Les élections régionales organisées mardi à Madrid viennent de bousculer la politique espagnole : le triomphe offert à Isabel Díaz Ayuso, figure de la « droite trumpiste » selon ses adversaires, l’impose désormais comme une personnalité de premier plan de la vie politique nationale, tandis que Pablo Iglesias, défait, a annoncé son retrait de la vie politique – un coup de massue pour les gauches, à quelques jours de l’anniversaire des dix ans du mouvement indigné.
Le Parti populaire (PP) de celle que l’on surnomme « IDA » a déroché 65 sièges – contre 30 seulement lors de la précédente élection de 2019. En ajoutant les voix du parti d’extrême droite Vox (13 sièges), le bloc de droite totalise 78 députés sur un total de 136 sièges, loin devant le bloc des gauches (58). Díaz Ayuso a non seulement avalé toutes les voix de l’électorat de la droite libérale Ciudadanos qui, faute de dépasser le seuil des 5 %, n’a pas de représentant cette année, mais elle fait encore mieux, grâce à une participation nettement plus élevée (76 %, en hausse de 11 points). Le PP s’est imposé dans 176 des 179 localités de la région de Madrid, la troisième plus peuplée d’Espagne, et la première par le PIB.
Après l’humiliation des élections catalanes pour le PP en février (trois sièges et 3,85 % des voix), le parti de Pablo Casado redevient d’un coup l’opposant naturel au socialiste Pedro Sánchez, qui dirige le pays. Díaz Ayuso, qui a fait campagne avec un seul slogan « communisme ou liberté », a lancé dimanche soir, depuis le siège du PP, à l’adresse de Sánchez : « Cette façon de gouverner avec opulence et hypocrisie depuis la Moncloa ne va plus durer longtemps. [...] Nous allons récupérer la fierté, le sentiment d’appartenance, la culture de l’effort, la vie ensemble et la liberté dont l’Espagne a besoin. »
Âgée de 42 ans, inconnue du grand public il y a encore deux ans, journaliste de formation – elle a travaillé pour radio Marca, un média d’info sportive –, « IDA » était arrivée en deuxième position aux élections de 2019. Elle avait fini par s’allier avec les libéraux de Ciudadanos pour former un gouvernement minoritaire, soutenu à l’Assemblée par l’extrême droite de Vox.
Son chef de cabinet, Miguel Ángel Rodríguez, est un ancien secrétaire d’État durant les années José María Aznar. L’égérie de la droite madrilène se situe dans cette lignée-là, l’aile la plus conservatrice du PP. Mais plus qu’Aznar, elle apparaît comme l’héritière naturelle d’Esperanza Aguirre, personnage haut en couleur de la politique espagnole, qui a dirigé la Communauté de Madrid de 2003 à 2012, et dont le nom est aujourd’hui associé à de nombreux scandales politico-financiers.
Si le coup est particulièrement dur pour Pedro Sánchez, c’est qu’Isabel Díaz Ayuso fut la principale opposante à sa gestion de la pandémie, depuis un an. Elle a par exemple attaqué en justice un plan élaboré par le ministère de la santé, qui visait à réduire les déplacements des Madrilènes, assumant une ligne libérale, pro-économie, même au plus dur de la crise sanitaire. Ce qui fait dire au rédacteur en chef du journal El Diario, avec un peu d’ironie, que « la liberté de boire des bières a triomphé à Madrid ». Pour gouverner, deux options s’offrent à elle : un gouvernement PP avec le soutien au coup par coup de Vox, ou une coalition – moins probable – entre PP et Vox. Quoi qu’il en soit, l’abstention de Vox suffira à Ayuso pour l’investiture.
Du côté des gauches, le paysage est déprimé. Ceux qui misaient sur un bond de la participation, notamment dans les zones plus populaires du sud de Madrid, pour faire tomber Ayuso se sont trompés. Le PSOE réalise le plus mauvais score de son histoire (24 sièges), avec le même candidat, Ángel Gabilondo, qui avait remporté le scrutin de 2019.
Quant à Unidas Podemos, la coalition emmenée par Pablo Iglesias, elle décroche dix sièges (contre sept en 2019). La décision surprise d’Iglesias de quitter le gouvernement de Pedro Sánchez, annoncée le 15 mars, pour mener une campagne éclair contre Isabel Díaz Ayuso et l’extrême droite, n’a pas payé. Pire encore, sa volonté de cliver à tout prix, face à Isabel Díaz Ayuso (qu’il connaît bien et qu’il avait un temps côtoyée, sur les plateaux de son émission télé « La Tuerka », bien avant le lancement de Podemos), s’est retournée contre lui.
Dimanche soir, Iglesias a acté cet échec et annoncé son retrait de la vie politique : « J’abandonne tous mes postes. J’abandonne la politique, comprise comme politique de partis, politique institutionnelle. [...] Je resterai engagé pour mon pays mais je ne veux pas être un obstacle à la rénovation de leaderships qui doivent avoir lieu au sein de notre force politique », a-t-il expliqué.
L’ancien professeur de sciences politiques, cofondateur de Podemos en 2014, figure omniprésente des gauches espagnoles depuis sept ans, dit être devenu un « bouc émissaire » qui mobilise « les affects les plus sombres et contraires à la démocratie ». Il fait ici référence au climat d’une campagne particulièrement pesante, marquée dans sa dernière ligne droite par des menaces de mort : plusieurs responsables de gauche, dont Iglesias, ont reçu une lettre contenant une balle de fusil d’assaut, déjà utilisé par l’armée espagnole entre les années soixante et quatre-vingt.
[Vidéo non reproduite ici : Le discours de Pablo Iglesias dimanche soir.]
Ce retrait était en partie attendu. Au moment de quitter le gouvernement, Iglesias avait déjà désigné, dès mars, sa remplaçante pour la direction d’Unidas Podemos, la communiste galicienne Yolanda Díaz, par ailleurs ministre du travail (qui ne s’y attendait pas). Mais la précipitation avec laquelle ce retrait se produit est une surprise. S’il ne le dit pas, Iglesias prend acte, sans doute, de l’effet déstabilisant de sa gestion verticale et autoritaire du parti ces dernières années.
Le facteur personnel a sans doute aussi pesé. Depuis des mois, la maison dont Iglesias est propriétaire avec sa compagne Irene Montero, par ailleurs ministre et mère de ses deux enfants, dans une localité de la région de Madrid, est le théâtre de rassemblements d’opposants d’extrême droite, à la limite entre la manifestation et le harcèlement, selon plusieurs reportages.
Le fait que Ciudadanos disparaisse du Parlement régional de Madrid, le même jour où Pablo Iglesias quitte la politique, en dit long, aussi, sur la difficulté de mettre fin au bipartisme PP / PSOE en Espagne. C’était l’une des promesses du mouvement indigné, qu’il reste encore à concrétiser sur la durée.
Ironie de la soirée électorale, c’est la candidate de Más Madrid, Mónica García, une médecin réanimatrice qui a basculé en politique pour défendre la santé publique, qui réalise le meilleur score à gauche : avec 24 sièges, la candidate portée par Íñigo Errejón, l’ancien numéro deux de Podemos devenu rival de Pablo Iglesias, se paie même le luxe de réaliser ce dont Iglesias a toujours rêvé, sans jamais y parvenir : le sorpasso, le dépassement du Parti socialiste…
Dernière leçon du scrutin madrilène, sans doute la plus inquiétante pour l’avenir de l’Espagne : le fossé qui se creuse, chaque élection un peu plus, entre la Catalogne et Madrid. En février, les socialistes ont remporté haut la main le scrutin catalan, et les conservateurs s’y effondraient. En mai, le même PP triomphe à Madrid et le PSOE sort très diminué. Des dynamiques opposées, qui vont compliquer un peu plus la tâche du gouvernement de Pedro Sánchez d’ici la fin de son mandat.
Ludovic Lamant