Nos lointains ancêtres vivaient, dit-on, en harmonie avec leur environnement. Exerçant une prédation limitée, à l’occasion eux-mêmes victimes des prédateurs, ils s’intégraient et participaient aux écosystèmes qu’ils ne dégradaient pas : le premier australopithèque découvert en 1924 en Afrique du Sud agrémentait les reliefs fossiles des repas d’un grand fauve.
L’usage du feu, grand acquis technologique de l’humanité depuis 700 000 ans, avant l’apparition des Homo sapiens modernes, a bouleversé cet état d’équilibre ancestral. Utilisé pour se protéger, cuire les aliments, se chauffer et traquer le gibier, puis tardivement pour défricher, il a très tôt provoqué la destruction de surfaces immenses de couvert végétal, sans commune mesure avec les besoins alimentaires et le nombre des habitants. Ces actions sans précédent dans l’histoire de la vie interdisaient une régénération des milieux aussi rapide que les atteintes qui leur étaient portées.
Pour la première fois, une forme de vie s’emparait rapidement de nouveaux territoires et les transformaient selon sa volonté, au dépens des autres formes de vie. Sa population se développait vertigineusement, tandis que son action de plus en plus agissante sur l’environnement provoquait la disparition de nombreuses espèces. Plus récemment, et par une chasse ciblée extrêmement efficace et sans frein, l’homme a exterminé directement de nombreux animaux, depuis 50 000 ans, sur tous les continents, devenant le plus grand ravageur que la Terre ait jamais porté. A de nombreuses occasions, l’éradication totale d’espèces, qui auraient sans doute présentées un intérêt économique majeur si elle avaient été préservées (comme le dodo des Mascareignes), fut opérée en un temps très court par cupidité ou ignorance. Le même processus continue à grande échelle avec la destruction des forêts primitives tropicales et alors même que de nombreuses solutions alternatives existent.
Le premier choc écologique
L’action de l’homme fut tellement violente, globale et universelle, que la surface de l’Europe toute entière en a été profondément transformée, à l’exception des milieux hauts montagnards et des forêts nordiques primitives. Dans le cas du département de l’Hérault (6224 km2), par exemple, on ne connaît plus que deux lambeaux de forêt primitive totalisant quarante deux hectares seulement ! Tout le reste du territoire a été brûlé, labouré, cultivé, goudronné ou urbanisé au moins une fois. Cela donne une idée du taux de transformation de notre environnement pour toute l’Europe tempérée et méditerranéenne. Tel est le cadre réel dans lequel nous vivons, qui constitue la base objective de toute réflexion sur l’écologie, l’environnement et la notion de nature.
Le premier choc énergétique
Le bois fut la première source d’énergie disponible pour le chauffage et la cuisson des aliments. Ce n’est que récemment qu’il fut utilisé pour la production des métaux et du verre, c’est à dire pour une utilisation industrielle sans commune mesure avec un usage familial ou social traditionnel et limité. Des défrichements sans précaution et une exploitation anarchique et dispendieuse ont provoqué sa raréfaction, tandis que les espèces qui ne résistent pas aux coupes rases disparaissaient. La production massive de charbon de bois, à partir du 16e siècle, détruisit les dernières forêts de chênes en Europe et sur le pourtour méditerranéen. Il s’en suivit une pénurie de matière première interdisant l’emploi industriel du charbon de bois. Ces désastres ont déclenché l’exploitation industrielle de la houille, seule énergie de remplacement accessible à l’époque. Une crise terrible, qui aurait pu bloquer le développement industriel et orienter autrement notre civilisation fut évitée miraculeusement : parce que la nature avait fossilisé dans le charbon une partie infime de l’énergie reçue du soleil pendant des millions d’années. A aucun moment de ce processus historique n’est intervenue une volonté politique de gestion prévisionnelle.
La nécessité d’une autre gouvernance du monde
Au XXe siècle, une partie de l’industrie et des transports, l’agriculture mécanisée et l’essentiel de notre économie, sont soudainement devenus dépendants de l’offre mondiale de pétrole. L’économie des pays développés s’est ainsi dirigée vers un cul de sac : la consommation sans cesse croissante et privilégiée d’une source énergétique réputée insuffisante dans 10 ou 15 ans, épuisée dans quelques décennies, et que nous ne savons pas reproduire à la même échelle.
Les recherches & développements concernant les énergies alternatives, les énergies renouvelables et les économies d’énergie restent dérisoires. Gouvernant dans le court et moyen terme pour la défense de leurs privilèges, les classes dominantes détournent les ressources de la planète à l’exclusion de toute politique alternative à grande échelle. La perspective du deuxième choc énergétique de l’humanité s’inscrit ainsi dans le contexte d’un capitalisme mondialisé et sénile. Cette dernière crise concernera cette fois l’ensemble de la planète et se déclenchera brutalement. Dans les publications concernant ce problème, on voit se dégager un consensus sur cette perspective angoissante : le pétrole ne sera plus un objet de consommation de masse avant la fin du 21e siècle. Les U.S.A. ont déjà pris leurs précautions : acheter le plus longtemps possible l’essentiel du pétrole qu’ils consomment, contrôler les gisements du Moyen-Orient et préserver pour eux seuls les immenses réserves d’hydrocarbures de l’Alaska.
Cette crise planétaire imminente pose la question de la gouvernance des pays et du monde. La perspective d’une socialisation de l’économie se présentent comme la seule voie de survie pour la majorité de la population mondiale, alors qu’elle n’était jusqu’ici que l’expression d’une revendication de justice sociale des travailleurs, des salariés et des pauvres dans les pays industrialisés.
La privatisation de l’eau
L’eau est un bien public menacé par la conjonction de trois causes : son exploitation intensive pour une agriculture déséquilibrée, les pollutions et l’accroissement de la consommation des particuliers. Les gouvernements, au lieu de réguler la consommation de l’eau, multiplient les solutions qui alourdissent les frais de gestion de l’eau (pompage, transports sur de longues distances…) et rendent la distribution de l’eau dépendante d’un secteur industriel artificiellement développé (transports à grande distance, mise en bouteille, purification des eaux préalablement polluées par d’autres entreprises). Cette solution est grande consommatrice d’électricité ou de pétrole, et donc en rupture avec l’autonomie des anciens système de distribution par gravité. De ce fait, ils compliquent le problème, introduisent des paramètres de gestion capitaliste, et retardent la perspective d’une gestion sociale et économe de la question de l’eau.
Il tombe 40 000 km3 d’eau douce sur les continents chaque année. Les deux tiers nous sont inaccessibles (crues, évaporation, régions inhabitées). Nous devons obligatoirement nous partager le reste. Il en découle des conflits plus ou moins ouverts entre les Etats traversés par les mêmes fleuves. Par exemple, la construction des barrages turcs sur l’Euphrate restreint beaucoup l’usage et la maîtrise de l’eau en aval (Syrie, Irak). Israël a annexé le plateau du Golan en 1981, soit-disant pour se protéger face à la Syrie, en réalité pour s’emparer du « château d’eau » du Jourdain dont le nom arabe « Cheria » signifie « l’abreuvoir » !
L’accroissement de la consommation et la « nécessité » du traitement des eaux, en réalité polluées par les gabegies capitalistes, ont transformé cette denrée en marchandise plus coûteuse. Un « marché » de l’eau a été ouvert et des entreprises cotées en bourse se partagent la gestion de la majorité des systèmes urbains de distribution d’eau potable en France. Ils n’ont fait que privatiser des systèmes de distribution d’eau hier publics ou municipaux, à seule fin de prélever des profits qui plombent encore plus le prix de l’eau pour les consommateurs. La dé-privatisation des systèmes de distribution de l’eau et leur gestion à justes coûts par les Collectivités est une revendication essentielle pour récupérer les profits indus.
Les enjeux sociaux impliqués dans la crise de l’eau, prise ici comme exemple, ne peuvent être réglés par des conférences inter- gouvernementales ou l’OMC, car leur objectif n’est pas de réaliser une répartition équitable de l’eau, mais d’exploiter la demande en eau pour développer un nouveau secteur d’exploitation capitaliste.
L’erreur historique des Verts
L’Histoire retiendra que les Verts ont mené un combat important et pionnier pour faire progresser les prises de conscience et les revendications écologistes dans les années 70 et 80. Leur irruption dans la politique et leurs contributions aux programmes revendicatifs des partis sont fondamentales.
En dépit du caractère avant-gardiste de leurs luttes, les Verts ont rapidement buté sur la question sociale en refusant d’avancer dans la voie d’une rupture avec le capitalisme. A coté de propositions radicales dans le cadre légal (défense des sans papiers, engagement de militants Verts dans des associations alternatives) ce parti a accepté de plus en plus nettement le cadre économique imposé par le capitalisme. Ce virage fut sanctionné par l’abandon des références autogestionnaires qui apparaissaient dans les textes et statuts fondateurs des premiers partis Verts des années 70 et 80 du 20e siècle.
Aujourd’hui, les Verts dénoncent, à juste titre, le saccage de la planète sans pousser jusqu’au bout les revendications écologistes et remettre en cause la loi du profit. Ces contradictions les placent en porte-à-faux quand des mobilisations radicales à forte dimension écologiste se développent dans un cadre politique pluraliste (explosion de l’usine AZF à Toulouse, réseau « Sortir du nucléaire », mouvement altermondialiste où ils sont devenus inaudibles …).
Les Verts ont freiné, et parfois, brisé l’alliance entre le mouvement ouvrier et les mouvements écologistes, citons pour mémoire : les luttes pour la santé au travail (cadences, inégalités et mécanismes de l’exploitation du travail) ; l’emploi en liaison avec les énergies renouvelables ; etc. De cette façon, ils se sont aliénés les salariés du nucléaire (au détriment des luttes écologistes contre le nucléaire) en refusant de s’engager sur la question de la défense de l‘emploi pour tous (avec reclassement pour les salariés du nucléaire).
Malgré un passage de plusieurs années au gouvernement, ils n’ont pas soutenu concrètement l’aile marchante du mouvement paysan, en France et dans les pays sous domination impérialiste, parce que son inspiration n’est pas toujours « réformiste » et s’opposait à la politique capitaliste que défendait la Gauche Plurielle. En effet, les perspectives autogestionnaires, l’installation de paysans ou d’éleveurs sur des terres inoccupées, la maîtrise sociale de la répartition et des droits à produire, le contrôle du foncier en faveur des producteurs et pas des promoteurs… contiennent des éléments de rupture avec la loi du profit et la sacro-sainte propriété privée du foncier. Les interventions parlementaires des Verts dans ce sens, malheureusement, ont été aussi absentes que celle des autres partis de la Gauche Plurielle.
Cette attitude ambiguë, parfois « ni gauche ni droite » ou « attrape-tout », n’a pas facilité la radicalisation des revendications écologistes. Apparaissant comme un frein à la satisfaction des revendications sociales, il était logique que les Verts se voient contestés et rejetés par une partie du mouvement social.
Aujourd’hui, les courants alternatifs – surtout quand ils restent passifs face à la possibilité du passage au contre-pouvoir – sont en butte à des récupérations par des affairistes et la grande distribution sous les étiquettes « écologique », « biologique », « équitable » ou « durable ». Même Mac’Do s’est acheté une bonne conscience en utilisant le label « Commerce équitable » de l’astucieux réseau commerçant Max Havelaar… dont Les Verts font encore une promotion élogieuse (VERT CONTACT, hebdomadaire des Verts, 17.05.2003) ! L’écologie est-elle soluble dans le capitalisme mercantile ?
Toujours limités à une compréhension du monde réduite à des préoccupations environnementales qui leur semblent suffisantes pour « sauver la planète », confrontés au nombre grandissant des associations qui prennent leurs distances par rapport à eux, les Verts s’engagent dans des chemins douteux, et même disent des âneries : « L’extrême gauche, animée notamment par la LCR, estime que le rapport de force est à construire à partir de la contestation… Une grande partie des organisations (les Verts, Greenpeace, le PCF, le PS) veut que surgissent des institutions adaptées au XXIe siècle… Les Verts, parce qu’ils sont des réformistes radicaux, sont des pacifistes conséquents… » (Editorial de VERT CONTACT, 20.03.2003).
Au bout du compte, les Verts sont distanciés par le « mouvement social », qui prend conscience de leurs contradictions. En choisissant de s’engager dans une politique d’accompagnement du social-libéralisme, Les Verts ont cessé d’être la composante écologiste d’un mouvement social radical et multiforme.
Et nous ?
Concerné par des luttes contraignantes (syndicalisme, féminisme, luttes de la jeunesse, activités internationalistes), et traditionnellement impliqués dans un cadre plutôt citadin et industriel, notre mouvement [la LCR] s’est engagé avec retard en matière d’écologie. Nous nous sommes débarrassé avec difficulté de la culture des anciens partis bureaucratisés et productivistes, qui a imprégné le mouvement ouvrier et ses organisations pendant des décennies.
Notre engagement dans les luttes écologistes, ponctué par un débat dans les sections de la IVe Internationale (dont la LCR, section française), la création d’une Commission nationale écologie, puis des Commissions régionales, la multiplication de stages et de publications, a progressivement comblé notre retard intellectuel et militant.
L’écologie est devenue un volet important de notre programme. Cette évolution est sanctionnée par le rapprochement entre notre courant et de nombreuses associations, ainsi que par l’investissement de militants dans des associations écologistes ou environnementalistes.
Après une période de réflexion et d’action velléitaire menée par les militants les plus sensibilisés, la LCR s’est, dans son ensemble, mise en état de débattre collectivement de la question de l’écologie, et d’élaborer son orientation à partir d’un engagement concret.
Ce faisant, notre courant est entré dans de nouveaux champs de débat et d’action comme la responsabilité du capitalisme dans la dégradation de l’environnement, les catastrophes industrielles, les causes structurelles de la crise écologique, la prise en compte de la dimension écologique dans les luttes sociales, urbaines, paysannes, etc. Aujourd’hui, les luttes qui s’annoncent dans le monde (comme celles qui se développent actuellement en Amérique Latine) sont initiées par des mouvements qui refusent de séparer l’écologie des luttes d’ensemble contre la forme actuelle du capitalisme, tout simplement parce que le mode d’exploitation capitaliste dégrade l’environnement, gaspille les ressources et porte atteinte à la santé des populations, au point que des revendications purement écologistes (pollution) peuvent passer au premier rang.
Le terme même d’écologie, créé par le zoologiste allemand Ernst Haeckel en 1866, signifiait selon lui « la science globale des relations des organismes avec leur monde environnant, dans lequel nous incluons au sens large toutes les conditions d’existence ». Certes, l’écologie en tant que science a beaucoup progressée depuis Haeckel. Mais il convient de souligner deux choses : le caractère de « science globale » que lui conférait d’emblée Haeckel ; et le fait que les hommes aussi sont des « organismes » avec leurs besoins et leurs souffrances.
Une écologie de lutte
Nos positions ne s’arrêtent pas à la description des méfaits du capitalisme sur l’environnement. Nous nous engageons pour une écologie de lutte, au sein des mouvements sociaux, et nous sommes convaincus que seules les luttes paient.
Nous refusons de séparer l’écologie des luttes sociales, car l’écologie n’est qu’une dimension – de plus en plus importante – de ces mobilisations. Parce que les grandes questions écologistes concernent la population, et parfois l’ensemble de la planète, elles ne sont pas une particularité extérieure à la question sociale. Nous n’oublions pas que ceux qui payent la facture écologique sont aussi ceux qui payent la facture sociale, et pas seulement dans les pays du Sud !
Une option socialiste
A cause de l’universalité, de l’acuité et de l’urgence vitale des problèmes qui se posent (agriculture, pollutions, biodiversité, etc.), l’écologie est le premier domaine où s’opère actuellement une révolution en profondeur tant des comportements que des législations tendant vers une gestion socialiste et internationaliste.
LA REVOLUTION QUE NOUS VOULONS, LA SOCIETE QUE NOUS PROPOSONS, SERA SOCIALISTE, AUTOGEREE, ECOLOGISTE ET INTERNATIONALISTE.