Le 15 mai 2011, à quelques jours des élections municipales espagnoles, plusieurs milliers de citoyens commencent à occuper la Puerta del Sol, la place centrale de Madrid. En quelques jours, ce “15-M”, comme il est surnommé dans la presse espagnole, ou mouvement des “indignés”, d’après l’ouvrage Indignez-vous !, de l’essayiste Stéphane Hessel, gagne les grandes villes du pays.
Il devient inédit par son ampleur et se prolonge par des campements et des marches, dans un contexte marqué par les retombées de la crise financière de 2008.
Des slogans “antisystème” – contre la crise, le chômage, la corruption ou encore le bipartisme en vigueur en Espagne –, associés à des appels à la protection de l’État providence ou au développement de la démocratie directe, fleurissent sur les pancartes des protestataires, plus ou moins dispersés.
Dix ans plus tard, le 15-M a laissé son empreinte sur la vie politique et sociale espagnole, mais la presse reste partagée quant à son réel impact.
Du 15-M à Podemos
“Le 15-M a rencontré un immense succès critique et public. Son message est resté dans les esprits, mais sa portée politique et institutionnelle a été beaucoup plus modeste que sa franchise émotionnelle et son impact médiatique”, estime le quotidien progressiste en ligne El Plural.
En réalité, poursuit le média, sa portée politique se matérialise en un point majeur : la création du parti de gauche dite radicale Podemos, en 2014, à l’époque symbole de la “nouvelle politique”. La même année, Podemos devient la quatrième force nationale à l’issue des élections européennes.
Le parti mené par Pablo Iglesias, ancien professeur de science politique, a ensuite bousculé “l’équilibre des forces entre la droite et la gauche” espagnoles lors des scrutins municipaux, régionaux et nationaux en 2015, se souvient le journal numérique Eldiario.es, classé au centre gauche.
Puis Podemos est parvenu à rassembler des petits partis de gauche sous la bannière Unidos Podemos, en 2016, et a réussi, trois ans plus tard, à former un gouvernement de coalition avec le Premier ministre socialiste, Pedro Sánchez.
Le mouvement “est vivant et ne cesse de renaître”
Néanmoins, au sortir des élections régionales madrilènes, marquées par le triomphe du Parti populaire (droite conservatrice), une page s’est tournée pour Podemos et, par ricochet, pour le 15-M.
“Le dixième anniversaire du 15-M ressemble davantage à une nécrologie qu’à une célébration. La défaite de la gauche aux élections législatives de la région autonome de Madrid a été l’épilogue du processus de déclin de ce mouvement social, déclin qui a commencé quasiment le jour de sa naissance”, constate, sur un ton virulent, le quotidien conservateur ABC.
Avant d’ajouter que le projet “antisystème” promis aux jeunes par les promoteurs du 15-M n’était en réalité qu’“une tromperie” sanctionnée par les urnes :
“Loin d’être une nouveauté, son projet sentait à plein nez la gauche radicale communiste la plus inutile et la plus rance, réincarnée dans Podemos.”
À gauche, le site Infolibre préfère considérer le 15-M comme un morceau d’“argile que l’on peut façonner”. Le mouvement “est vivant et ne cesse de renaître, il mute et se transforme dans les mémoires et dans la praxis politique et sociale comme tous les événements qui ont eu un grand impacti”.
“Aujourd’hui, il y a encore des raisons de s’indigner”, écrit dans le même article la politologue Cristina Monge, spécialiste des mouvements sociaux, alors que le pays traverse une nouvelle crise avec la pandémie de Covid-19 et que, sur le terrain politique, la droite a repris des couleurs lors des élections madrilènes et que l’extrême droite s’implante durablement dans le paysage national.
Valentin Scholz
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