Cette ouverture en deux temps, avec référendum possible pour la deuxième tranche, est présentée par le PS et les Verts comme un grand succès, comme l’est le fait que la société nationale de réseau – une société de droit privé – soit « en mains publiques ». En réalité : 51% de son capital doit être maintenu « directement ou indirectement » aux mains des cantons et communes.
Des étapes... mais vers quoi ?
Ces deux « concessions » bourgeoises sont un cataplasme qui vise à faire oublier le rouleau compresseur néolibéral : qu’on aille vers l’ouverture totale du marché en une, deux ou de nombreuses étapes, c’est la direction prise qui est catastrophique pour le service public et l’environnement. Combien d’« étapes » n’avons-nous pas vu concernant la Poste et les télécoms, depuis la décision de 1997 de casser les PTT ? Ce qui n’a pas empêché les avancées de la privatisation, les pertes d’emplois, la dégradation des conditions de travail, le démantèlement du réseau des postes et le transfert de bénéfices juteux vers des groupes privés.
Pour ce qui est de la société « nationale » de transport – on parle ici d’un secteur électrique dont le capital est à 85% environ « en mains publiques » –, la loi votée ouvre bien ce secteur aux capitaux privés et, le moment venu, il sera possible de l’ouvrir encore plus. Mais surtout, la finalité de cette entreprise est de faire fonctionner au mieux un « marché » dont la règle est le profit, qui échappe au contrôle démocratique, et dont la croissance est à l’opposé des buts d’une politique énergétique moins catastrophique pour l’environnement. Et ce n’est pas le « contrôle » exercé par des collectivités formellement « propriétaires » – le plus souvent indirectement – qui y changera grand-chose.
Habillage vert et spéculation électrique
Certes, il est prévu de percevoir un supplément de 0,6 ct par kWh – au maximum ! – qui servira au rachat, au prix de production, d’énergies « vertes » dont la « rentabilité à long terme » doit être établie au préalable. Mais que pèsera cet investissement indirect, dont les modalités sont encore à régler, dans de petites installations, pour la plupart privées, face à la vague des deux ou trois centrales nucléaires et des cinq centrales à gaz
annoncées – simultanément au vote de la loi aux Chambres – par Swisselectric, organe faîtier des grands groupes électriques suisses, pour répondre aux « menaces de pénurie ».
Par ailleurs, au chapitre des économies d’énergie – ou plutôt à celui de l’orchestration de la dite « pénurie » – on trouve dans la loi un « objectif » fort peu contraignant : pour les seuls ménages et non pour les autres acteurs de l’économie électrique, on y vise une simple « stabilisation » de la consommation à son niveau existant à l’entrée en vigueur de la loi... et ceci pour 2030, soit dans un quart de siècle !
A signaler encore, qu’avec cette loi, le « fluide » électrique fait son entrée dans... la loi sur les bourses. Le Conseil fédéral édictera à ce sujet des « dispositions particulières relatives au négoce d’électricité en bourse. » La spéculation électrique a des beaux jours devant elle.
Et l’opposition à la libéralisation ?
A gauche, les seuls votes groupés contre cette LME (loi sur le marché de l’électricité)- bis sont venus des trois élu-e-s d’« A Gauche toute ! » au National. Favorable au référendum, le groupe doit organiser rapidement une réunion ad hoc, à l’échelle nationale, pour en évaluer la possibilité, sur le modèle de celle qui s’est tenue le 10 octobre et qui a débouché sur la création de la « Coordination nationale contre la 5e révision de l’AI », qui a porté le référendum contre ce nouvel avatar du démantèlement social.
Du côté du PSS par contre, on a verrouillé les écoutilles. Jusqu’aux trois conseillers-ères nationaux du PS genevois, qui ont voté OUI à la loi, malgré une résolution explicite du Congrès 2007 de leur parti cantonal, tenu à la mimars, qui appelle à la refuser la loi et à lancer un référendum. Le représentant des Verts genevois, Ueli Leuenberger, dont le parti a pourtant soutenu l’initiative cantonale anti-libérale et écologique « Energie-Eau : notre affaire... », que la loi vide de son contenu, s’est aussi aligné en votant OUI...
Capitalisme « renouvelable »...
Les courageux délégué-e-s du PS genevois qui ont, quant à eux, essayé de soulever la question à l’assemblée de délégué- e-s de ce parti, à Locarno, ce 24 mars, se sont vu opposer un refus de tout débat sur une question qui n’était « pas à l’ordre du jour. » Leuenberger et le président du parti, Hans-Jurg Fehr, étaient en personne de la partie, pour éviter toute dérive anti-libérale à ce sujet. A propos d’énergie, ce dernier a déclaré : « Il y a aujourd’hui non plus seulement une motivation écologique pour un changement de cap dans la politique énergétique, mais aussi une motivation capitaliste : on peut désormais gagner de l’argent avec les énergies renouvelables. » Et en effet, du point de vue de la « motivation capitaliste », la nouvelle LApEL est un succès...
Sur le plan syndical, le SSP (syndicat des services publics), qui avait, avec la FTMH (syndicat de la métallurgie et de l’horlogerie), été l’un des acteurs de première heure du référendum contre la LME, à la fin 2000, doit se prononcer sous peu, mais la décision risque d’être négative. Du côté de l’USS, on a pu lire que Rolf Zimmermann, premier secrétaire, déclarait, avant le vote final, que l’USS « ne lancerait, ni ne soutiendrait un référendum » dans la mesure ou le parlement n’étendait pas l’ouverture immédiate du marché aux clients commerciaux groupés pour atteindre 100 MWh de consommation annuelle.
Illusions et promesses, bis...
Ainsi, pour l’heure il semble qu’à force de menacer d’un référendum à propos de tel ou tel aménagement de la loi, en évoquant à chaque tournant du débat le vote de 2002 et le référendum anti-LME, les acteurs sociaux-démocrates et verts ont perdu de vue l’essentiel... On les a entendus au parlement se lancer et lancer à leurs partenaires bourgeois des fleurs sur leur « pragmatisme », sur leurs capacités à dépasser les « idéologies », en oubliant que c’est au nom d’arguments pareils que leurs groupes avaient voté à la quasi-unanimité cette LME tant décriée aujourd’hui. Interpellée à ce sujet par Pierre Vanek, à deux minutes du vote final, la verte vaudoise Anne-Catherine Ménétrey a dû reconnaître que les Verts s’étaient engagés dans la campagne référendaire contre la Loi sur le marché de l’électricité « quand ils s’étaient rendus compte » – après avoir voté la LME au parlement – que « ce projet contenait beaucoup d’illusions et de promesses ». Pour enchaîner sur le fait qu’elle « croit que le service public et la lutte contre les libéralisations sont une chose utile, mais ici, en l’occurrence, nous avons aussi des promesses d’un avenir plus favorable... »
L’erreur est humaine... La persévérance dans celle-ci en la matière, par contre, relève d’un aveuglement volontaire, comme aussi la déclaration de la porteparole social-démocrate, la bernoise Ursula Wyss, avant le vote final au National, selon laquelle cette loi serait « l’œuvre collective de toutes les forces constructives du parlement. » Ces mêmes « forces constructives » qui, quelques jours plus tôt, votaient en effet en bloc pour la construction... de nouvelles centrales atomiques !
L’UDC rentre dans le rang
L’UDC de Christoph Blocher quant à elle a beaucoup gesticulé dans ce débat. Elle s’est plainte de la prétendue « nationalisation » du réseau, a réclamé une libéralisation plus rapide et a même agité à ce sujet le drapeau... européen, pour se plaindre qu’on ne respectait pas les rythmes de libéralisation ordonnés à Bruxelles ! Cette pseudo-opposition – se fondant sur un point de départ aussi libéral que celui d’un Leuenberger – a pu contribuer à mettre en valeur la position des partisans de la loi, acharnés à ne pas discuter du fond de celle-ci. Dans les faits et au vote, cette « opposition » est rentrée dans le rang : les deux tiers du groupe environ ont voté OUI et les autres « opposants » blochériens savaient qu’ils ne risquaient pas de faire capoter la loi.
En défense du monopole de service public !
Nous publions ici l’intervention de Pierre Vanek, conseiller national d’« A Gauche Toute ! » lors du débat final sur la loi électrique à la sortie de la « conférence de conciliation » entre les deux chambres.
« Avec la Conférence de conciliation d’hier soir, ce Parlement, ou du moins sa majorité, a fini d’emballer le cadeau, de toiletter la mariée, d’ajuster les détails, comme nous l’a encore expliqué le rapporteur... pour tenter d’éviter un référendum.
Or sur le fond, et nous en sommes maintenant, au fond, à un OUI ou NON à cette loi, celle-ci est un « clone » de la Loi sur le marché de l’électricité (LME), refusée par le peuple en 2002. Son axe structurel est le même : la marchandisation du bien commun vital qu’est l’électricité, avec toutes les conséquences négatives prévisibles sur la sécurité de l’approvisionnement ; sur la capacité de notre collectivité à mener à bien le tournant radical en matière de politique énergétique, nécessaire pour faire face aux menaces de catastrophes climatiques et nucléaires ; sur le contrôle démocratique de la politique énergétique ; sur la défense de l’emploi et sur les intérêts directs de la grande majorité des petits consommateurs-trices.
Permettez-moi, ici et maintenant, de citer la plate-forme du comité référendaire contre la LME, dont j’ai fait partie
dès le début.
« Le comité référendaire s’oppose fondamentalement à la libéralisation et à la privatisation de l’approvisionnement en électricité. Le système actuel des monopoles, concédés par les communes et les cantons, et des centrales et entreprises électriques majoritairement publiques, a prouvé sa fiabilité. De ce fait, nous ne voulons pas d’une loi sur le marché de l’électricité favorisant la déréglementation et la privatisation du secteur de l’électricité, mais une loi... garantissant un approvisionnement en énergie sûr, durable et économique pour toute la population. » Cette loi, écrivionsnous à l’époque, « devrait s’appuyer sur les piliers suivants », j’en cite quelques-uns :
« Les réseaux et les grandes centrales doivent intégralement être entre les mains des pouvoirs publics », ça n’est pas le cas avec la loi qu’on nous propose !
« D’une importance stratégique, ils doivent être soumis à un contrôle public et démocratique », ça n’est pas le cas avec la loi qu’on nous propose !
« L’objectif premier de la loi doit être de garantir la sécurité de l’approvisionnement », ça n’est pas le cas avec la loi qu’on nous propose, qui est axée sur la compétitivité et la concurrence du secteur électrique !
« Tous les distributeurs sont obligés de proposer une part d’énergies renouvelables à des prix abordables » : ça n’est pas le cas !
Je cite encore deux points : « La loi doit contraindre les cantons à introduire une tarification favorisant les utilisateurs économes et défendant les petits consommateurs. Les économies d’énergie doivent être récompensées » : ça n’est en particulier pas le cas, puisqu’on ouvre le marché pour les gros consommateurs et on fait même exploser la notion de « tarification » en la matière...
« Des mesures doivent être prises pour la sauvegarde des emplois. » – je cite toujours la plate-forme du comité référendaire –, « notamment à travers la promotion des énergies nouvelles et le développement des services dans le secteur énergétique. » On a vu l’attitude de non entrée en matière que la majorité de la Conférence de conciliation a adoptée sur la question des emplois menacés dans le secteur, comme l’a bien expliqué l’autre jour notre collègue Christian Levrat.
Dans ces conditions, un référendum est nécessaire. Il est démocratiquement indispensable. C’est la conviction du groupe « A gauche toute ! ». Nous ferons ce qui est en notre pouvoir pour rendre ce nécessaire possible. A Genève, par exemple, les prémisses d’une mobilisation référendaire contre cette loi sont présentes. Pas loin d’un millier de travailleurs des Services industriels ont, à travers leurs différentes organisations syndicales, lancé un appel aux organisations qui avaient soutenu le référendum contre la LME pour qu’elles appuient un tel référendum.
Le PS genevois, dont un certain nombre d’élu-e-s siègent sur ces bancs, a adopté tout récemment en assemblée générale une résolution analogue. Par ailleurs, à l’attention cette fois-ci, de tous les élu-e-s du groupe socialiste présents dans cette salle, j’aimerais signaler qu’il y a un peu plus de deux ans, votre parti, le PSS, émettait un communiqué affirmant ceci : « Le PS refuse d’envisager une ouverture – même partielle – avant 2008, date à laquelle la population devra être à nouveau consultée. » Ceci « par respect envers la décision populaire de septembre 2002. » C’est ce à quoi nous nous emploierons pour faire en sorte que cette réforme néolibérale, qui va dans un sens absolument contraire aux décisions populaires prises dans ce pays en 2002, ne passe pas la rampe ! »