La direction de Québec solidaire vient de rendre public son « Plan solidaire pour un Québec d’après » [1]. Elle organise un blitz de conférences virtuelles sur le sujet en mars et avril. Ces conférences seront utiles pour faire oublier à la militance qui se tient au courant des affaires du parti que sa direction a émoussé la radicalité votée par les conseils nationaux (CN) de septembre et novembre 2020 en faveur d’une saveur sociale-démocrate bon teint qui ne paraît en pointe que par rapport à certaines politiques abrasives de la CAQ. Cet électoraliste centrisme de gauche ne paraît réaliste que si l’on ignore les contraintes du néolibéralisme austéritaire que la lutte pandémique aura pour un temps mis entre parenthèses — nécessité pour sauver la mise oblige tout comme lors de la crise de 2007-2009 — tout en lui permettant de fignoler son côté autoritaire sous le masque du paternalisme. Au Québec, la CAQ a particulièrement bien réussi cette opération, nationalisme identitaire aidant, comme le montrent les sondages malgré la pire gestion canadienne de la pandémie. Cette faille démocratique qui fait tolérer les couvre-feux se répercute tant au niveau de la démocratie interne Solidaire que dans son plan de relance.
Ce plan, qui ne doit pas grand chose aux décisions de la militance décidant collectivement en CN, ne peut être autre chose que le fil de plomb de ce que sera la plateforme électorale 2022. Pourquoi alors tout ce processus qui par le CN de mai prochain et ensuite par le congrès de l’automne qui vient, est censé donner corps à cette plateforme ?
Le CN de septembre avait prescrit de favoriser la participation démocratique des communautés et des travailleurs et travailleuses à la gestion des transformations prévues au plan. Il n’en est nullement question dans le plan sauf pour la démocratisation des centres hospitaliers de soins de longue durée (CHSLD). Le CN de septembre avait aussi voté pour inclure dans le plan la « nationalisation des secteurs privés de santé ». Non seulement n’en est-il nullement question mais la direction du parti est allée jusqu’à modifier le résultat du vote pour ce point dans le compte-rendu parce que, selon elle, il s’opposerait au programme. Pourtant, le point 6.1.3 du programme dit ; « Éliminer le financement des services publics par des entreprises à but lucratif et des fondations privées — Pour protéger nos services publics et leur mission des incursions d’entreprises à but lucratif ou de fondations privées, un gouvernement solidaire : a) Interdira aux entreprises privées de financer directement les services publics. » Ce serait le comble de cautionner les cliniques privées. D’ailleurs, le plan ne revendique-t-il pas la nationalisation des CHSLD privés... ce qui serait non conforme au programme ?
Une porte entrebâillée vers l’alternative mais marginalisant les plus faibles et compensant les plus forts
Le CN de septembre avait aussi voté, à l’encontre de la porte-parole du parti qui avait exigé un vote de reconsidération qu’elle a perdue, l’embauche de 250 000 personnes dans le secteur public (et communautaire). Cette revendication s’est muée en embauche d’environ 90 000 personnes supplémentaires dont « 50 000 salariées et salariés de la santé affectés aux soins à domicile » et « 10 000 personnes employées par le réseau d’organismes communautaires ; 10 000 éducatrices et éducateurs en services de garde éducatifs à l’enfance,pour pallier la pénurie actuelle et pour créer toutes les places manquantes en CPE ».C’est d’ailleurs cette revendication, avec celle fiscale, qui a le plus retenu l’attention médiatique, à juste titre car elle laisse voir une société alternative dont le but post-pandémique est de prendre soin (care) et non d’accumuler du capital et de se consoler en se gavant de consommation de masse soit en présentiel quand on a les sous, soit virtuellement grâce à la propagande capitaliste appelée aussi publicité. D’ailleurs les gourous médiatiques n’ont pas osé attaquer frontalement cette revendication tellement la pandémie et la lutte climatique la portent sur un plateau, préférant plutôt s’en prendre à son mode de financement. On y reviendra.
Cette populaire mais non pas moins demi-mesure, faisant fi de la démocratie interne, a l’inconvénient d’abandonner en chemin les travailleuses non professionnelles souvent racisées des hôpitaux pour lesquelles il n’est revendiqué aucun recrutement de main-d’œuvre supplémentaire malgré la bienvenue intégration du personnel des agences de placement ce qui cependant n’ajoute aucune heure de travail. Pourquoi aussi se contenter de seulement faire un pied-de-nez à la CAQ en copiant la politique des Libéraux fédéraux de seulement régulariser « les travailleurs et travailleuses sans statut ayant travaillé au front durant la pandémie » au lieu de toutes et tous ? S’il faut saluer dans la fonction publique et le secteur parapublic « un ratio d’embauche d’une personne sur quatre appartenant à une minorité visible ou ethnoculturelle », pourquoi cette mansuétude envers le secteur privé d’une hausse de subvention de 8 M$ pour atteindre un objectif inférieur de 15% et non pas une obligation à leur frais pour le même objectif que l’État ? Et que dire de l’ajout d’un mince « 3000 employées et employés en éducation », secteur qui paraît le grand oublié de cette revendication majeure du plan. Parler après coup d’« embauche massive de personnel enseignant et de ressources éducatives » paraît bien boursouflé.
Rien n’est prévu pour la bonification de la main-d’œuvre des services de transport public, de Pharma-Québec et d’Internet-Québec. On se dit aussi qu’il faudrait pas mal d’embauches dans la fonction publique pour requinquer l’expertise gouvernementale mise à mal par les coupes au point de favoriser « l’industrie de la corruption » comme au ministère des Transports. On pense en particulier au ministère de l’Environnement en inspectorat, à celui de l’Agriculture en agronomes-conseils indépendants des transnationales des fournitures agricoles. Faudrait-il s’en remettre à l’entreprise privée pour la construction de 10 000 logis sociaux éco-énergétiques l’an, ce à quoi le plan aurait pu ajouter la réquisition et la transformation des édifices à bureaux et des hôtels devenant sous-utilisés avec la pandémie tout comme la réservation en logis sociaux d’au moins 20% des projets de condominiums ce que même l’organisation populaire nationale FRAPRU trouve insuffisant (André Dubuc, Le neuf subventionnera le logement social à Montréal, La Presse, 12/06/19) ? Quand la sociale-démocrate institut de recherche IRIS propose l’embauche de 250 000 personnes, on peut s’y appuyer. À récuser sa base militante et l’IRIS, l’aile parlementaire affaiblit la cause populaire. Annoncer 250 000 ou 90 000, arrondi à 100 000 par certains médias, produit le même effet médiatique mais laisse sur leur faim les secteurs et groupes laissés pour compte.
Cette peur de déplaire à la bourgeoisie et à ses matamores médiatiques se répercute dans les mesures de (semi-)nationalisation. On rachète les « monopoles privés » d’autobus interurbains au service minable pour un généreux deux milliards $. La table est mise. À combien auront droit les propriétaires de CHSLD privés au comportement pandémique exécrable et qui paient leurs préposées 13.50 $ de l’heure au lieu de 20.00 $ ? À défaut d’exproprier sans compensation les transnationales pharmaceutiques qui ont été gavées de subventions sans retour d’ascenseur promis, combien de milliards $ coûtera la mise sur pied de Pharma-Québec y compris peut-être pour le rachat de certains actifs privés ? Idem pour Internet-Québec auprès des Vidéotron, Telus et Rogers réputés mondialement pour leurs prix élevés sans se soucier des territoires mal desservis faute de rentabilité. Ces derniers seront laissés à l’entreprise étatique tout comme les secteurs les moins rentables et risqués, tels les vaccins hors pandémie, à Pharma-Québec. Ira-t-on jusqu’à compenser les agences de placement et les entreprises de soutien à domicile pour la perte de leurs marchés ?
Elles ont beau n’être que des PME, seulement rentables à coups de bas salaire et de mauvaises conditions de travail, elles sont en mesure de poursuivre l’État pour dommage comme la PME Ray-Mont Logistique le fait vis-à-vis la Ville de Montréal (Philippe Tesceira-Lessard, La Ville de Montréal poursuivie pour 373 millions, La Presse, 1/03/21). Le plan, d’ailleurs, ménage les PME en ne réclamant qu’un salaire minimum de 15 $ l’heure, sans même parler d’indexation, alors que l’IRIS suggère plutôt un peu plus de 18 $ l’heure pour 2020 sur la base de son modeste « revenu viable » (Ève-Line Couturier et Vivian Labrie, Qui a accès à un revenu viable au Québec ?, IRIS, 11/20, tableau 3). Pour combler la mesure, le plan propose de subventionner les PME pour y arriver ! Quant aux bénéficiaires de l’aide sociale, c’est ni vu ni connu, comme pour la CAQ, peu importe le précédent pandémique qui a pourtant forcé l’ouverture des vannes du soutien financier aux entreprises et à leurs personnels.
Les décentralisations agricole, régionale et pro-autochtone au profit des transnationales et du fédéral
Cette idéologie du small is beautiful s’étend à l’agriculture, aux régions et aux peuples autochtones. Sauf qu’elle est davantage de la poudre aux yeux que bénéfique. Après avoir constaté que la majorité des terres agricoles québécoises sert à alimenter les animaux de ferme, et non pas principalement le porc comme il est erronément affirmé, le plan Solidaire veut favoriser la production en serre par de nécessaires transformations techniques. Mais le plan ne réclame pas que les fermes vouées à l’alimentation végétarienne bénéficient de la plus basse tarification industrielle d’Hydro-Québec, soit celle des alumineries plus avantageuse que la récente baisse pour seulement la culture en serre, à la fois pour stimuler la souveraineté alimentaire, la production maraîchère et la baisse de la production animalière ce dont le plan ne parle pas malgré sa nécessité pour abaisser les gaz à effet de serre (GES) et pour une saine alimentation. Il ne suffit pas non plus de seulement dénoncer une éventuelle vente d’électricité à rabais au projet gargantuesque en GES GNL-Québec mais aussi de réclamer un moratoire pour les fermes de serveurs, en particulier une interdiction pour celles anti-sociales de cryptomonnaie, très énergivores et très peu créatrices d’emplois.
S’il est vrai que « [l]a souveraineté alimentaire ne se fera pas sans souveraineté politique », il ne suffit pas de constater que « les ententes sur le commerce international favorisent quelques gros joueurs, la plupart du temps étrangers » tout en passant sous silence les programmes de gestion de l’offre, au cœur de l’agriculture québécoise, qui ont certes besoin d’une profonde réforme pour les libérer de la financiarisation des quotas et de la dépendance animalière mais non d’être abandonnés au libre marché et au libre-échange des ententes commerciales internationales. Le rapport Pronovost soulignait le fort endettement de l’agriculture québécoise lestée par l’achat de quotas avant celui d’une seule vache, d’un seul poulet, d’une seule poule pondeuse. S’impose pour s’en sortir, la démocratisation du système de répartition des quotas tout comme son extension sectorielle, sur la base d’une planification axée sur une biologique et végétarienne souveraineté alimentaire. On aurait aimé que le plan Solidaire défriche cette voie au lieu d’abandonner la défense de la gestion de l’offre au Bloc québécois en alliance avec les gros producteurs jouissant du statu quo.
Pour le plan Solidaire, « [l]Le pouvoir de définir comment s’opérera concrètement la transition doit revenir aux régions et aux localités, c’est pourquoi les pouvoirs décisionnels en la matière seront transférés à des instances régionales délibératives [privilégiant l’essor d’entreprises d’économie sociale], et l’État québécois assumera un rôle secondaire de coordination entre ces instances. » Dans le cadre de l’économie globale dominée par une poignée de transnationales, ce transfert de pouvoirs leur livrera les régions en pâture tout comme aux ingérences du pouvoir fédéral muni de son pouvoir de dépenser assis sur sa banque centrale et son dollar ce que la gestion pandémique a pleinement démontré. La libération indépendantiste exige le renforcement du pouvoir national par l’approfondissement de sa démocratie auquel les régions doivent être conviées peut-être par une seconde chambre parlementaire des régions, ce qui mériterait discussion, au lieu que la militance du parti se fasse imposer ex cathedra une « chambre des générations » (Marco Bélair-Cirtino, Entre élus révoqués et lois abrogées, Le Devoir, 9/03/21), et son mode d’élection ou de nomination que ce soit au hasard ou des experts, institution dont il n’est nullement question dans le programme. Pour la démocratie interne, on repassera.
Aux peuples autochtones, le plan Solidaire propose des palabres de nation à nation et d’indispensables investissements pour le logement et autres infrastructures tout comme la mise en œuvre de la Déclaration des Nation unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) que récuse la CAQ. Soit. Mais le premier pas serait que le parti lui-même réclame l’application effective de la DNUPDA qui selon son article 32.2 donne un clair droit de veto aux nations atikamekw et anishinabe eu égard à la disposition de leurs ressources naturelles. Et surtout ne pas s’esquiver comme le parti l’a fait vis-à-vis les Anishinabe qui pendant un mois l’automne dernier ont bloqué les routes forestières de la Réserve faunique La Vérendry pour interdire la chasse. Le prétexte de favoriser la conciliation avec les chasseurs, pour se justifier lors du Conseil national de novembre 2020, n’était pas autre chose qu’un reniement de première classe de la DNUPDA. Aujourd’hui, c’est le peuple atikamek qui avec ses alliés non-autochtones se mobilise contre l’exploitation forestière et le projet de mine de graphite en Matawinie (voit sur mon blogue « La lutte contre la mine de graphite de Lanaudière / Matawinie — Début de la coalition contre le nouvel extractivisme des « chars » électriques », 5/03/21). On attend toujours que Québec solidaire appuie cette lutte au-delà des manifestations d’inquiétudes de sa seule association locale de Berthier. La conciliation, d’accord, mais après l’application rigoureuse de l’article 32.2 de sorte que les nations atikamekw et anishinabe aient un minimum de rapport de forces face aux grandes entreprises forestières et minières et à l’État.
La sacro-saint respect de l’hégémonie capitaliste coupe les ailes de la réforme fiscale
Pour financer les mesures du plan, il est proposé un effort fiscal d’un peu moins de 10 milliards $ en haussant de 50%, jusqu’à l’atteinte de l’équilibre budgétaire, l’impôt sur les profits des GAFAM de ce monde, les grandes gagnantes de la pandémie, puis ajuster le taux à la baisse, de réimposer le capital des banques, impôt supprimé en 2011, et l’imposition des patrimoines des millionnaires et quelques milliardaires à un taux variant de 0.1% à 3%. En réponse au chroniqueur Francis Vailles de La Presse qui doute du rendement prévu suite aux moyens de détournement dont disposent riches et entreprises, le député Solidaire en charge de ce dossier répond que c’est là « un taux d’imposition qu’ont connu les entreprises au Québec avant les vagues successives de baisses d’impôts offertes par les gouvernements libéraux [et] qu’il n’y a pas eu d’exode des entreprises durant cette époque récente » (Vincent Marissal, Qui va payer pour l’équilibre budgétaire ?, La Presse, 9/03/21) tout en invoquant la moralité repentante des Warren Buffett et Bill Gates et en soulignant que l’alternative de l’imposition des classes moyennes et de l’austérité est exclue.
On constate que Québec solidaire exige, malgré les circonstances d’une crise profonde combinant santé, climat, chômage, misère et finances publiques, un modeste effort de 6% du total des dépenses publiques pré-pandémie de Québec et d’Ottawa pour le Québec soit grosso modo un total dépensier de 165 G$ (110 G$ plus 80 G$ moins 25 G$ en paiements de transfert d’Ottawa vers Québec). Pourtant, en comparaison de 1994, pic du rapport dépenses publiques versus PIB de l’époque néolibérale, ce rapport en 2019 était inférieur de 6 à 7 points de pourcentage en comparaison de 1994 (Mathieu Dufour et Guillaume Hébert, Comment planifier l’après-Covid, IRIS, 2021, graphique 1). Le PIB québécois de 2019 étant de 460 G$, un retour au rapport de 1994, une année de sortie de crise, justifierait, selon la logique Solidaire, des dépenses supplémentaires de 25 à 30 G$ et non pas 10 G$. Mais il faut se rappeler que 1994 a inauguré la grande offensive victorieuse de la soi-disant lutte contre la dette publique, tant à Ottawa qu’à Québec. Et il n’est pas question que la bourgeoisie remette en cause cette grande victoire de l’équilibre budgétaire malgré le rude coup que lui a porté, et lui porte encore, la plus profonde crise économique depuis celle des années trente..
Ce qui au finish donne raison au chroniqueur de La Presse qui rappelant que « nos entreprises paient l’équivalent de 37 % plus d’impôts que dans le reste du Canada, toute proportion gardée » et qu’en plus « [l]e hic, c’est que ces impôts de 9,9 milliards comblent tout juste les nouvelles dépenses souhaitées par QS et ne tiennent pratiquement pas compte du déficit de 7 à 8 milliards prévu au cours des prochaines années. » (Francis Vailles, La solution de QS : hausser les impôts de 50 %, La Presse, 1/03/21). Pour ce qui est de l’impôt sur le patrimoine, le chroniqueur rappelle à juste titre que « l’impôt sur les immeubles est la taxe la plus importante qui vise le patrimoine. Et, fait méconnu, cet impôt foncier est très élevé ici et fait du Québec l’un des territoires où l’impôt sur le patrimoine, tout pris en compte (actif net, successions, immobilier, etc.) est parmi les plus élevés dans le monde. Le Québec figure même au 6e rang mondial à ce chapitre, à 3,4 % du PIB.. » (Francis Vailles, Comment imposer le patrimoine des riches, La Presse, 2/03/21). En un mot, on n’échappe pas à la dynamique de la libre circulation mondiale du capital-argent à la base du libre-échange néolibéral... à moins d’être une superpuissance tels les ÉU, la Chine et jusqu’à un certain point l’Union européenne et l’Inde. C’est cette soi-disant liberté qui permet le chantage ou la réalité de la grève des investissements et de la fuite des capitaux. Mais de cela, le plan Solidaire ne souffle mot.
Le plan tombe dans le piège de l’écofiscalité ce qui le fait tomber dans les bras de la CAQ
Le plan de relance exclut d’utiliser la politique fiscale aux fins de la lutte directe pour réduire les GES. Il propose plutôt le moyen de l’écofiscalité alors qu’explicitement le programme affirme « [s]’opposer aux taxes sur le carbone qui frappent surtout les plus pauvres » indépendamment de la décision du CN du printemps 2018 qui avait pris une décision inverse à l’encontre du programme afin de faire accepter, le temps d’une élection, le Plan de transition auquel le parti a renoncé depuis lors. Pour tenter d’éviter une révolte de type gilets jaunes contre cet équivalent d’une régressive taxe de vente, le système de tarification du carbone proposé « redistribuerait aux ménages une partie des revenus produits avec pour objectif la progressivité fiscale » qui aurait l’effet d’un apport net à déterminer de seulement les riches auquel s’ajouterait une contribution nette des grands pollueurs industriels de 550 M$ sur 5 ans soit un risible 110 millions $ l’an. On constate ici le respect du principe de ne pas ébranler les colonnes du temple qu’est la loi de la compétitivité afin de maximiser les profits sous peine de sanction par le capital financier. C’est ainsi que le plan de relance Solidaire, faute de fonds adéquats s’en remet essentiellement aux modifications des rapports de prix induites par l’écofiscalité pour changer les habitudes de consommation. On renonce même à « rendre gratuit en 10 ans » le transport en commun de la plateforme électorale de 2018 pour un plat « à terme » tout en ne renonçant pas à la demi-gratuité immédiate qui avait été alors promue à la une.
Est-ce la raison pour laquelle le plan se donne comme but « une réduction d’au moins 48 % [des GES] par rapport au niveau de 1990 d’ici 2030 », une autre décision du CN du printemps 2018 devenue désuète, alors que le programme dit clairement qu’« [a]fin de rattraper le retard accumulé par rapport à nos engagements internationaux et [qu’]afin de contenir la hausse moyenne de la température mondiale à 1,5 degrés Celsius, il faut accélérer la transition énergétique pour la période entre 2018 et 2030 de façon à atteindre 67 % de réduction en dessous du niveau de 1990 » ? Encore un effort et Québec solidaire se ralliera à la cible gouvernementale de 37.5% alors que celle de l’Union européenne a été haussée à 55% sans que la militance écologiste européenne s’en satisfasse. Car la direction du parti sait fort bien que les écologistes radicaux mais acceptant la contrainte du marché plaident pour une écofiscalité stratosphérique, seule capable selon ces gens de forcer de profonds changements de comportement, alors que le capital financier n’est prêt qu’à accepter une écofiscalité modérée qui ne croîtrait que très graduellement. Autrement le capital-argent larguera les amarres. Et attention au bien visible piège à cons : les rapports de force étant ce qu’ils sont, la bourgeoisie accepte allègrement l’écofiscalité modérée tout en lui adjoignant une redistribution minimale à peine progressiste, ce qui lui permet, comme en Colombie britannique, de réduire la progressivité de l’impôt sur le revenu et sur les profits sous prétexte de neutralité fiscale (United Nations Climate Change, Revenue-Neutral Carbon Tax | Canada, sans date).
Plus fondamentalement, l’écofiscalité, indépendamment de la redistribution qui lui est artificiellement attachée, pénalise les classes populaires et moyennes faute d’alternative au véhicule privé en termes de service de transport en commun fréquent et bon marché dans les banlieues et régions où ces classes doivent s’exiler pour fuir le fardeau de la rente foncière des centres-villes. (Idem pour les systèmes de climatisation dans la majorité du monde à quelques exceptions près comme le Québec à cause de la généralisation de l’hydroélectricité ce qui s’explique par une délibérée politique gouvernementale d’hydroélectricité bon marché mise en place il y a un demi-siècle.) Même quand il existe un choix apparent, il faut se méfier de ce faux ami. Le choix entre un véhicule à essence et un électrique n’est qu’un faux choix entre ancien et nouvel extractivisme ce dernier renouvelant la consommation de masse aux dépens d’une société de prendre soin riche de rapports sociaux et énergiquement sobre. Rien n’empêche cependant la taxation si ce n’est l’interdiction des véhicules et services luxueux généralement énergivores tels les VUS et camions dit légers, les logements sur-dimensionnés, les chalets et les voyages aériens.
N’est-ce pas cette démission écofiscale qui explique le silence assourdissant du plan Solidaire à propos des généreuses subventions (13 000 $ l’unité par Québec et Ottawa) pour les véhicules électriques, tout en prônant paradoxalement « une décroissance de l’usage des véhicules individuels », et à propos du train aérien électrique sans conducteur REM (réseau express métropolitain) comme épine dorsale du transport en commun dans le Grand Montréal et par le fait même au niveau québécois étant donné le poids démographique relatif de la région montréalaise (50%). Or « [e]n termes de GES, d’étalement, de déficit public, de tarif de transport collectif, ]e REM est une catastrophe qui livre le Québec au capital financier » (Marc Bonhomme, Presse-toi-à-gauche, 2/03/21). Pourtant, selon le CN de septembre. il devait être question dans le plan de nationalisation du REM existant, de projets de construction de tramways (et non seulement de métros), de développement d’une industrie publique de production de matériel roulant électrifié (autobus, tramways, trains..). Ni vu ni connu dans le plan.
La plan Solidaire garde le silence à propos de ces deux piliers du « Plan pour une économie verte » du gouvernement de la CAQ misant « notamment sur l’électrification des transports, un secteur responsable, à lui seul, de plus de 43 % des émissions de GES du Québec » (Hugo Duchaine, Un coup de barre pour réduire les GES d’ici 2030 – Le plan de 6,7 G$ du gouvernement du Québec est loin de l’objectif selon les groupes environnementaux, Actualité, 16/11/20). Le plan Solidaire, comme le plan de la CAQ, compte essentiellement sur et soutient l’entreprise privée pour électrifier le Québec tout en excluant, pour leur politique anti-GES, d’augmenter impôts et taxes autre que l’écofiscalité dont le marché du carbone, cautionné par le plan Solidaire, est la forme la plus tordue car refilant ultimement la facture à la consommation finale. La conséquence en est que la politique de tous les partis d’opposition, y compris celle de Québec solidaire, a la même épine dorsale que la politique tout électrique de la CAQ dont le Premier ministre admet lui-même qu’elle n’atteindra « que 42 % de l’objectif » déjà insuffisant. S’ensuit une relance de la croissance par la consommation de masse afin que « tout change pour que rien ne change » à commencer par l’énergivore étalement urbain et son corollaire la déforestation favorable aux pandémies.
Pour celles et ceux qui réclament un non ferme au retour à la dite normale plus austéritaire que jamais et un oui militant pour un Québec de prendre soin de son monde, du monde et de la terre-mère, un plan alternatif est possible (Marc Bonhomme, Une proposition d’axe de la campagne électorale 2022 de Québec solidaire : Une société pro-climat de prendre soin des gens et de la terre-mère, Presse-toi-à-gauche, 16/02/21).
Marc Bonhomme, 14 mars 2021
www.marcbonhomme.com ; bonmarc videotron.ca