“Depuis longtemps, on n’avait pas vu la cause palestinienne à la une des informations”, constate le quotidien panarabe Al-Quds. “Comment cela aurait été si les élections, initialement prévues pour le 22 mai, n’avaient pas été annulées” par le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Le journaliste imagine la forme qu’aurait pu prendre la mobilisation des Palestiniens de Jérusalem-Est et des habitants du quartier de Cheikh Jarrah dans le contexte d’une campagne électorale :
“On aurait assisté à l’imbrication entre la lutte nationale et la lutte démocratique […]. Si ces élections avaient fait partie du ‘package’ de l’escalade actuelle, les Hiérosolymitains auraient trouvé le moyen de participer au scrutin au nez et à la barbe de l’occupant [israélien]. Et les Israéliens seraient apparus comme ceux qui répriment non seulement les aspirations nationales des Palestiniens, mais aussi leurs aspirations démocratiques.”
Même privés de processus électoral, les Palestiniens retrouvent “une énergie et un courage formidable”, constate un témoin sur place, cité par le quotidien libanais L’Orient-Le Jour :
“Quelque chose d’exaltant, d’inédit est en train de se passer pour de nombreux Palestiniens. Malgré le contexte, malgré la lassitude. Un ciment, au-delà de l’appartenance nationale, qui a plus à voir avec l’adversité et les épreuves partagées qu’avec une véritable communauté d’opinion politique.”
Et de souligner que dans la bande de Gaza, “ce n’est pas chaque ville, mais littéralement chaque quartier qui s’est mobilisé en réaction à ce qui s’est passé à Jérusalem”, et cela par une “réaction spontanée, loin des factions et de toute coordination.”
“Les révolutions n’ont pas dit leur dernier mot”
Le site Al-Modon renchérit en soulignant ce dépassement des clivages politiques. Pour lui, “l’absence des dirigeants politiques, la mobilisation décentralisée, le rôle des réseaux sociaux” et l’irruption d’une nouvelle génération de militants, très jeunes, sont caractéristiques des vagues successives de “printemps arabes”. Cela montrerait que “les révolutions qui ont ébranlé la région il y a dix ans n’ont pas dit leur dernier mot”.
Il faut s’interroger sur “le lien entre les manifestations de Jérusalem et celles qui ont eu lieu en Algérie, au Soudan et au Liban”, estime le titre, qui se demande : “S’agit-il d’une troisième vague du ‘printemps arabe’ ? Ou de la reprise de la deuxième, qui n’avait été interrompue que par la pandémie ? […] Ou les mouvements de protestation des Palestiniens ont-ils leur propre cycle ?”
Qu’il s’agisse d’une troisième Intifada ou plutôt d’une nouvelle vague du “printemps arabe”, les formes de mobilisation spontanée et décentralisée ne sont pas le fruit du hasard, explique Al-Modon :
Les protestations ne se déroulent pas seulement en dehors des dirigeants [de l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas en Cisjordanie et du Hamas à Gaza]. Dans un sens, elles se déroulent malgré ces dirigeants, et peut-être même contre eux, fût-ce implicitement.
En effet, l’Autorité palestinienne est “très critiquée par les manifestants”, confirme L’Orient-Le Jour dans un autre article. Mahmoud Abbas, qui a reporté sine die les élections législatives pour ne pas prendre le risque d’en sortir affaibli, paraît aujourd’hui plus dépassé que jamais.
“Il est intéressant, et non surprenant, de voir qu’il y a eu une répression des manifestations palestiniennes en Cisjordanie par l’Autorité. Celle-ci craint un mouvement populaire de masse contre les Israéliens, qui pourrait contester par là même son leadership et le statu quo”, selon Yara Hawari, analyste au centre d’analyse politique Al-Shabaka, interrogée par le quotidien de Beyrouth.
C’est dans ce contexte que le Hamas “semble vouloir profiter de l’atmosphère de révolte qui anime la population sur tout le territoire palestinien pour se positionner comme le principal mouvement de résistance à Israël”.
Mais, ajoute la journaliste de L’Orient-Le Jour, en lançant des roquettes sur Jérusalem, “le mouvement islamiste joue un jeu dangereux [car] il fait peser le risque de représailles de grande ampleur par Israël. La dernière guerre entre les protagonistes date de 2014, et depuis, malgré des escalades récurrentes, les deux parties tentent d’éviter d’aller trop loin pour ne pas répéter un scénario dont personne ne sortirait gagnant.”
Courrier International
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