“‘Rasain lu’ (‘Tu l’as bien cherché !’). Cette phrase d’argot populaire sera probablement prononcée par de nombreux Indonésiens en réponse à la menace de l’armée de renverser la chef de facto de la Birmanie, Aung San Suu Kyi, lance le rédacteur en chef du Jakarta Post, […] On connaît leur aversion pour la lauréate du prix Nobel de la paix à cause de son manque d’ardeur à venir en aide à la minorité musulmane rohingya et sa réticence à se rapprocher des dirigeants indonésiens.” Le quotidien poursuit :
“Lorsqu’elle est devenue la dirigeante de facto de la Birmanie [en avril 2016], Suu Kyi a été réticente à se rendre en visite amicale dans chaque pays de l’Asean [Association des nations de l’Asie du Sud-Est], comme le veut la tradition.”
Faisant plus confiance à l’Occident qu’à ses proches voisins, lui reproche le journaliste, Aung San Suu Kyi entretient des relations tendues avec ceux-ci depuis des années. “En 2016, elle a même annulé une visite à Jakarta après que des groupes musulmans indonésiens ont promis de l’accueillir par un rassemblement pour protester contre les abus envers les Rohingyas commis par les militaires et les milices birmans. Suu Kyi n’a pas non plus caché son aversion pour la Malaisie, dont les dirigeants ont sévèrement critiqué ces atrocités.”
Manque de solidarité réciproque
Le quotidien en langue anglaise tente toutefois de donner une explication à ce désamour. Il indique que si la dirigeante de la Birmanie a méprisé depuis cinq ans les dix membres de l’Asean, dont son pays fait partie, c’est sans doute parce que, pendant toutes les années où elle était assujettie à une résidence surveillée par la junte militaire, les autres nations de l’organisation n’ont pas pris fait et cause pour elle, au nom du principe de non-ingérence qui régit l’association vis-à-vis des autres pays membres.
Mais cette circonstance atténuante n’est pas suffisante pour éteindre le feu des critiques du rédacteur en chef du Jakarta Post. Dans sa colonne, il omet pourtant de rappeler que les deux nations musulmanes de l’Asean, la Malaisie et l’Indonésie, n’ont pas fait preuve de beaucoup de solidarité envers les réfugiés rohingyas qui ont débarqué sur leurs côtes.
L’Indonésie s’abrite derrière le prétexte qu’elle n’a pas ratifié la Convention des réfugiés du HCR de 1951, alors qu’en septembre 2020 plus de 400 boat people rohingyas avaient échoué dans la province d’Aceh, dans le nord de Sumatra.
La ministre des Affaires étrangères indonésienne, Retno Marsudi, avait déclaré : “Je rappelle qu’il est important de s’attaquer à la racine du problème en Birmanie. Ce pays est la maison de l’ethnie rohingya, la priorité doit donc être donnée à un rapatriement sûr, volontaire et digne dans celui-ci. Et pour des raisons humanitaires, l’Indonésie les accepte temporairement.”
Priorité malgré tout au retour à la démocratie
Le journaliste du Jakarta Post ne veut tout de même pas abandonner la Birmanie à la dictature militaire. Il suggère que le président [indonésien], Joko Widodo, nomme son prédécesseur, Susilo Bambang Yudhoyono, dit “SBY”, pour qu’il soit envoyé en Birmanie afin de convaincre la junte de rétablir la démocratie.
“En tant qu’ancien général de l’armée et sixième président du pays, ‘SBY’ a dans le passé convaincu les généraux birmans des avantages de laisser des civils contrôler le gouvernement [comme l’a fait le président Abdurrahman Wahid après la chute de la dictature indonésienne en 1998]”, souligne le journal. De plus :
“Les généraux étaient impressionnés par le modèle indonésien de la ‘double fonction’ des militaires [qui siégeaient au Parlement] sous le régime de Suharto ainsi que par sa concentration sur le développement économique. Qu’on le veuille ou non, ‘SBY’ a joué un rôle important en persuadant les généraux birmans de relâcher leur emprise sur le pays.”
The Jakarta Post
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