1. Quels sont pour vous les grands thèmes de la politique étrangère, notamment de la « politique arabe », de la France ?
Le fil conducteur doit être de rompre avec une politique héritée de l’époque coloniale, qui considère toujours que la politique étrangère doit servir les intérêts des grands groupes industriels et financiers français et participer au maintien d’un ordre décidé par les grandes puissances occidentales.
Ce fil conducteur implique aussi le respect des aspirations démocratiques, les droits économiques, sociaux et culturels des peuples, de la souveraineté économique, politique et militaire des États reconnus par leur population.
Le guide d’une politique étrangère doit être le soutien au droit souverain à l’autodétermination des peuples, aux forces populaires qui combattent pour des sociétés démocratiques, fondées sur la satisfaction des besoins sociaux et rompant avec la soumission aux intérêts des grandes puissances occidentales. Par son soutien à Israël comme à la monarchie saoudienne, aux autres monarchies du Golfe et au régime de Moubarak, aux régimes marocain, algérien et tunisien, la France a tourné le dos jusqu’à présent à ces exigences.
2. Jacques Chirac a toujours été considéré comme un ami du monde arabe, le plus proche parmi les pays européens… Allez-vous conserver cette relation et maintenir cet équilibre ?
Au delà de son image positive dans le monde arabe, Jacques Chirac a surtout été l’ami des monarques et des présidents à vie, et s’est encore compromis dernièrement par son ingérence dans la vie politique libanaise et le soutien à Hariri, par son soutien au boycott du gouvernement palestinien démocratiquement élu.
Nous sommes pour une réorientation globale de la politique française dans la région. Elle nous éloignera sûrement de nombreux amis de Jacques Chirac et des gouvernements français successifs, mais elle nous rapprochera de ceux qui combattent réellement pour les droits des peuples.
3. Quels sont les points forts de votre programme, concernant plus particulièrement les problèmes d’intégration et de ségrégation ?
Là aussi, la France doit régler ses comptes avec son passé colonial et d’assimilation républicaine. En pratique, quand on vit en France et que ses parents ou ses grands-parents sont originaires du Maghreb ou d’Afrique équatoriale, la vie est difficile pour obtenir un emploi ou un logement, ne pas être en butte au racisme et aux tracasseries quotidiennes.
La première décision doit être d’en finir avec des lois sécuritaires et discriminatoires qui assimilent l’immigration à la délinquance et au terrorisme.
Les étrangers sans papiers doivent être régularisés. Cela implique aussi l’abolition de la rétention administrative, la fermeture des centres de rétention et des zones d’attente, la remise en vigueur du droit d’asile, la dépénalisation immédiate du séjour irrégulier.
La carte de résident de dix ans doit devenir la norme, et nous devons mettre immédiatement un terme à toutes les expulsions, parmi lesquelles celles des enfants et de parents d’enfants scolarisés sont les plus scandaleuses et sont heureusement combattues par un vaste courant d’opinion et la mobilisation de milliers d’hommes et de femmes dans notre pays. La loi doit changer pour permettre l’accès de la fonction publique aux étrangers extérieurs à l’Union européenne.
Enfin la discrimination à l’emploi et au logement doit cesser. Des structures de contrôle reconnues doivent être mises en place immédiatement dans les entreprises et les localités, permettant aux syndicats, aux associations de locataires et de droit de l’homme d’avoir accès aux demandes d’emploi et de logement, et pouvoir sanctionner toutes les discriminations évidentes que des dizaines de milliers d’hommes et de femmes subissent tous les jours. Les étrangers résidant en France doivent tous disposer de l’ensemble des droits civiques, qu’ils soient ou non ressortissant de l’Union européeene.
4. Quelles solutions proposez-vous face aux problèmes que les banlieues ont connus ces derniers temps ?
Il faut respecter le triptyque : dignité, justice, égalité : mettre en œuvre un plan d’urgence contre les discriminations racistes et contre la relégation sociale et l’enclavement des quartiers populaires.
La première réponse est évidemment que la France respecte ses banlieues et les populations qui y vivent. Si elles sont des zones de « non-droit », c’est d’abord par l’absence de droits sociaux : postes, hôpitaux, transports, services sociaux en disparition, alors que c’est là que la population en a le plus besoin. Le seul « service public » visible, ce sont les forces de police qui s’y comportent comme des forces d’occupation, sans pour autant servir d’aide à la population pour ses problèmes quotidiens : arrêt des contrôles policiers au faciès., Suppression des Brigades anti-criminalité (BAC), Abrogation des lois sécuritaires Sarkozy-Perben-Chevènement-Vaillant, Abrogation de la loi de 1955 sur l’état d’urgence.
Il faut réinstaurer transports urbains et services publics. Les écoles doivent recevoir les moyens humains et financiers correspondant, en développant les ZEP (zones d’éducation prioritaire) et en augmentant les moyens en crédit et en effectif.
Mais surtout, il faut en finir avec « les communes blanches » dans lesquelles les mairies refusent la mixité sociale et ethnique, renforçant l’image de « ghettos » de nombreuse communes de banlieue. La loi SRU qui oblige chaque commune à avoir 20% de logements sociaux doit être réellement appliquée, sans dérogation.
5. Quel est l’avenir de la place de l’islam dans la société française ?
Pour nous la liberté de conscience et de pratique religieuse doit être effective pour l’islam comme pour les autres religions et celle-ci doit pouvoir être pratiquée dans la dignité, avec de réels lieux de cultes et la présence de carrés musulmans dans les cimetières. La France a longtemps nié l’islam, une religion, selon l’Etat, de travailleurs immigrés qui n’étaient là que de passage. Aujourd’hui, sans doute 5 millions d’hommes et de femmes vivant en France (près de 10%) ont un héritage religieux musulman, qu’ils soient ou pas eux-mêmes croyants ou pratiquants.
Il faut donc en finir avec plusieurs choses : d’abord il faut faire cesser la stigmatisation de la religion musulmane, prétendument porteuse en elle-même de l’intolérance, du sexisme et même de la violence et du terrorisme. L’islam n’est pas plus coupable des ces maux que le christianisme ou le judaïsme, tant il est vrai que toutes les religions ont été utilisés au fil des siècles par les pouvoirs en place, comme par ceux qui voulaient les renverser, pour justifier de graves atteintes aux droits humains. Mais, depuis le 11 septembre 2002, l’islam a été stigmatisé en Europe comme une religion dangereuse. Il faut en finir avec cette image raciste. Nous sommes aussi pour l’abrogation de la loi sur signes religieux qui, quoi que l’on pense du port du voile à l’école, a, là encore, stigmatisé une partie de la population.
Il me semble aussi qu’il faut aussi en finir avec une conception étrange de la représentation des musulmans de France… Organisé sous l’égide du Ministre de l’Intérieur, le Conseil français du culte musulman n’est guère l’expression libre des musulmans de France, mais un assemblage fondé sur des projections du Maghreb en France, ayant plus de rapport avec la diplomatie qu’avec un libre choix.
Nous sommes donc pour laisser la religion à sa place, celle d’un choix individuel qui doit pouvoir s’exercer librement, ailleurs que dans des caves ou des parkings, dans le respect des croyants comme dans celui des non-croyants. Mais nous ne pensons pas non plus que les institutions religieuses soient les porte-paroles des populations, d’individus qui se verraient ainsi confinés et définis par l’appartenance à telle ou telle communauté religieuse. Ce n’est pas notre conception de la société ni en France, ni ailleurs.
Quel doit être le rôle de la France au Moyen-Orient ?
Dans le monde arabe, la première blessure ouverte est la Palestine. Les Palestiniens doivent voir reconnue leur souveraineté immédiate et totale à Gaza et en Cisjordanie, Jérusalem-Est compris et les colonies israéliennes doivent être démantelées, l’ensemble des troupes d’occupation retirées. Un Etat souverain doit voir le jour avec l’ensemble de ses prérogatives. L’ ensemble des palestiniens vivant aujourd’hui dans les camps de réfugiés doivent bénéficier du droit au retour. L’ONU et les pays de l’Union européenne doivent cesser tout embargo sur les crédits alloués aux Palestiniens. La France doit cesser d’apporter son soutien à l’Etat d’Israël qui bafoue toutes les résolutions prises à son encontre et méprise les droits des peuples de la région, l’érection du mur isolant la Cisjordanie en étant le dernier exemple.
la France doit cesser, au Liban de s’ingérer dans les affaires du pays . Les troupes françaises doivent être retirées, car la résolution 1701 a donné à la FINUL un rôle de gendarme intérieur et non de protection du Liban face à l’agresseur israélien. Là encore les aides européennes et françaises ne doivent en aucun cas être conditionné au régime en place à Beyrouth. Par contre la France doit exiger le respect de la souveraineté libanaise sur son territoire et la restitution des fermes de Chebaa.
La France doit intervenir au niveau international pour amener au retrait de toutes les troupes d’occupation d’Irak. La France doit immédiatement cesser de participer aux menaces contre l’Iran, qui venant d’une des principales puissances nucléaires mondiales sont encore plus scandaleuses.
Nous sommes pour un Moyen-Orient… et un monde dénucléarisé, mais les manœuvres actuelles servent surtout, pour le lobby nucléaire français à contrer l’influence russe en Iran dans ce domaine, et pour l’ensemble des puissances occidentales à développer après l’Irak, un nouveau foyer d’intervention militaire, prétexte à juguler les droits des peuples.
6. Quels liens type de relations politiques et économiques souhaitez-vous entretenir avec les pays du Maghreb ?
Dans le Maghreb, la France a toujours été le soutien indéfectible des régimes autoritaires, et ceux-ci ont toujours cherché l’appui de Paris, notamment lorsque les peuples les remettaient en cause en exigeant le respect des droits démocratiques. Le Maghreb devient de plus en plus le sous-traitant économique -et sécuritaires pour gérer l’immigration « clandestine »- de l’Union européenne, alors que les accords bilatéraux sont très inégalitaires. Là aussi, ces rapports doivent changer.
Le Maghreb représente plus du tiers des exportations françaises vers l’Afrique. La France doit cesser d’abord de considérer le Maghreb comme l’arrière-cour de la France et de l’Union européenne : en finir avec une circulation contrôlée entre la France et le Maghreb, mais en finir aussi de faire de ces pays des ateliers de sous-traitance de l’industrie fondée sur les écarts salariaux.. Enfin, les pays du Maghreb qui désirent adhérer à l’Union européenne ne doivent plus voir leur demande rejetée au nom d’un européanisme qui ne correspond ni à l’histoire, ni à la réalité des peuples et de l’économie… ou d’une Union du Maghreb qui serait tout autant contrôlée par Bruxelles.
7. Comment souhaitez-vous voir avancer le dossier concernant le Traité d’amitié franco-algérien ?
Sur le plan politique, vis à vis de l’Algérie, il est temps que la France cesse de se réfugier derrière les lois d’amnistie pour ne pas reconnaître les massacres de Sétif et Guelma et les crimes commis par les milices coloniales et l’armée française lors de la guerre d’indépendance, ainsi que les méfaits de la période coloniale. Il est stupéfiant qu’au début du XXIe siècle on puisse encore « renvoyer aux historiens » le jugement des lourds préjudices et atteintes aux droits de l’homme qu’a fait subir la France aux peuples colonisés dans le Maghreb comme en Afrique subsaharienne. Le reste, concernant ce traité, est visiblement une affaire de gros sous concernant « le partenariat privilégié », les industriels français craignant la concurrence russe et américaine.
8. Entretenez-vous des liens particuliers avec (un ou) des leaders du monde arabe ? Si oui lesquels ?
La LCR a toujours été aux côtés des démocrates qui se battent contre le général Ben Ali, le régime militaire en Algérie et la monarchie marocaine. Elle a toujours apporté son soutien aux mobilisations altermondialistes, au mouvement Kifaya en Egypte qui s’oppose à la république monarchique…
La LCR entretient des relations fraternelles avec de nombreuses organisations au Maghreb et au Moyen Orient : des organisations qui se situent dans le même courant international, comme le PST algérien ou Al Mounadhil-a au Maroc, mais aussi avec la Voie Démocratique. Au Moyen-Orient, nous entretenons des liens réguliers et de solidarité avec le Parti communiste libanais et le Front populaire de libération de la Palestine, de même qu’avec d’autres organisations de la résistance palestinienne.
9. Pouvez-vous nous donner votre vision à propos de la liberté d’entreprendre ?
Nous sommes des socialistes, des marxistes-révolutionnaires. Nous sommes surtout attachés à la liberté de… vivre librement, avec un emploi, un salaire et des conditions de vie décente, dans des sociétés respectant les libertés individuelles et la liberté d’expression. Notre combat est essentiellement pour des sociétés où les hommes et les femmes du peuple deviennent maîtres de leur destin et dirigent réellement leur pays. Le respect de ces libertés-là impose de remettre en cause beaucoup de choses, sur tous les rivages de la Méditerranée, et notamment la mise en place d’une réelle liberté de circulation.
10. Quels sont vos projets européens ?
D’abord nous voulons imposer le respect du choix des électeurs de France et des Pays-Bas qui ont voté non à la constitution libérale, exprimant une volonté largement partagée dans les autres pays de l’Union où on a guère soumis le traité à l’approbation populaire.
Aussi, nous nous prononçons pour la fin des traités et directives libérales qui démantèlent peu à peu les droits sociaux imposés par des décennies de luttes. Nous oeuvrons pour une harmonie vers le haut des droits sociaux au sein de l’Union et pour l’élection directe et démocratique, à la proportionnelle d’une assemblée constituante souveraine qui fixeraient, indépendamment des intérêts des grands groupes capitalistes européens, les règles politiques et sociales que veulent partager les populations de l’Union européenne. Il va sans dire que nous pensons que les 12 millions d’immigrés qui vivent dans l’Union doivent évidemment participer de plein droit à ce processus.
11. Que souhaitez-vous ajouter ?
Je suis profondément scandalisé par la dernière déclaration du Ministre-candidat Nicolas Sarkosy proposant la mise en place d’un Ministère de l’Immigration et de l’identité nationale, qui n’est pas sans rappeler les dérives xénophobes de « l’Etat français » du Maréchal Pétain qui voulait « purifier » la France pour préserver l’identité nationale.