Les responsables du syndicat RWDSU (vente au détail, en gros et grands magasins) ont soutenu qu’Amazon avait intimidé les travailleurEs, mais des militantEs syndicaux de longue date ont également souligné d’autres problèmes dans la campagne, en particulier l’incapacité de créer une organisation solide sur le lieu de travail avant d’appeler à des élections.
Campagne antisyndicale sophistiquée
Aux États-Unis, les travailleurEs peuvent obtenir la reconnaissance d’un syndicat par leur employeur de deux manières : une élection organisée par le National Labour Relations Board (office national des relations du travail) ou une grève, bien que les grèves de reconnaissance soient devenues assez rares depuis les années 1970. Si 30% des travailleurEs d’un lieu de travail signent des cartes ou une pétition disant qu’ils veulent un syndicat, le NLRB organisera une élection. Si une majorité de travailleurEs vote pour le syndicat, celui-ci sera reconnu par le gouvernement et l’entreprise devra alors négocier avec le syndicat sur les salaires et les conditions de travail. Dans le cas de Bessemer, le syndicat avait bien obtenu les 30% de signatures pour qu’un vote soit organisé mais il a échoué lors de la seconde étape.
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Le plus gros problème a été, bien sûr, l’énorme puissance d’Amazon et la sophistication de sa campagne antisyndicale. Tirées en grande partie par la pandémie, les ventes nettes d’Amazon en 2020 ont augmenté de 38%, à 386 milliards de dollars, et Jeff Bezos, fondateur et président de la société, a une fortune évaluée à 190 milliards de dollars. Avec des ressources illimitées, Amazon a tenu des réunions régulières avec les travailleurEs de l’usine et leur a envoyé des SMS tous les jours. L’entreprise a souligné qu’elle versait déjà aux travailleurEs en moyenne 16 dollars de l’heure, soit le double du salaire minimum américain et plus que les autres employeurs de la région. Dans une campagne intitulée « Do It Without Dues » (littéralement « Faites-le sans frais »), l’entreprise a expliqué que les travailleurEs perdraient en fait de l’argent avec un syndicat, en payant environ 500 dollars chaque année en cotisations. Amazon a réussi à créer un esprit d’équipe pro-entreprise parmi certains travailleurEs, les convaincant de porter des badges « Votez non » au travail.
Déficit d’auto-organisation
Le RWDSU a commencé sa campagne au plus fort de la pandémie et a lancé un appel particulier aux travailleurEs noirs qui représentent environ 85% de la main-d’œuvre. On espérait que le mouvement Black Lives Matter (BLM) avait créé un nouvel enthousiasme parmi les travailleurEs. Le Parti démocrate a soutenu la campagne syndicale, le président Joseph Biden exigeant que l’entreprise n’intimide pas les travailleurEs, et Bernie Sanders se rendant à l’usine pour prendre la parole lors d’un rassemblement. Pourtant, ni BLM ni les Démocrates ne semblent avoir pesé sur le résultat.
L’entrepôt de Bessemer a ouvert il y a seulement un an, dans le cadre d’une vaste expansion de la société Amazon qui a embauché 400 000 travailleurEs dans tout le pays et qui en emploie désormais plus d’un million. Cela signifie que les travailleurEs de l’entrepôt ne se connaissent pas très bien, en particulier compte tenu du turnover élevé, et n’ont pas établi de relations de longue date d’entraide et de confiance. Lorsque le syndicat s’est lancé dans la bataille en novembre 2020, il n’avait pas mis en place une organisation solide parmi les travailleurEs qui leur permette d’agir par eux-mêmes. Il ne l’a pas fait plus tard. En février, le syndicat n’avait pas encore contacté certainEs travailleurEs. Le RWDSU a fait une grande partie de sa campagne aux portes de l’usine, mais n’a pas fait de visites à domicile, affirmant qu’il ne pouvait pas le faire à cause de la pandémie. Peu de travailleurEs ont participé aux rassemblements syndicaux.
Que va-t-il se passer maintenant ? Selon toute vraisemblance, le RWDSU déposera des plaintes pour pratique déloyale auprès de l’Office national des relations du travail, soulignant à juste titre les pratiques d’intimidation de la direction, et pourrait obtenir que soit organisé un nouveau vote. D’autres syndicats et ONG continuent de soutenir les travailleurEs d’Amazon dans d’autres implantations à travers le pays. Certains socialistes se sont embauchés chez Amazon pour aider à l’organisation à la base. Malgré la défaite, les efforts pour organiser les travailleurEs se poursuivront. Les activistes syndicaux ont appris une fois de plus que les travailleurEs doivent organiser eux-mêmes le syndicat, en créant un mouvement fort capable d’agir sur le terrain.
Dan La Botz