Le régime égyptien prend les devants et coupe court aux spéculations sur les possibles conséquences de l’élection présidentielle américaine sur la situation des droits humains en Égypte. C’est ce qui explique probablement pourquoi il a procédé à l’arrestation de trois des directeurs de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR), à savoir Gasser Abdel Razek, Karim Ennarah et Mohamed Bachir.
C’est une réunion au siège de l’EIPR, en présence d’ambassadeurs de pays européens, qui a fourni l’élément déclencheur, ou le prétexte pour sévir contre cette ONG. Depuis sa création, en 2002, elle s’occupe de dossiers délicats que d’autres rechignaient souvent à prendre en charge.
Défense des minorités religieuses et des LGBT
Elle n’a pas seulement milité contre la torture et les procès iniques. Elle n’a pas seulement défendu les droits des femmes et des Coptes. Elle s’est aussi battue pour d’autres groupes, tels que les minorités religieuses bahaïe et chiite, ainsi que les homosexuels et les transgenres.
C’est pourquoi elle s’est heurtée au régime, mais aussi à l’opposition islamiste. De larges pans de la société regardent cette ONG d’un mauvais œil. Elle doit donc faire preuve d’un courage exceptionnel et d’un surcroît de professionnalisme pour tenir bon sur le front juridique et pour apporter son soutien aux victimes.
En 2015, son fondateur et ancien président Hossam Bahgat avait lui aussi été arrêté. À l’époque, cela avait suscité une vague de réprobation internationale. Surpris par l’ampleur des réactions, le régime avait relâché Hossam Bahgat au bout de quelques jours.
“Agents” de l’étranger
Les trois arrestations de la semaine dernière ont provoqué elles aussi des condamnations de la part de gouvernements et de Parlements européens, des Nations unies, d’organisations arabes et internationales. Mais cette fois-ci le gouvernement égyptien semble les avoir anticipées. Il a peut-être même compté dessus, puisque les médias à sa botte les détournent pour accréditer le discours officiel selon lequel les organisations de la société civile égyptienne sont des “agents” de l’étranger.
Même une des présentatrices de la BBC arabe a versé de l’eau à ce moulin, quand elle n’a cessé de demander à un militant : “Mais qui donc finance l’EIPR ?” Nul doute que cette question lourde de sous-entendus sera exploitée par le régime pour rejeter les “ingérences étrangères” via des “officines” qui porte “atteinte à la souveraineté nationale”.
Malheureusement, le régime est convaincu que la chute du président Hosni Moubarak en 2011 a été provoquée par un excès de laxisme.. Il pense que lui-même perdrait le contrôle de la situation s’il devait montrer la moindre faiblesse ou céder à des pressions.
Aussi, au même moment, une autre décision illustre l’approche répressive du régime : l’inscription de prisonniers politiques sur la liste des “organisations terroristes”. Ce faisant, le président Sissi [dont Trump avait dit qu’il était son “dictateur préféré”] coupe court à tout espoir que l’élection de Joe Biden puisse changer quelque chose. À moins qu’il ne se réserve la possibilité d’utiliser ces prisonniers comme monnaie d’échange au moment où Biden entrera à la Maison-Blanche, le 20 janvier prochain, cinq jours avant le dixième anniversaire de la révolution du 25 janvier 2011.
Shadi Louis
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