Le propre des idéologies est de déformer les mots au point de leur faire dire le contraire de ce qu’ils signifient. A l’aube de son troisième confinement, la France serait donc résolument installée dans la « dictature sanitaire ». Une dictature s’entend d’un pouvoir absolu exercé par un seul. Force est d’abord de constater que si pouvoir sanitaire il y a, il est pour le moins pléthorique et cacophonique : depuis mars 2020, les prises de parole des autorités médicales dans le débat public sont à la fois incessantes, variées et contradictoires. Mais, surtout, elles ne sont pas décisives, comme en atteste le pouvoir du conseil de défense, qui tranche toujours en dernière instance et toujours en décalage sur le fond comme sur le calendrier avec les avis du conseil scientifique. Drôle de dictature que celle où les arrêts des dictateurs demeurent lettre morte.
Ces décisions du conseil de défense sont-elles fondées sur une raison supérieure sanitaire ? Il y a tout lieu d’en douter : lors de la première vague du printemps et plus encore de la deuxième dont nous sortons à peine et qui fut encore plus meurtrière, c’est l’attentisme économique qui a primé et différé les décisions de confinement, conduisant à les rendre drastiques. L’indice de sévérité des restrictions économiques et sociales de l’université d’Oxford montre ainsi qu’entre la fin du mois de juin et la fin du mois d’octobre, à la veille du reconfinement, aucune décision de limitation sanitaire n’a été prise en France, sinon pour assouplir les règles de circulation en vigueur. Quatre mois d’inaction pendant lesquels le virus s’est répandu aux quatre coins du pays, largement ouvert aux flux touristiques, suivi d’un mois de confinement avec un indice de sévérité de 80 %.
C’est très exactement le scénario qui se dessine pour la troisième vague de l’hiver : la négligence suivie de la brutalité. C’est le sens littéral du régime de « l’état d’urgence sanitaire », qui permet au gouvernement de prendre des décisions autoritaires précipitées faute d’avoir su anticiper, comme le fait remarquablement bien la Nouvelle-Zélande, dont la première ministre ne cesse de rappeler que la meilleure politique économique est une bonne politique sanitaire.
Ennemis imaginaires
Or, troisième invalidation de la doxa, une fois imposé un confinement strict et prolongé rendu inévitable par manque d’anticipation, la santé est une deuxième fois sacrifiée avec la privation des liens sociaux qui sont la source de l’équilibre psychologique des êtres humains et forment le cœur de leur humanité. Drôle de dictature sanitaire que celle où la santé fait figure de variable d’ajustement.
Cette inversion des priorités entre le sanitaire et l’économique se voit à l’œil nu dans la logique du couvre-feu, qui empêche la vie sociale tout en permettant l’activité commerciale, comme dans la fermeture des lieux de culture, essentiels pour la socialisation, et qui n’exposent ni le nez ni la bouche, mais les yeux et les oreilles.
L’imposture de la « dictature sanitaire » remplit une double fonction : masquer la responsabilité des autorités politiques qui se défaussent sur un fantasmatique « gouvernement des médecins » censé martyriser les citoyens ; camoufler la réalité du pouvoir économique, qui préside à l’inertie du politique tout en s’en prétendant victime.
Il en va de la « dictature sanitaire » comme de la « dictature verte » : ce sont des fictions toxiques qui visent à empêcher une transition sociale-écologique devenue vitale. Le propre des idéologies est d’instrumentaliser des ennemis imaginaires pour justifier la perpétuation de leur pouvoir.
Eloi Laurent (Economiste)