Cette année, le Newroz avait un caractère particulier puisque la Turquie subit comme tous les pays du monde ou presque la vague du Covid-19, mais aussi parce qu’un autre virus ronge la démocratie en Turquie : son gouvernement islamo-conservateur en alliance avec le MHP (Parti d’action nationaliste), le parti d’extrême droite dont les partisans, la nébuleuse des « Loups gris », viennent d’être interdits en France.
Crédit Photo. DR
Vers l’interdiction du HDP ?
Ces derniers mois, dix députés du HDP (Parti démocratique des peuples) ont vu leur immunité parlementaire levée. Ils ont été condamnés sous des prétextes divers, comme la participation à une manifestation de soutien à Kobané assiégée par les djihadistes, ou des liens présumés avec la bête noire d’Ankara, le PKK. Le 17 mars , l’immunité parlementaire d’Omer Faruk Gergerlioglu a été levée pour qu’il puisse purger deux ans et demi de prison, à la suite d’un tweet datant de plus de deux ans. Ce député était bien connu pour son infatigable défense des droits humains et des libertés en Turquie. Le lendemain, on apprenait par ailleurs l’arrestation du coprésident de l’Association des droits de l’homme, Öztürk Türkdogan. Soixante maires HDP ont été destitués et remplacés par des administrateurs depuis leur élection en 2018, et les arrestations des militantEs et cadres du HDP se sont accélérées, plus de 800 sont actuellement emprisonnés, dans l’attente de lourdes condamnations.
Mais le pire est sans doute à venir, puisque le gouvernement turc vient de demander officiellement à la Cour constitutionnelle l’interdiction du HDP en tant que parti politique. La Cour constitutionnelle, la plus haute instance en Turquie, héritée de la Constitution de 1982 et du coup d’État militaire de 1980, peut interdire un parti politique et supprimer les financements publics de ce parti. De plus la demande s’assortit d’une interdiction pour des centaines de cadres et de cadres intermédiaires du HDP de reformer un autre parti sous un autre nom et plus simplement d’être actifs politiquement.
Erdogan veut bâillonner les Kurdes
Le mouvement kurde a l’habitude des interdictions à répétition : HEP, DEP, HADEP… ont été interdits, qui se présentaient aux élections souvent dans le cadre d’alliances. Le HDP est différent, c’est un parti large, soutenu par une partie importante de la population et de la gauche turque, bien au-delà de son ancrage dans le mouvement kurde. En juin 2015, ce tout jeune parti a obtenu presque 14 % des voix au Parlement, 80 députés, et fait perdre sa majorité absolue à l’AKP, ce que le président turc Erdogan ne lui a jamais pardonné. Même après la dissolution du Parlement et des mois de guerre civile larvée fomentée par les partisans de l’extrême droite et ceux de l’AKP, les nouvelles élections de novembre 2015 ont permis au HDP de gagner 68 députés au Parlement. Ce qui l’a confirmé dans sa position de troisième force politique du pays,
Le gouvernement de l’AKP et ses alliés d’extrême droite veulent donc en finir avec le HDP, mais ils avaient jusqu’ici avancé à petits pas, destituant une co-maire comme celle de Diyarbakir, Gultan Kisanak, et la condamnant à 11 ans de prison, puis un député, puis un autre co-maire, un autre député… Cela lui a permis de tester la réaction de la « communauté internationale » et de l’Europe. En l’absence totale de réaction, mis à part quelques grognements désapprobateurs non suivis de quelconques sanctions, il a recours aux grands moyens. Le président turc Erdogan veut bâillonner définitivement les Kurdes de Turquie et écraser sous les bombes de ses F16 les Kurdes du Rojava.
Mais la foule jeune et joyeuse de Newroz à Diyarbakir et dans toutes les villes de la région, agitant des milliers de drapeaux du HDP, était là hier pour lui rappeler que la partie est loin d’être gagnée.
Mireille Court