Petit retour en arrière. Nous sommes en avril 2003. Le Front national tient son congrès à Nice. Les résultats de l’élection au comité central révèlent une nouvelle crise au sein du mouvement lepéniste. Marine Le Pen et ses amis recueillent moins de voix qu’ils ne l’escomptaient. Bruno Gollnisch et ses proches se trouvent en position de force face à la nouvelle génération de cadres, forgée dans l’adversité aux « pu-putschistes » de Bruno Mégret. Le président du FN s’assoit sur le vote des délégués. Il impose Marine Le Pen comme vice-présidente du FN (poste créé pour l’occasion), et il fait entrer une dizaine de militants proches d’elle au bureau politique.
La crise porte sur la construction du parti. D’un côté, ceux qui privilégient un mouvement « enraciné » localement et la reconstruction de l’encadrement. Jacques Bompard et Marie-France Stirbois en sont les fers de lance. De l’autre, Marine Le Pen et ses amis veulent, avant tout, humaniser l’image du parti (rajeunissement, féminisation), et le moderniser en gagnant les sympathies des milieux économiques. À l’époque, la dérive monégasque des Le Pen et la stratégie médiatique de construction furent de nouveau pointées. La succession de Le Pen était également posée. L’incompétence d’une partie de l’appareil, qui provoqua l’inéligibilité de Jean-Marie Le Pen lors des régionales de 2004 en Provence-Alpes-Côtes d’Azur ajoutera de l’huile sur le feu. Jugeant les résultats décevants, de nouveaux cadres quittent le navire frontiste. Durant l’été 2004, à l’occasion de la 19e Université d’été du FN, la crise atteint son paroxysme. À l’issue de ce nouvel épisode, Jacques Bompard et Marie-France Stirbois passeront en commission de discipline. Bien que soutenus par les « cadres historiques », Le Pen les exclut. Bernard Antony quitte le bureau politique, puis retourne à l’animation de ses réseaux traditionalistes. Marie-France Stirbois meurt en avril 2006. Jacques Bompard anime, depuis, la fédération du Mouvement pour la France (MPF) du Vaucluse. Les cadres du FN qui se sont opposés au chef sont mis au placard.
« Union des patriotes »
Aujourd’hui, ce qui agite le landernau nationaliste, c’est le prétendu bradage des valeurs et fondamentaux programmatiques dont Marine Le Pen, directrice stratégique de la campagne présidentielle, et ses proches seraient responsables. Un blog, « Les nationalistes contre Le Pen », a vu le jour, en février dernier, et il fut suffisamment pris au sérieux par le FN pour qu’il lui oppose un autre blog, « Les nationalistes avec Le Pen ».
En réalité, qu’il s’agisse du discours de Valmy, influencé par l’ex-stalinien rallié au FN Alain Soral, ou du projet présidentiel de Jean-Marie Le Pen, les piliers programmatiques restent la « préférence nationale » et la « préférence familiale ». Sur d’autres questions, il s’agit essentiellement d’inclinaisons tactiques afin d’attirer les suffrages de nouveaux segments électoraux (femmes, Français issus de l’immigration, etc.). La « génération Marine Le Pen » cherche bien à poser des jalons pour l’avenir, mais elle n’envisage pas un aggiornamento à l’italienne. La scission de 1998 - qui aboutit à la création du Mouvement national républicain (MNR), avant ses crises à répétition -, avait déjà provoqué une dispersion de cadres vers d’autres mouvements d’extrême droite (identitaires, régionalistes...) ou de droite extrême, comme le MPF.
Quant à Philippe de Villiers, absent de la présidentielle de 2002, il cherche à gagner une partie de l’électorat lepéniste. Le « souverainisme » devient alors « patriotisme populaire ». De Villiers s’autoproclame candidat « antisystème », dénonce « l’islamisation de la France », et cherche ainsi à attirer les faveurs de l’électorat « droitiste » du FN. Guillaume Peltier (ex-FN, ex-MNR), directeur de campagne de « P2V », va même plus loin : « Le vote Le Pen, c’est légitimer le degré zéro de la politique. [...] C’est un vote stérile [...] qui ne permet pas de cons¬truire une grande force alternative pour les années qui viennent. » [1] En somme, l’après-Le Pen se prépare aujourd’hui.
Bien qu’en situation délicate, Jean-Marie Le Pen est convaincu qu’il sera au second tour de la présidentielle. De toute évidence, ce n’est pas en s’appuyant sur la dynamique de l’« Union des patriotes », dont l’appel fut lancé le 1er mai 2006, qu’il peut compter. Cette union, dont il brandit tout de même le label, englobe, comme force d’appoint pour l’instant, le Mouvement national républicain de Bruno Mégret. Dans l’entretien qu’il donne au mensuel frontiste Français d’abord (FDA) [2], Jean-Marie Le Pen se définit comme « le seul candidat réel et sérieux anti-système [...], le candidat de l’opposition nationale ». Il qualifie ses trois principaux adversaires (Sarkozy, Royal, Bayrou) comme « le cartel des “oui” » au référendum du 29 Mai, après les avoir présentés comme « les [représentants des] trois principaux partis qui sont responsables de la situation de la France ». Dans le même numéro, un article relate la participation de Jean-Marie Le Pen à l’émission « France Europe Express », le 15 mars. Ce dernier se voit non seulement au second tour (Le Figaro du 5 avril confirme que le matériel est déjà prêt), mais aussi président, puisque « les Français ont été échaudés par le vote massif et bananier en faveur de Jacques Chirac, ils ont mesuré les résultats de leur confiance détournée ».
Proportionnelle
Au-delà des rodomontades dont le leader d’extrême droite est coutumier, le risque est bien, qu’il soit ou non qualifié pour le second tour, que ses « idées » y soient. Nicolas Sarkozy veut séduire à tout prix l’électorat frontiste. Il s’approprie une partie des thématiques qui cons¬tituent la « marque de fabrique » de Jean-Marie Le Pen. Il fait de la sécurité le thème majeur de sa campagne. Il se présente comme le candidat de l’ordre. Il propose la création d’un ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration, et l’un des axes de son programme défend la « fierté d’être français ». Tout cela au risque de banaliser et de renforcer les positions d’un Le Pen déjà « bien installé dans le paysage politique français » [3].
Pour l’emporter, Nicolas Sarkozy sait qu’il doit rassembler l’essentiel des voix de droite, ainsi que celles du Front national et du MPF. Il restera ensuite à conserver le pouvoir en s’appuyant sur une sociologie électorale ancrée à droite. Et là, l’UMP semble de nouveau traversée par les débats interrompus en 1998. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre connaissance de l’entretien de Jérôme Rivière, député UMP des Alpes-Maritimes et président du comité de soutien de Philippe de Villiers, dans l’hebdomadaire d’extrême droite Minute. [4] Tandis que les « réflexions » de Brice Hortefeux à propos de la dose de proportionnelle pour les élections législatives de 2012 ne sont probablement pas de l’ordre du hasard. [5]
Notes
1. Pour la France, mars-avril 2007.
2. Français d’abord, avril 2007.
3. Nonna Mayer, Le Monde.fr, 13 avril 2007.
4. « Le mur qu’on a construit autour du Front national doit tomber », Minute, 4 avril 2007.
5. Le Figaro, 13 avril 2007.