Elle refusait de chanter en public ses Fabulettes. Pourtant, ses chansons pour enfants avaient le mérite, dès 1962, de prodiguer des paroles ne véhiculant pas les préjugés et les oppressions sur des mélodies riches. Elles abordaient les thèmes classiques de l’enfance avec intelligence. Le petit sapin est une ode à la différence et à la tolérance, Le petit bonhomme et les pommes une fable contre les rapports marchands, La comptine aux prénoms un encouragement à l’amitié, Pomme rouge verte ou bleue un apprentissage par l’erreur, Berceuse pour rêver un magnifique songe en l’honneur des rêves d’avenir des enfants, un encouragement à grandir.
Les chansons pour enfant encouragent la solidarité, l’espièglerie, la découverte du monde, l’autonomie.
Casser les normes sexistes
Anne Sylvestre fait partie de ces monuments de la chanson qui ont traversé les époques, abordant de façon militante les problèmes de leur temps. En 1961, elle chante l’autonomie des femmes avec Mon mari est parti et Philomène, Maryvonne la liberté sexuelle des femmes. En 1971, avec Abel, Caïn, mon fils, raconte les difficultés à élever un garçon dans la société patriarcale et le capitalisme : « Il me faudra un grand courage, Pour t’élever comme un souci, Car, si tu deviens violence, Tu peux être bêtise en plus, La sincérité à outrance, Devient mensonge, le sais-tu ? ». La chambre d’or bouscule les préjugés sexistes de l’amour : « change moi de pays, change-moi de tendresse, change-moi cet amour qui qui s’endort et trouve moi plus belle encore que les princesses dormant dans leur chambre d’or ».
Jusqu’au bout, une « grande dame »
En 1973, Non, tu n’as pas de nom écrit « l’un des plus beaux textes sur l’avortement » (Florence Montreynaud), alors que celui-ci était encore interdit. En 1986, Petit bonhomme moque un mari infidèle et l’occasion pour les femmes de s’en libérer.
Son retour en 2013 avec Juste une femme continue la bataille poétique. Des calamars à l’harmonica mêle la joie de vivre même dans la pauvreté et la découverte de la lutte féministe : « quand j’étais mère de famille, boudez plus les filles, on n’en est plus là », « Puis j’ai découvert des livres de femmes, je n’savais même pas qu’elles écrivaient, quoi c’était pour moi tout ce beau programme, j’avais une tête et je m’en servais […] je chantais des chansons abolitionnistes, comme un très méchante féministe ». Dans Lettre d’adieu et Juste une femme, elle se révolte encore contre l’oppression subie par les femmes et les violences sexistes des chefs, des maris, des hommes. Dans Violette, elle défend encore les femmes âgées, « mettez vous bien ça dans la tête, c’est pas une “petite dame”, Violette ! ».
On pouvait l’écouter régulièrement à la fête de Lutte ouvrière, ou la croiser au Forum Léo Ferré à Ivry, un verre à la main, avec son amour des êtres humains, elle qui aime les gens qui doutent. Elle est sans doute avec Barbara une des plus grandes compositrice-interprète, par la force de ces textes et leur capacité à conjuguer critique sociale et réalité de nos vies. Avec des musiques et une voix qui font ressentir toutes les épreuves comme le début de leurs solutions.
Antoine Larrache