Le travail a repris, vendredi 20 avril au soir, au bureau de poste de Paris-Louvre, qui avait débuté une grève reconductible, lundi 16 avril, après deux autres journées de 24 heures, les 27 mars et les 11 avril (Rouge du 12 avril, voir ci-dessous). Les guichetiers ont le sentiment, non d’une victoire complète, mais d’avoir fait plier la hiérarchie de La Poste, d’avoir limité l’ampleur du « dégraissage » très violent prévu (un tiers des effectifs), et surtout d’avoir démontré une dignité collective exemplaire, appuyée sur une force de solidarité et d’unité qui comptera dans l’avenir.
La direction voulait passer d’un peu plus de 100 postes à 77, et faire muter les agents en « sureffectifs » au-delà d’une date butoir (en les « accompagnant »). Elle réorganisait aussi l’espace guichet en liquidant des services et en prétendant en offrir d’autres - en fait, une boutique commerciale et un accueil ciblé sur les clients à valeur ajoutée. Grâce à la lutte, 83 emplois sont assurés - six ont donc été récupérés -, aucune mutation des agents en « surnombre » n’aura lieu, sans date butoir, et certains services sont mieux préservés.
Cet acquis est d’abord le résultat d’une unité sans faille de la centaine d’agents concernés et mobilisés. Unité syndicale sans accroc (CGT, SUD, FO), unité du personnel avec des assemblées de débats à chaque étape, des initiatives en direction des usagers (pétition des philatélistes, des expéditeurs de colis), et une capacité à déjouer les pièges de la division entre les secteurs d’activité (par exemple, entre les services de jour et de nuit). La grève a été active, elle est d’emblée sortie des murs de La Poste pour occuper le débat préélectoral : conférences de presse sur le trottoir, accueil des élus locaux et des représentants des candidats, visites des QG de Ségolène Royal et de François Bayrou, ainsi qu’à la mairie de Paris.
Mais, ce qui a probablement été décisif dans le rapport de force, outre la combativité affichée, c’est la dignité réaffirmée du métier. Cela peut sembler paradoxal, mais regagner deux emplois, puis quatre, puis six, c’est aussi défendre le sens de son travail. Un emploi, c’est un chômeur de moins, mais c’est aussi une vie professionnelle, des connaissances, un lien journalier et personnel avec les usagers, un savoir-faire dans le détail et la qualité du suivi des opérations. Il y a donc eu des moments forts, où les postiers, et surtout les postières, ont montré qu’ils contrôlaient leur travail, bien mieux que ceux qui raisonnent avec des chiffres de productivité et des chronomètres. Il y a donc eu des face-à-face tendus de négociation, où le personnel a affirmé avec puissance la valeur de son travail de service public, face à une hiérarchie arrogante, souvent ignorante et décontenancée lorsque la maîtrise du travail lui échappe. Le personnel sort légitimement fier de sa lutte, et plus fort qu’avant pour s’imposer dans la vie quotidienne.
* Paru dans Rouge n° 2203 du 26 avril 2007.
La Poste : commerce contre service public
Le bureau de poste de Paris-Louvre a débuté, lundi 15 avril, une grève reconductible contre la suppression d’un tiers des emplois.
Après une grève d’un jour suivie à 98 % le 27 mars, étendue ensuite le 11 avril au centre de tri - qui devrait voir ses effectifs diminués des deux tiers ! - et à la distribution, les guichetiers du bureau de poste de Paris-Louvre ont commencé une grève reconductible le 15 avril. Sur ce site de 1 500 personnes, l’enjeu est de taille : la mise au pas d’un bureau dont les traditions de lutte sont fortes et qui est resté, tant bien que mal, en dehors du « prêt-à-penser » libéral en vertu duquel les bureaux de poste ont été « réformés » ces dernières années. Près d’un tiers des effectifs sont appelés à disparaître ! Paris-Louvre est souvent caractérisé comme un « village gaulois » résistant à l’empire du tout commercial auquel sont soumis les agents de La Poste. À ces dernièrs, on brandit la menace de la concurrence acharnée des autres opérateurs européens, tous plus ou moins privatisés, qui sera accentuée par la très prochaine directive postale européenne ouvrant à la concurrence la totalité du courrier (dont les plis en dessous de 50 grammes).
Le tour de magie du directeur de Paris-Louvre consiste à présenter une saignée des effectifs comme une amélioration du service rendu aux usagers ! Selon la CGT, les effectifs aux guichets baissent de 26 à 17, les opérations « arrières » voient leurs moyens allégés de huit à trois personnes, et le « volant de remplacement » - qui permet d’assurer les congés, arrêts maladies, etc. - fond de 13 à 7 emplois. La charge de travail restant sur le personnel va donc augmenter de plus 45 %. Or, que dit la lettre que le directeur de Paris-Louvre envoie à tous les agents ? Pas un mot sur les suppressions de postes, mais l’idée selon laquelle le projet de restructuration crée trois em¬plois à la Banque postale ! On ne saurait mieux afficher le mépris dans lequel les tâches courantes d’accueil des usagers sont tenues : supprimer des emplois classiques, cela ne mérite même pas d’être souligné, mais créer des postes de cadres pour segmenter la file d’attente en fonction de la valeur ajoutée des opérations, voilà ce que La Poste appelle donner « à nos clients envie de venir et de revenir ».
Lors des deux précédentes grèves, le personnel et les syndicats CGT, SUD et FO avaient alerté l’opinion publique et invité les élus locaux, les associations (AC !) et les représentants des candidats (Verts, LCR, PCF, Bové, PS, LO) à donner leur avis : la lutte est sortie des murs de La Poste. Le personnel est en train de réfléchir à un contre-projet d’organisation du bureau de poste, pour mieux accueillir les usagers sans supprimer d’emplois. La direction de La Poste détourne les insuffisances du service public pour le détruire dans une pure logique commerciale. Il s’agit, au contraire, de prouver que le contrôle par le personnel des emplois et des services rendus redonne au service public sa valeur de mobilisation pour le bien commun de tous.
* Paru dans Rouge n° 2202 du 19 avril 2007.