La vedette du prochain Conseil national (CN) de mai est censée être les axes de la plateforme électorale de 2022. Il n’en est rien tellement les trois options et les amendements riment à un choix de paroles creuses ou sans insertion dans la conjoncture. Greta Thunberg les aurait qualifiés de bla-bla tellement on est loin de concrets engagements clefs au diapason de l’empilement et de l’emballement des crises écologique-économique-sociale qui accablent le Québec et l’humanité dont il n’est nullement question à l’ordre du jour.
En revanche, le CN est invité à trancher de lourds enjeux de politique interne. Le CN devra voter un organe de sécurité interne au nom de l’éthique tout en blâmant un dérangeant et malcommode collectif. Toutefois ces deux derniers enjeux à l’ordre du jour arrivent par surprise ou par derrière car il n’en était nullement question dans le Cahier de propositions soumis au débat et au vote des instances locales et quelques autres ayant le pouvoir de délégation. Pour clore le tout, s’ajoute une complexe et longue procédure de choix de candidatures électorales sentant à plein nez la foire d’empoigne digne d’un parti gangrené par les ambitions électoralistes survoltées par le gain de sept circonscriptions, pour dix au total, aux élections de 2018.
Pour les débats internes au parti, réduire la politique à du bla-bla
Les supposés axes relèvent de la platitude — « Humaniser le travail » — au choix décroché de la conjoncture — « Fonder le pays du Québec… » — en passant par le vide politicien — « Lutter contre la crise climatique et respecter les limites écologiques du territoire et de la planète » — et les vœux pieux — « Faire du Québec une terre d’accueil ouverte sur le monde ». Les options B et C, même s’ils baignent dans les mêmes eaux, ont au moins l’avantage d’être plus ramassées et un peu plus vives. Cependant elles opposent indépendance et socialisme, pour l’instant tout aussi décrochés l’une que l’autre de la conjoncture. Ces deux piliers stratégiques du programme de Québec solidaire — oui, oui, le programme parle bien de « dépasser le capitalisme » — ou qui devraient l’être doivent se conjuguer pour se renforcer mutuellement. Il faut toutefois distinguer l’agitation électorale visant un large public, ce que sont les axes de la plateforme, de l’exposé de l’horizon stratégique. Il s’agit ici de concocter des revendications concrètes faisant le pont entre la conjoncture et l’indépendance (éco)socialiste à présenter comme une perspective.
Un organe automne de discipline interne pour faire marcher droit
Une seule personne membre lambda pourra porter plainte contre une autre et l’embourber dans des procédures qui dureront des mois sous prétexte par exemple de « protéger la réputation du parti, des membres et des personnes élues, et respecter la confidentialité des échanges privés ou à huis clos dans le parti ; agir conformément aux décisions adoptées et utiliser les recours prévus pour contester une décision en cas de possible manquement aux règles » Par exemple, la diffusion du texte que vous être en train de lire serait suffisante pour enclencher une procédure pouvant mener à une sanction.
Pour combler la mesure cet organe de sécurité intérieure serait autonome vis-à-vis la structure élective du parti puisque ses quatre membres se coopteraient par l’intermédiaire d’un comité de sélection nommé par lui-même quitte à faire ratifier le choix final par la coordination nationale. Dans la même veine anti-démocratique, après avoir contourné la procédure normale d’amendements ou contre-propositions en ayant recours à un processus de participation volontaire purement consultatif sans passer par le Cahier de propositions, la ratification finale par le CN doit se faire en bloc sans amendements.
Un blâme aux empêcheurs de tourner en rond de l’antiracisme
Après s’être débarrassé du Collectif sur la laïcité teintée d’islamophobie, voilà que la direction nationale veut blâmer, de l’autre côté de l’éventail des enjeux sociétaux, le Collectif antiraciste décolonial (CAD) à la mèche un peu courte et teinté de Quebec bashing au nom de l’antiracisme. Certes, ces camarades sous-estiment la manipulation fédéraliste des ambigüités du nationalisme québécois. Peut-on cependant leur en vouloir en ces temps de Black Live Matter et de Principe de Joyce d’être excédés par les tergiversations du parti vis-à-vis le définancement de la police et l’application sonnante et trébuchante de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) ? Sans compter la tentative ratée de la direction du parti de retarder la reconnaissance de la Commission nationale autochtone ?
Comme tant la proposition du Code d’éthique (sic) et la Politique des résolutions des conflits que celle de blâme du CAD ont escamoté la procédure normale de débats / amendements / contre-propositions, elles n’ont pas lieu d’apparaître à l’ordre du jour du CN. On doit donc en demander le retrait.
Comme il n’y a pas d’urgence à régler ces affaires avant les élections, on peut retarder leurs examens au CN les suivant. Quant à la politique sur les investitures, pour minimiser les dégâts du verticalisme électoraliste, il serait souhaitable d’adopter l’ensemble des amendements de la circonscription de Viau rétablissant un modus vivendi démocratique en particulier le remplacement de la « personne responsable nationale des processus d’investiture » par le « comité d’arbitrage » mixte sommet-base.
Introduire dans l’ordre du jour la politique concrète des besoins populaires pressants
Ces radiations de l’ordre du jour du CN libèreraient du temps pour réintroduire des éléments de politique concrète tant imposés par la conjoncture qu’annonciatrices de réels axes pour la plateforme. L’exacerbation de la crise du logement dans tout le Québec, au-delà des revendications de mesures à court terme de contrôle des loyers et minimalement de la spéculation immobilière rappelle que « le droit au logement devrait être plus important que le droit de propriété » comme le dit un participant à un FB privé de membres du parti. Cela signifie de remettre sur le tapis la revendication phare du FRAPRU de la construction minimale de 10 000 logements sociaux écoénergétiques par année, soit 20% de la construction totale annuelle de logements. La lutte pour le logement en serait ainsi articulée avec celle climatique tout en diminuant la pression de la demande tant sur les marchés des locataires que des propriétaires. À court terme, à mon avis, s’impose une politique urgente de réquisition des condos et logis laissés spéculativement vides et des chambres d’hôtel vacantes transformées cet été en logements pour faire face à l’hiver prochain.
Un autre point qui pourrait être ajouté à l’ordre du jour serait de profiter de la critique du plan de relance de la CAQ axé, pour le domaine du transport, sur l’extension-élargissement des autoroutes et un système de transport en commun basé sur le très dispendieux train aérien REM dans le Grand Montréal structuré en mode PPP. Le REM, aux dires mêmes de ces promoteurs de la Finance, réduit à peine les GES. En sus, il abandonne la trame urbaine aux autos solos privés ce qui donne libre cours à l’énergivore et anti-agriculture / anti-forêt étalement urbain. S’ensuit, causé par l’électrification grassement subventionnée de l’automobile, une multiplication déjà amorcée de mines à ciel ouvert de lithium, de graphite, de nickel et autres métaux et terres rares sur le dos des peuples autochtones. Car l’antagonisme ÉU-Chine désigne le Canada plus que jamais comme pourvoyeur et réserve stratégique extractiviste de son voisin du sud avec cette fois-ci le Québec jouant un plus grand rôle peut-être devenant le nouvel Alberta de l’hydroélectricité et des minerais stratégiques afférents.
Pourquoi ne pas mettre sur le tapis le rejet du REM de l’Est de Montréal à la suite du consensus à cet effet à la récente coordination élargie de l’association QS d’Hochelaga-Maisonneuve celle-ci ayant élu un député Solidaire en 2018, l’une des 10 circonscriptions sur 125 avec 15% du vote populaire ? Pourquoi ne pas proposer comme alternative un système de transport en commun d’autobus électriques en voie réservée et de tramways qui soit gratuit, fréquent et répandu partout jusqu’au moindre village avec minibus dans les vastes banlieues de maisons unifamiliales et un complément d’autopartage communautaire ? C’était d’ailleurs l’un des axes qui a tenté l’assemblée générale pré-CN de la circonscription. Sur fond d’une grande hésitation amenant la moitié des membres votants à s’abstenir, l’éventail des sept axes en annexe a récolté 40% des votes positifs ou négatifs. La débat de fond du prochain CN en aurait été transformé.
Marc Bonhomme, 1er mai 2021
www.marcbonhomme.com ; bonmarc videotron.ca
Annexe : Des engagements clés et concrets pour une société de prendre soin des gens et de la terre-mère
Considérant que :
a. Les engagements clefs de la plateforme 2022 ne peuvent faire autrement que de découler de la crise pandémique se combinant avec la crise économique et se superposant à celle climatique qui, en arrière-fond, ne cesse de s’aggraver. On pense à l’hécatombe des personnes âgées vivant en résidence, aux conditions de travail des travailleuses essentielles à forte proportion racisées comprenant le trop oublié secteur éducatif qui ne peut pas fermer trop longtemps, à la mise en évidence et aggravation de la crise du logement populaire, à la pénurie de travailleurs agricoles racisés aux dures conditions de travail, mais aussi, revers de la médaille, aux grandes et moyennes entreprises qui en ont profité sur le dos de leur main-d’œuvre ;
b. Le but recherché est de rejeter le retour à la dite normale néolibérale afin d’arrêter la dynamique exponentielle de la terre-étuve par une économie de prendre soin (care) des gens, complément du prendre soin de la terre-mère. Ainsi convergeraient plein emploi écologique, écoféminisme et spiritualité autochtone ;
Il est résolu que les axes prioritaires de la plateforme 2022 soient les suivants :
1. Une agriculture essentiellement végétarienne sans gaspillage alimentaire et sans intrants fossiles et mécanisée électriquement d’ici 2040, ni OGM d’ici 2030, et dotée d’une convention collective sectorielle
2. Une embauche immédiate de 250 000 personnes dans les services publics et le communautaire, incluant la nationalisation et démocratisation des CHSLD privés, RI et RPA
3. Un système de transport en commun gratuit, fréquent, confortable, électrifié, en voie exclusive et sans autre REM, sur les actuels autoroutes, boulevards et grandes rues et routes jusqu’au moindre village, complété par des minibus automatiques dans les banlieues et un autopartage communautaire, à mettre en place d’ici 2030
4. Construction annuelle de 10 000 logements sociaux écoénergétiques, et rénovation écoénergétique de tous les bâtiments actuellement climatisés à l’énergie fossile d’ici 2030, combinée à un obligatoire contrôle des loyers
5. Régularisation immédiate de tous les sans-papiers et ouverture des frontières aux personnes réfugiées
6. Application de la DNUDPA (consentement éclairé et préalable sur l’usage des ressources naturelles sur leurs territoires historiques) aux peuples autochtones
7. Imposition de 100% des surprofits et revenus extra dus à la pandémie et une réforme fiscale imposant le patrimoine, le capital, les profits et les revenus élevés au niveau de l’effort fiscal pré-néolibéral des années 1970