1.- La participation électorale n’a pas confirmé les pires scénarios d’abstention [10’791’490 inscrits ; 4’261’134 votants] malgré les dizaines de milliers de personnes qui n’ont pas pu exercer ce droit parce qu’elles ont été confinées après la date limite légale du vote par correspondance. Certains ont tenté de demander un report des élections dans la dernière ligne droite des débats, mais les chiffres prouvent que la mobilisation démocratique a existé et qu’il faut en prendre acte.
2.- La victoire de Marcelo Rebelo de Sousa a bénéficié d’un ajustement au centre, avec le soutien de Rui Rio et d’António Costa, qui ont mobilisé l’essentiel de l’électorat, mais aussi de l’appel à la victoire au premier tour lancé par Marcelo lui-même face à la menace croissante à sa droite. L’écho de cet appel s’est traduit sur un certain nombre d’électeurs et électrices, de la gauche à la droite.
Il en résultera une continuité des blocages dans des domaines fondamentaux de la réponse à la crise – dans le Système national de santé [SNS – au moment où la pandémie frappe de manière extrême le Portugal], dans l’emploi, dans l’aide d’urgence. La direction du PS voulait que la victoire de Marcelo Rebelo de Sousa soit interprétée comme un renforcement de son penchant pour le centre. Et il a obtenu cette victoire.
3.- Ana Gomes [ex-députée européenne, membre du PS, a annoncé sa candidature sans concertation avec son parti ; elle a critiqué Antonio Costa le soir des élections] a obtenu la deuxième position [12,97% des suffrages], avec une mobilisation raisonnable dans les zones métropolitaines de Porto (où elle a eu le soutien de l’appareil socialiste) et de Lisbonne. Mais elle se situe à presque 50 points derrière Marcelo Rebelo de Sousa. Les analyses détaillées devront le certifier, mais il semble intuitif que ses votes proviennent davantage du Bloco de Esquerda, du PAN [Personnes–Animaux–Nature, parti créé en 2009] et du PCP que de l’électorat socialiste. […]
4.- João Ferreira [PCP, député européen depuis 2009, avec 4,32% des suffrages] a mené une campagne de mobilisation de l’électorat du PCP, sans confrontation avec les options gouvernementales, cherchant à atteindre un secteur de l’électorat socialiste en insistant sur une politique budgétaire de l’État acceptable pour les communistes. Les résultats similaires obtenus par Marisa Matias [candidate du Bloco, députée européenne, avec 3,95% des suffrages] et João Ferreira prouvent clairement qu’une analyse des résultats comme découlant du vote du budget [sur lequel se sont exprimées des critiques argumentées du Bloco] est une erreur. […]
5.- André Ventura du parti Chega [avec 11,90% des suffrages, parti créé en avril 2019 dont la transcription en français est « ça suffit ! »] a mis ses cartes sur la table et a montré ce qu’il cherchait tout au long de la campagne. L’affirmation d’une droite provocatrice, xénophobe et sexiste qui mobilise la haine sociale contre les plus pauvres et qui alimente un projet ultra-libéral de destruction des services publics et des droits du travail. Chega donne donc une nouvelle expression – raciste et misogyne – à une ultra-droite qui a toujours existé au sein du CDS et du PSD.
Il a obtenu un demi-million de voix. Ce qui s’est déjà passé en Europe et dans le monde se produit maintenant au Portugal. Nous devons analyser de près ce phénomène pour mieux y faire face […].
La reconfiguration de la droite, qui est là pour rester, a de nombreux pères et de nombreuses mères. Passos Coelho [membre du Parti social-démocrate et Premier ministre de 2011 à 2015] a lancé André Ventura [qui fut membre du PPD/PSD] et lui a créé un environnement. Rui Rio [du PSD] a renoncé au cordon sanitaire [contre l’extrême-droite], assurant aux Açores un gouvernement dépendant de l’extrême droite et lui donnant ainsi de la force.
Mais Marcelo Rebelo de Sousa et António Costa ont aussi leur place dans cette histoire. Dans le contexte actuel (très différent de celui auquel Mário Soares – président de 1986 à 1996 – a été confronté en 1991), une réélection dans laquelle le président est soutenu par le chef du plus grand parti d’opposition et par le Premier ministre, le bouleversement de la carte politique est évident. Marcelo Rebelo de Sousa a cédé à la tentation, embrassant le soutien du PS mais sans vouloir imposer des lignes rouges à la droite, parlant même de la nécessité d’accords écrits entre le PSD et Chega, déjà lors des derniers jours de la campagne. La véritable campagne d’André Ventura commence maintenant et nous verrons qui va l’affronter.
6.- La campagne de Marisa Matias n’a pas atteint ses objectifs. Dans un contexte difficile, d’absence de contact dans la rue et de mobilisation en face à face, Marisa a su réinventer sa campagne, inventive pour surmonter la barrière du confinement et exemplaire dans le respect de la sécurité sanitaire. Les rassemblements virtuels de la semaine dernière ont été des pionniers dans les nouvelles façons de faire campagne, touchant des milliers de personnes.
Les exemples personnels de personnes engagées dans des luttes concrètes, que Marisa Matias a mis en relief dans la campagne, étaient également un effort pour communiquer avec le pays réel, qui souffre des effets de la pandémie et du modèle d’exploitation et de retard de plusieurs décennies.
La mobilisation sur des questions fondamentales telles que l’urgence climatique et l’urgence de la réponse à la crise sociale a été une caractéristique unique de la campagne de Marisa, et il était essentiel qu’il en soit ainsi. La vague de solidarité contre l’agression machiste, avec la force de #VermelhoEmBelem, a marqué une campagne courageuse qui offre de précieuses leçons.
Nous avons fait cette campagne avec Marisa et nous sommes fiers de chaque jour et de chaque combat que nous menons. Nous savons que nous pouvons compter sur elle, comme elle sait que nous serons à ses côtés. Les temps à venir seront plus difficiles, les effets de la pandémie atteindront leur paroxysme dans une crise sociale violente et implacable sur les personnes qui vivent de leur travail, les précaires, les retraité·e·s, les migrant·e·s, les plus pauvres et qui constituent la majorité de la population. Les formes d’articulation politique et d’action à la base de la gauche devront également être renforcées et repensées. Contre la haine sociale et pour donner des réponses fermes à la crise sociale et économique, la mobilisation de la solidarité, sont nécessaires des propositions concrètes et crédibles et l’organisation sociale contre la peur.
Adriano Campos