PYONGYANG ENVOYÉ SPÉCIAL
C’est avec philosophie que la République populaire démocratique de Corée (RPDC), qui prépare en grande pompe les célébrations de la naissance du « Père de la patrie », le président Kim Il-sung, a vu passer l’échéance des soixante jours prévue dans l’accord conclu le 13 février à Pékin - aux termes duquel elle s’engage à arrêter son programme nucléaire en échange d’une assistance énergétique - sans que la première condition à la mise en œuvre de celui-ci ait été remplie : le transfert de 25 millions de dollars sur des comptes nord-coréens bloqués à la Banco Delta Asia de Macao, accusée par Washington de blanchiment d’argent pour le compte de Pyongyang.
« Il n’y a pas de raison d’être pessimiste et nous serons fidèles à nos engagements tels qu’ils sont formulés dans l’accord à condition que les Etats-Unis respectent les leurs », a déclaré, vendredi 13 avril, au Monde et à l’Agence France-Presse, Kim Son-gyong, directeur adjoint du département Europe au ministère des affaires étrangères nord-coréen. La raison de cet « optimisme » ? « Les Etats-Unis n’ont pas le choix s’ils veulent que cet accord ne reste pas lettre morte. »
Les pourparlers multilatéraux à six (deux Corées, Chine, Etats-Unis, Japon et Russie) ont été ajournés sine die à la mi-mars en raison de ce différend. Aux termes de l’accord du 13 février, les fonds devaient être débloqués dans les trente jours. Ils ne l’ont pas été et l’autre échéance (soixante jours) de l’accord pour arrêter la centrale nucléaire de Yongbyon a expiré le 13 avril à minuit.
En milieu de journée, samedi, à Pyongyang, il n’y avait aucune confirmation que les fonds avaient été restitués en dépit des annonces répétées de Washington selon lesquelles un « moyen technique » a été trouvé à leur transfert. « Il ne s’agit que d’une déclaration verbale des Etats-Unis. Nous en sommes au stade de la vérification », poursuit M. Kim, qui n’a pas confirmé une information de l’agence de presse sud-coréenne Yonhap selon laquelle des experts financiers nord-coréens se trouveraient à Macao.
Le 19 mars, Washington a donné son « feu vert » au déblocage des fonds. Mais le compromis entre le département d’Etat, qui entend avancer sur la question nucléaire, et le Trésor, qui argue de preuves des malversations de la BDA pour maintenir celle-ci depuis septembre 2005 sur sa « liste noire », a conduit à l’impasse. Aucune banque, à commencer par la Banque de Chine, ne veut accepter ces fonds au risque d’être taxée par la suite d’avoir accepté de traiter avec une banque mise à l’index. Le département d’Etat avait pensé qu’il suffisait d’assurer Pyongyang du déblocage des fonds pour que les pourparlers sur la dénucléarisation progressent. Or, Pyongyang ne prend pas la parole américaine pour argent comptant : « Nous n’avons aucune raison de faire confiance aux Etats-Unis et nous nous en tenons au principe du donnant-donnant », explique M. Kim.
Depuis le début de l’année, Washington a radicalement changé de politique vis-à-vis de Pyongyang. « En janvier, les Américains, qui avaient toujours refusé les pourparlers bilatéraux que nous demandions, ont pris l’initiative d’un dialogue direct », poursuit-il. Et c’est à huis clos à Berlin qu’a été concocté l’accord entériné un mois plus tard à Pékin par les « Six ».
Selon M. Kim, le revirement américain s’explique par « la prise de conscience de George Bush qu’il s’est lourdement trompé avec sa politique coercitive. Nous avons relevé le défi et procédé à un essai nucléaire qui a démontré que sa politique a eu un effet inverse. Sans notre force militaire, nous risquions le sort de l’Irak ».
La RPDC tiendra ses engagements de l’accord du 13 février, affirme M. Kim. Mais le « démantèlement » du programme nucléaire, évoqué à l’étranger comme enjeu final de l’accord, n’est pas à l’ordre du jour à Pyongyang : « Nous nous sommes engagés à arrêter la centrale de Yongbyon. Ni plus ni moins. »
CHRONOLOGIE
1994. Un accord est conclu à Genève entre Pyongyang et Washington. Les Nord-Coréens s’engagent à geler leur programme nucléaire en échange de la fourniture de deux centrales à eau légère, de 500 000 tonnes de fioul et de garanties de sécurité.
2002. Nouvelle crise après la révélation par l’administration Bush que les Nord-Coréens ont violé l’accord de 1994 en poursuivant en secret l’enrichissement d’uranium.
2006. En octobre, essai nucléaire nord-coréen. Le Conseil de sécurité des Nations unies décide de sanctions contre Pyongyang
2007. Les pourparlers de Pékin à six (Chine, Etats-Unis, Japon, Russie, deux Corées) débouchent le 13 février sur un accord en vue du démantèlement du programme nucléaire de Pyongyang.