquante années de régime militaire]. Le parti remporte la plupart des régions centrales du pays ainsi que Rangoon, la capitale économique du pays.
Cette victoire ne faisait guère de doute. Mais son ampleur est surprenante, d’autant que les élections ont eu lieu en pleine vague de l’épidémie de Covid-19 : la plupart des habitants de Rangoon étaient confinés et pour de nombreux candidats les restrictions de déplacement et de quarantaine ont compliqué l’organisation de la campagne. Cela n’a pas empêché la tenue de grands meetings électoraux dans certaines régions rurales et des villes de province. De nombreux partisans de la LND ont fait fi des risques de contamination.
Des partis ethniques affaiblis
La principale formation d’opposition, le Parti de l’union pour la solidarité et le développement (USDP), essuie un revers encore plus cuisant qu’il y a cinq ans, perdant de nombreux sièges, notamment à Naypyidaw, la capitale. [L’USDP conteste le résultat du scrutin et demande de nouvelles élections.] C’est un signe que l’USDP ne bénéficie plus du soutien total de l’armée birmane, la Tatmadaw, même si les deux institutions restent proches. Le résultat du scrutin signale tant l’opposition des Birmans à l’implication des militaires dans le gouvernement que leur soutien à Aung Suu Kyi. En 2015, le rejet de l’USDP était une façon de dire aux militaires de se retirer de la politique ; en 2020, le message est de ne pas y revenir.
La véritable surprise réside dans les résultats inégaux obtenus par les partis des minorités ethniques. [Celles-ci contestent depuis la création de la fédération birmane en 1948 la primauté des Bamars, membres de l’ethnie majoritaire, sur la vie politique du pays.] L’État d’Arakan [dans l’Ouest, où ont eu lieu les exactions de l’armée contre la minorité rohingya] a une fois de plus été au centre de l’attention. Les élections y ont été annulées dans neuf districts. Une décision qui s’apparente à un redécoupage électoral abusif destiné à contrecarrer les aspirations du Parti national arakanais (PNA). Principal rival de la LND, il avait remporté la moitié des sièges de l’État en 2015. Le PNA remporte néanmoins sept sièges au Parlement de l’État Rakhine, la LND, quatre, et les sièges réservés à l’armée sont passés de 12 à cinq. [En vertu de la Constitution adoptée en 2008 sous la junte militaire, l’armée se voit garantir 25 % des sièges dans les Assemblées, et conserve trois ministères.]
Plus d’un million d’électeurs privés de vote
La colère provoquée par ce redécoupage électoral de fait, privant 1,2 million d’électeurs de la possibilité de voter, va continuer de nourrir le soutien à l’insurrection de l’armée de l’Arakan [milice armée arakanaise]. Ce conflit meurtrier a entraîné la mort de milliers de combattants ces trois dernières années et déplacé plus de 220 000 civils. La LND, qui a voulu tuer dans l’œuf les aspirations électorales du PNA, pourrait bien en payer le prix avec une recrudescence de violences contre l’État central.
Les partis des minorités ethniques ont également obtenu des résultats inégaux dans d’autres régions. Dans les États Môn et Shan, ils ont réalisé des avancées modestes, mais dans les États Karen, Kachin et Chin, le soutien aux partis locaux s’est pratiquement effondré.
Une gouvernance autocratique
Que laissent présager ces résultats ? Pour la majorité de la population, qui vit dans les régions où la LND a obtenu un fort soutien, ces élections consolident les acquis démocratiques, sans apporter d’évolution majeure. Il est peu probable qu’Aung San Suu Kyi modifie sa gouvernance autocratique, même si elle fait face à l’urgence de la question de sa succession. Elle aura 80 ans lors des prochaines élections, en 2025.
La LND doit s’attaquer aux problèmes structurels : le processus de paix [au point mort], le changement de Constitution, le développement économique, l’impact du Covid-19, et une réduction probable des investissements étrangers et de l’aide occidentale. Lors de son premier mandat, la LND n’a pas abordé ces enjeux de manière convaincante, préférant porter ses efforts sur le culte de la personnalité de sa dirigeante au détriment du dynamisme du pays et de l’innovation.
Une armée toujours puissante
Dans les zones des minorités ethniques, l’avenir risque d’être différent, même avec une forte présence de la LND. Car le manque de représentation parlementaire des partis des minorités risque d’accentuer le ressentiment à l’égard de ce que beaucoup perçoivent [dans ces zones] comme une négligence du parti au pouvoir, une oppression militaire constante et un pillage économique par les États voisins, comme la Chine.
Les retombées politiques des élections pourraient contredire les résultats électoraux et conduire les plus exaspérés, en particulier dans les États d’Arakan et Shan, à soutenir des solutions plus violentes. Quant à la Tatmadaw, peu de chance qu’elle accepte d’être réformée ni qu’elle renonce à ces méthodes violentes de “pacification”, et elle refusera toute concession susceptible de renforcer la LND.
Les forces armées ne transigeront pas non plus avec les exigences des groupes armés des minorités ethniques, qui réclament de véritables solutions à l’échelle fédérale aux problèmes politiques, et les contraindront plutôt à céder. Malheureusement, les élections de 2020 révèlent un pays divisé et presque irréconciliable.
David Scott Mathieson
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