PYONGYANG ENVOYÉ SPÉCIAL
En dépit de la crise nucléaire, des négociations destinées à résoudre celle-ci qui piétinent, au plus grand agacement de Washington, et des sanctions internationales à la suite de son essai atomique, Pyongyang vit à l’heure de la liesse socialiste.
La République populaire démocratique de Corée (RPDC) s’offre, depuis samedi 14 avril, l’un des plus étonnants spectacles de la planète : ces mouvements d’ensemble qui mêlent chorégraphie et gymnastique et rappellent, en plus époustouflants par leur ampleur, une cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques.
A la faveur de cet événement qui marque le 95e anniversaire de la naissance de son « président pour l’éternité », Kim Il-sung (1912-1994), la RPDC affiche une confiance en soi renforcée. Une fierté qui peut résonner comme un défi aux yeux du reste du monde, inquiet des menées d’un régime énigmatique, mais qui est vécue ici comme un légitime souci de souveraineté nationale. « Nous sommes fiers de posséder l’arme atomique et nous nous sentons plus en sécurité », dit une jeune fille venue déposer un bouquet devant la monumentale statue de bronze de Kim Il-sung.
Le festival Ariran, qui célèbre depuis 2002 l’épopée nationale, réunit 100 000 participants au Stade du 1er mai (150 000 places). Ariran, titre d’une chanson qui exprime la douleur de la séparation d’amoureux, est le symbole de la désespérance de la nation libérée en 1945 du joug japonais pour être aussitôt divisée par les grandes puissances. Le festival, qui s’échelonnera sur plus d’un mois, se veut la meilleure image que la RPDC souhaite projeter à l’étranger.
Alors que, dans les années précédentes, il avait des connotations politiques appuyées (dénonçant les « impérialistes »), il véhicule cette fois un message sans la moindre allusion à un quelconque « ennemi ».
« Nous voulons montrer que nous sommes un peuple pacifique qui fait preuve d’une unité monolithique face aux agressions », dit Song Sok-hwan, vice-ministre de la Culture. Les mouvements d’ensemble nord-coréens ont atteint une perfection sans doute inégalée dans la synchronisation des gestes.
MOSAÏQUE HUMAINE
Sur un gigantesque écran se succèdent, scandés par le claquement des panneaux manipulés avec une dextérité étonnante par 18 000 enfants, des scènes historiques ponctuées de slogans. Cette mosaïque humaine conte l’épopée nationale confondue avec la vie du « Grand Leader » sur le mode du mélodrame, voire de Walt Disney.
Au sol, s’enchaînent danses, acrobaties de bambins du jardin d’enfants, numéros de catapultes humaines et exercices de taekwondo. Le festival Ariran est le reflet de la société nord-coréenne : une mécanique bien huilée où chacun a sa place et son rôle et où toute incartade dérange l’équilibre de l’ensemble. « Ces manifestations favorisent la concentration, la discipline et la solidarité », explique Ra Yong-su, chef du Corps des mouvements d’ensemble.
Mais son scintillement contraste aussi singulièrement avec la dureté de la vie quotidienne et de l’effort qui se lit sur les traits de beaucoup. Depuis des semaines, Pyongyang vit au ralenti. La plupart des 2 millions d’habitants est mobilisée par quartiers, administrations et entreprises pour participer à des répétitions sans fin sur les stades et les esplanades de la liesse collective.
Ces derniers jours, en dépit des intempéries, des hommes et des femmes dormaient dans des couvertures aux abords de la place Kim Il-sung pour reprendre dès l’aube leur préparation. Les illuminations des pharaoniques monuments à la gloire du régime, des édifices publics et des arbres enguirlandés des grandes avenues du centre, drainent vers la capitale une énergie qui fait défaut au reste du pays et plonge un peu plus la province dans les ténèbres pour que Pyongyang scintille.