Le système de santé kényan est en crise, au moment même où le pays fait face à une résurgence des cas de Covid-19. “Nous ne serons pas les agneaux sacrifiés de la pandémie”, mettait en garde le secrétaire général du syndicat des praticiens médicaux, dentistes et pharmaciens, Chibanzi Mwachonda, en novembre. Invités à négocier par le gouvernement, les médecins ont suspendu leur appel à cesser le travail. Les infirmières, elles, n’ont pas eu droit à tant d’égards.
Depuis le 7 décembre, 20 000 d’entre elles sont en grève. Au cœur des griefs, les risques encourus par le personnel médical face au Covid-19 et l’absence d’accompagnement de l’État. Au moins trente médecins et vingt-six infirmières sont décédés après avoir contracté le virus, selon l’agence turque Anadolu, la majorité d’entre eux depuis début octobre.
Médecins mal soignés
Souvent sans assurance médicale et obligés de composer avec des arriérés de salaires, de nombreux soignants victimes du Covid-19 n’ont pas les moyens de s’offrir les traitements qu’ils administrent à leurs patients. Le Daily Nation rapporte ainsi l’histoire du Dr Stephen Mogusu, 27 ans, décédé après avoir contracté le virus en laissant près de 11 000 euros de factures médicales derrière lui. Déployé au sein d’une unité Covid dans le cadre d’un programme gouvernemental, il n’avait pas été payé depuis cinq mois.
“Nous avons le sentiment d’être livrés à nous-mêmes. Quand une infirmière décède, nous créons des groupes WhatsApp pour rassembler de l’argent, alors que nous travaillons pour le gouvernement”, confiait encore Seth Panyako, secrétaire général du syndicat national des infirmières, à la chaîne KTN News au premier jour de la grève.
Avant de reprendre le travail, les infirmières exigent de bénéficier d’une couverture médicale, d’une prime de risque et d’indemnités destinées à leurs familles en cas de décès. Elles demandent également plus de personnel et d’équipements de protection, alors que des millions de masques sont bloqués aux mains de l’agence chargée de distribuer les équipements médicaux, visée par une grande enquête motivée par des soupçons de corruption dans l’attribution de marchés publics liés à la lutte contre la pandémie.
Pour les patients confrontés à un système médical paralysé, c’est la double peine. Nombre de malades sont en déshérence dans des hôpitaux déserts depuis le début de la grève, rapportent les médias locaux. “Les plus durement touchés sont les patients Covid abandonnés à l’isolement ou dans de nombreuses unités de soins intensifs”, relève The Standard. Ailleurs, des patients sont invités à libérer leurs lits prématurément, quand d’autres se voient refuser l’entrée de certains hôpitaux.
Seule option pour ceux qui en ont les moyens, les hôpitaux privés, qui ont vu exploser le nombre d’admissions depuis le début de la grève, ajoute le Standard. Moins fortunée, une patiente raconte au Daily Nation “ne pas avoir d’autres choix que de [se] tourner vers la médecine traditionnelle”. Jeudi 17 décembre, un tribunal a ordonné la suspension de la grève, mais un représentant syndical a déjà indiqué au Standard que le personnel médical n’entendait pas reprendre le travail.
Mathilde Boussion
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