Pour se soumettre à l’application de nouvelles normes comptables, la direction de la SNCF et le gouvernement s’apprêtent à externaliser la Caisse de prévoyance et de retraite des cheminots. Dans le contexte politique actuel, il ne fait pas de doute qu’une telle mesure, si elle était mise en place, serait comprise par les cheminots mais aussi les libéraux de tout poil comme un premier pas vers la remise en cause du régime de retraite des cheminots. Pour l’instant, les réactions syndicales ne sont pas à la hauteur.
Depuis la faillite de la société Enron aux États-Unis, de nouvelles normes comptables (IFRS) s’appliquent peu à peu, partout dans le monde. En France, elles obligent les entreprises concurrentielles qui font appel aux marchés financiers à provisionner, dans leurs comptes, les dépenses futures qu’elles auront à faire comme, entre autres choses, pour les retraites de leurs salariés. Concrètement, c’est comme si on demandait à des parents, à la naissance de leur enfant, de provisionner dans leur compte bancaire l’ensemble des dépenses d’éducation de leur enfant jusqu’à l’âge ou il quittera le domicile familial. Ainsi la SNCF doit provisionner plus de 110 milliards d’euros dans ses comptes, correspondant pour l’essentiel aux dépenses des retraites qu’elle doit verser aux cheminots dans les 40 à 50 ans à venir.
Dès lors, direction et gouvernement tiennent le discours suivant aux syndicats : « Soit on fait figurer ces sommes dans les comptes de la SNCF, mais alors les investisseurs financiers et les autorités européennes auront des doutes sur la santé financière de la SNCF ; de plus, dans le contexte politique actuel, est-ce bien raisonnable d’afficher un déficit abyssal pour la SNCF au moment où certains candidats veulent remettre en cause les régimes spéciaux ? Ou alors, on fait en sorte que ces 110 milliards d’euros n’apparaissent pas dans les comptes de la SNCF, en donnant un statut d’autonomie juridique à la Caisse de retraite et de prévoyance (CPR). »
C’est ce « deal » qui pose problème. Il revient à dire que, pour satisfaire les marchés financiers, il faut accepter de remettre en cause le fonctionnement, intégré à la SNCF, du régime de retraite des cheminots. L’autonomie de la CPR, c’est aussi un changement de philosophie dans le financement des retraites des cheminots. Aujourd’hui, c’est la SNCF qui est garante des montants des pensions versées et de leurs évolutions, et c’est ce qui inquiète les investisseurs. Demain, elle versera des cotisations mais n’aura plus aucun engagement sur l’évolution du régime des cheminots. Par ailleurs, il sera facile, dans un deuxième temps, d’adosser cette caisse au régime général. C’est d’ailleurs comme cela que certains députés UMP voient cette réforme.
Le contexte électoral pèse fortement dans le positionnement des organisations syndicales. Ainsi, Didier Le Reste, secrétaire général de la CGT cheminots, dit ouvertement qu’il n’est pas bon pour les cheminots d’afficher 110 milliards d’euros de provisions dans les comptes de la SNCF, ce qui revient à considérer l’autonomie de la CPR comme un moindre mal. Pour l’instant, seuls SUD-Rail et l’Unsa rejettent cette réforme.
Pour la LCR, il est important de sortir de ce piège du moindre mal. Il faut d’abord contester ces normes comptables libérales aux services des financiers. L’avenir de la SNCF, entreprise publique, ne se jouera pas en bourse mais dépendra, avant tout, de choix politiques en faveur du rail. Il faut aussi refuser la montée sur la première marche du démantèlement du régime de retraite. Tout recul est une victoire pour le camp des libéraux.
Le 11 avril, SUD-Rail a appelé les cheminots à faire grève et à se rassembler au siège de la SNCF lors du conseil d’administration qui doit voter ce projet. Quelles que soient les limites de cette action, il n’y a pas d’autre choix que de se mobiliser pour empêcher la publication des décrets avant... le 22 avril.