Nous avions déjà les phalanges de Lehava [1], les milices de La Familia [2] et les « hilltop thugs » [3], et maintenant les ultra-orthodoxes les ont rejoints. Il y a une nouvelle brute dans le quartier et elle est plus effrayante que toutes les autres.
Les émeutiers avec des shtreimels [« chapeau de fourrure », généralement membres du judaïsme hassidique] pourraient faire basculer Israël dans un fascisme qu’il n’a jamais connu auparavant, grâce à leur énorme potentiel électoral. Les ultra-orthodoxes sont les réserves du mouvement néonazi qui se développe en Israël, et ils promettent un grand avenir aux députés Bezalel Smotrich [4] et Itamar Ben-Gvir [5].
Sans les ultra-orthodoxes, ces deux-là ne sont qu’une simple curiosité. Grâce aux ultra-orthodoxes, leur parti pourrait devenir l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) ou les Démocrates suédois d’Israël, mais beaucoup plus extrêmes que ces deux partis d’extrême droite d’Europe occidentale. Les chemises brunes pourraient changer de couleur pour devenir blanches. C’est effrayant parce que les ultra-orthodoxes sont nombreux, et c’est déprimant parce qu’il y avait autrefois une majorité ultra-orthodoxe différente que je respectais et connaissais, une majorité qui a été victime de persécutions et d’ostracisme.
Le péché originel a été l’établissement d’énormes colonies ultra-orthodoxes dans les années 1990, qui sont devenues les plus grandes colonies de Cisjordanie, bien plus grandes que leurs prédécesseurs idéologiques. Ce qui avait commencé comme une solution de logement à bas prix, libre de toute croyance politique, s’est transformé en nationalisme extrême. Avec une rapidité terrifiante, ceux qui, jusqu’à il y a une génération, étaient considérés comme des non-sionistes ou des colombes politiques avec des leaders comme le rabbin Elazar Shach [1899-2001]et le rabbin Ovadia Yosef [1920-2013] sont devenus des porteurs du drapeau du fascisme israélien.
Où sont les jours où l’on brûlait les poubelles uniquement pour cause de profanation du sabbat, et qui aurait cru que ces jours-là nous manqueraient ? Où sont les rabbins qui disaient « il n’y a pas d’obstacle à la cession de parties de la terre d’Israël » et « céder [ces terres] pour la paix n’est pas une cession », comme l’a dit le rabbin Elazar Shach.
La crainte s’est réalisée : les opinions des ultra-orthodoxes ont été déterminées par leur lieu de résidence. Ils ont prouvé qu’il est impossible de vivre sur des terres palestiniennes volées sans haïr leurs propriétaires. Ils se sont installés en Cisjordanie palestinienne et se sont merveilleusement intégrés dans le paysage d’apartheid qui les entourait. Ils sont devenus des détracteurs des Arabes et des partisans de l’extrême droite. Le chemin de là à la participation aux pogroms a été court.
Lors des élections du mois dernier, ils l’ont exprimé clairement. L’alliance du Parti religieux sioniste est devenue le troisième plus grand parti de leur communauté. À Jérusalem, elle a remporté 9% des voix et à Betar Ilit [colonie de Cisjordanie à 0,4 km à l’est de la ligne verte] 10%, soit six fois plus que le Likoud. À Bnei Brak [ville banlieue au nord-est de Tel-Aviv] et à Modi’in Ilit, la plus grande ville juive des territoires, c’est le troisième plus grand parti. Avec de telles réserves électorales, nous aurons un jour un kahaniste [se revendiquant du rabbin Meir Kahane] comme premier ministre ; la moitié d’Israël considère déjà Naftali Bennett [dirigeant du parti Nouvelle Droite] comme un candidat légitime et se languit même de lui.
Il est vrai que seules quelques centaines d’ultra-orthodoxes ont participé aux pogroms, mais les rabbins n’ont rien fait pour les arrêter, peut-être parce qu’ils savaient que le génie était sorti de la bouteille. Maintenant, les chiffres vont augmenter. Les jeunes ultra-orthodoxes pourraient changer les règles du jeu.
Les images de ces derniers jours à Jérusalem sont terrifiantes. Laissez de côté la couverture médiatique « appropriée », qui tente de maintenir un « équilibre » alors que d’un côté se trouve l’occupation, qui n’a aucun équilibre. Laissez de côté les déclarations choquantes du ministre de la Sécurité publique et des commandants de police qui n’ont condamné que la violence palestinienne. Cette violence est l’acte de résistance le plus justifié et le plus modéré contre l’injustice et d’autres violences. Elle est une réponse directe à l’abus continu de la police envers les Palestiniens de Jérusalem et aux pogroms contre eux par les extrémistes d’extrême droite.
Ne vous méprenez pas : les attaques massives contre les Arabes de Jérusalem sont les signes avant-coureurs du néonazisme israélien. Les marches intimidantes, les passages à tabac, les incendies criminels, les pillages et les appels à la mort sont exactement ce à quoi ressemble le néonazisme. Que Dieu nous protège de ses émissaires ultra-orthodoxes qui ont rejoint la mêlée.
Gideon Levy