Chassés de Facebook, les fabricants de fausses nouvelles ont migré vers YouTube, constate, en Birmanie, Frontier Myanmar dans une enquête consacrée à ce sujet..
“Facebook a été salué pour ses efforts pour limiter la désinformation sur ces pages, avant, durant et après les élections en Birmanie de novembre 2020”, note le magazine. Le géant californien a étoffé les moyens dédiés au contenu birman, introduisant l’intelligence artificielle afin d’enlever les discours de haine et en travaillant étroitement avec la société civile.
Après 2017, quand plusieurs centaines de milliers de Rohingyas (minorité musulmane de Birmanie) avaient dû fuir vers le Bangladesh face aux exactions menées par l’armée birmane dans le nord de l’Arakan, Facebook avait été accusé de tolérer sur ses pages des discours haineux..
Propos discriminants et désinformation ont créé un terrain propice à la déshumanisation de cette minorité, déjà ostracisée, dans un pays où s’est propagé un nationalisme bouddhiste depuis les années 2010. En Birmanie, Internet,, et en particulier les réseaux sociaux, dont Facebook, constituent les principales sources d’information.
YouTube à la traîne
Mais Frontier Myanmar souligne que YouTube, la plateforme de partage de vidéos détenue par Google,, tarde à suivre cet exemple. Myat Thu, du Myanmar Tech Accountability Network (MTAN), avait d’ailleurs lancé, le 7 novembre, à la veille des élections législatives :
“Les principaux propagateurs [des discours de haine] migrent vers YouTube. La plateforme a été bien trop lente à réagir.”
Cette nuit-là, le manque de réactivité de YouTube a été particulièrement criant, relate Frontier. Autour de minuit, plus de trente pages Facebook ont diffusé de manière simultanée des vidéos YouTube affirmant que des étrangers, et notamment le milliardaire George Soros,, tentaient d’influencer le processus électoral.
“Selon Myat Thu, Facebook a réagi rapidement. Mais YouTube a mis plus de temps pour retirer les vidéos et le compte de MMLeakTeam qui les avait postées.”
Plus de deux mois après le scrutin, la désinformation continue de se répandre via la plateforme de partage de vidéos. Certains contenus visent à décrédibiliser le scrutin tandis que d’autres véhiculent des théories du complot sur le Covid-19..
Hébergeurs de discours de haine contre les Rohingyas
Frontier Myanmar a identifié plusieurs animateurs et administrateurs de comptes propageant la désinformation et un discours de haine à l’égard notamment de la minorité musulmane rohingya.
Depuis les élections, selon Frontier, la chaîne Myanmar American News, qui compte 7 000 abonnés, a été la principale source de désinformation. Un des invités récurrents de MAN s’appelle “Andrew Soe”, qui lui-même anime une chaîne YouTube forte de 9 000 abonnés.
Ces deux exemples, explique le journal, soulignent combien Facebook et YouTube ont des approches différentes quant au traitement de la désinformation sur leur plateforme.
Ainsi, Andrew Soe, détaille Frontier, aurait créé plusieurs comptes Facebook qu’il animerait sous des noms différents en violation des règles de la plateforme. Ces comptes ont été bloqués après le signalement du magazine. Rien de tel n’aurait été entrepris par YouTube, poursuit le journal. Mais, selon Frontier, Andrew Soe et d’autres ne sont que la “partie émergée de l’iceberg” sur YouTube.
Nécessité de réformes rapides
Ainsi, la plateforme héberge le militant anti-Rohingya Rick Heizman. “Depuis son bannissement par Twitter et Facebook, il s’est tourné vers YouTube pour partager théories du complot et désinformation.” Certaines vidéos modifiées suggèrent notamment que les Rohingyas ont menti sur les crimes commis à leur encontre.
Frontier affirme que, malgré le signalement d’une vidéo manipulée par Heizman à YouTube, celle-ci demeure accessible. “L’entreprise a affirmé qu’elle avait des règles strictes concernant les discours de haine et qu’elle multipliait les actions. Ainsi, comparé à 2019, elle a retiré 46 fois plus de contenus véhiculant un discours de haine [l’année dernière] au niveau mondial”.
Aux yeux des acteurs birmans de la société civile, ce n’est pas suffisant. Au rythme où les animateurs de la désinformation bannis de Facebook migrent vers YouTube, Myat Thu du MTAN alerte sur le fait que cette plateforme risque d’être confrontée aux mêmes problèmes que Facebook il y a quelques années.
“Impossible de croire que YouTube n’a pas remarqué ce qui se passe en Birmanie. Ils prétendent ne pas le savoir. Des mesures doivent être entreprises maintenant.”
Frontier Myanmar
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