Pour l’occasion, ils ont ajouté des barrages routiers et bloqué des voies ferrées. Poings en l’air, drapeaux rouges propres à leur cause dans l’autre main, les fermiers indiens ont souligné les quatre mois de leur lutte contre la réforme agricole.
En périphérie de la capitale, Delhi, des milliers, surtout des sikhs du Punjab, ont créé un véritable village de la résistance, aménagé sur une autoroute bloquée.
L’enjeu du prix plancher garanti
La mobilisation pour faire annuler la réforme agricole a commencé le 26 novembre dernier. Les trois lois pour libéraliser le monde agricole indien ont été adoptées en septembre, mais leur application est suspendue.
La réforme viendrait éliminer le prix plancher garanti pour une vingtaine de denrées, dont le riz et le blé. Les producteurs doivent vendre leurs récoltes à l’État à bas prix en ce moment, mais ils sont garantis.
Un cultivateur de blé assis sur son lit de camp, dans une tente-dortoir, discute avec des camarades. Il est inquiet pour son avenir. Le gouvernement et les grandes corporations vont finir par nous enlever nos terres, dit-il. Ils vont contrôler le marché, fixer les prix et nous ne pourrons plus survivre.
Quelque 70 % de la population indienne de 1,3 milliard d’habitants vit de l’agriculture, et 85 % des fermiers doivent cependant gagner leur vie avec de petits lopins de terre de moins de deux hectares.
Surendettement, détresse psychologique, hausse inquiétante des cas de suicide. Les fermiers indiens peinent déjà à joindre les deux bouts.
Un autre fermier, assis dans sa roulotte celui-là, explique que l’essence, les pesticides dont l’utilisation est très répandue en Inde, et l’irrigation dans ce pays sec au climat chaud coûtent extrêmement cher. Bon nombre d’agriculteurs doivent parfois vivre des mois sans dégager de profits.
Résistance organisée
Au gigantesque campement, tout a été pensé pour que les fermiers poursuivent leur combat.
Des cuisines géantes à aire ouverte ont été aménagées et on trouve aussi des stations pour que les fermiers puissent faire leur lavage. Des cliniques médicales et même des bibliothèques ont été aménagées.
Dans la foule du campement, une jeune dame vêtue d’un chemisier en soie bleue. Cette dentiste et fille de fermier tient dans sa main un drapeau jaune sur lequel on lit : pas de nourriture sans agriculteurs.
Elle est venue pour la journée avec sa mère en guise de solidarité et pour témoigner de l’importance de l’agriculture, qui représente 15 % du PIB de l’Inde.
Mon père a réussi à faire de moi une dentiste, dit-elle la gorge nouée. Il m’a tout donné grâce à ses terres. Elles sont maintenant menacées et je vais me battre pour elles.
Une modernisation nécessaire, selon le gouvernement
Le premier ministre indien, Narendra Modi, accuse les fermiers de mentir sur la réforme. Il assure que les agriculteurs pourront vendre autant qu’ils veulent à qui ils veulent. Il insiste sur le besoin de moderniser cette industrie archaïque et ce système d’approvisionnement en place depuis les années 50.
Plusieurs rondes de négociations entre des représentants des fermiers et du gouvernement ont eu lieu, sans résultat. Aucune autre rencontre n’est prévue.
On ignore quand la réforme sera finalement mise en application, mais les fermiers, eux, sont déterminés à mener le combat jusqu’au bout.
Philippe Leblanc Avec les informations de Agence France-Presse
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