Au départ, Mozuna Khatu était heureuse d’apprendre l’arrestation d’Aung San Suu Kyi, la chef d’État de fait de la Birmanie, le 1er février. “Prions Dieu, peut-être pourrons-nous maintenant rentrer à la maison”, dit-elle à la journaliste indépendante Verena Hölzl qui, pour un reportage publié par Vice, est allée à la rencontre des réfugiés rohingyas vivant dans des camps au Bangladesh.
Mozuna Khatu a changé de registre quand elle a compris que l’armée avait repris le pouvoir :
“Nous avons tout perdu à cause de l’armée. Si les militaires sont aux responsabilités, nous ne pourrons pas rentrer au pays.”
Sa réaction illustre l’ambivalence de la situation pour les réfugiés rohingyas.
Aung San Suu Kyi muette face à leur sort
Les Rohingyas, une minorité musulmane de l’ouest de la Birmanie, ont été poussés à l’exil en 2017 par les exactions commises par les soldats de l’armée. Des villages ont été brûlés, des civils tués, des femmes violées. Mais la version officielle des autorités birmanes n’évoque que des mesures en réaction aux attaques menées par l’Armée de secours des Rohingyas de l’Arakan (Asra) contre des postes-frontières.
Les Nations unies ont qualifié cette campagne de nettoyage ethnique, et la Cour internationale de justice de La Haye a ordonné, le 23 janvier 2020,, à la Birmanie de protéger les Rohingyas et d’empêcher les actes génocidaires à leur encontre.
“Le refus d’Aung San Suu Kyi de condamner les exactions de l’armée lui vaut bien peu de sympathie dans le plus grand camp de réfugiés du monde”, écrit la journaliste, qui souligne combien la nouvelle du coup d’État a tardé à se propager compte tenu des restrictions d’accès à Internet imposées par les autorités bangladaises.
Plus que tout, constate-t-elle, les Rohingyas craignent que le coup d’État entame encore plus leurs chances de rentrer chez eux et d’être considérés comme des citoyens. Et pour cause : Min Aung Hlaing, le général de l’armée aujourd’hui à la tête du pays, a été accusé de superviser le génocide contre les Rohingyas.
Plus de violence contre tous
Interrogée par Vice, Minara exprime son inquiétude pour l’avenir : “Que vont devenir nos enfants, si nous ne pouvons pas rentrer ?” Sa collègue Afrosa, fondatrice de l’organisation Rohingya Women for Justice and Peace, “dit être triste pour tous les Birmans”, malgré le peu de soutien qu’ont reçu les Rohingyas de la part du reste de la population, quand ils ont été expulsés de chez eux.
Plus généralement, la journaliste observe que “les réfugiés expriment de la peur non seulement pour leurs proches restés au pays, mais aussi pour tous les habitants de ce pays à majorité bouddhiste”.
“Désormais, la violence sera plus forte contre tous. Quelle que soit sa religion, tout le monde sera confronté à la violence”, lui explique un homme qui préfère garder l’anonymat par crainte de ne pouvoir rentrer dans son pays.
Une perspective de retour qui s’éloigne
Malgré tout, les émotions sont complexes au sein de cette population. Vice cite notamment l’exemple de Mohib Ullah, qui se dit optimiste car, selon lui, les militaires pourront agir plus efficacement pour “aider les Rohingyas”.
Un paradoxe, tant l’armée au pouvoir entre 1962 et 2011 n’a eu de cesse de marginaliser les Rohingyas. Ainsi, la loi sur la nationalité adoptée en 1982 les a privés de leurs droits, les rendant apatrides dans leur propre pays. Mais, comme il l’explique, si l’armée se décidait à faire un geste pour cette population, elle pourrait agir “plus facilement” qu’Aung San Suu Kyi, qui était obligée de “composer avec beaucoup de personnes avant de prendre une décision”.
Le ministère des Affaires étrangères a affirmé que les efforts pour rapatrier les Rohingyas réfugiés au Bangladesh se poursuivraient. Mais une majorité d’entre eux semblent douter qu’un retour soit possible, au vu des derniers événements.
Vice
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