Dans les circonstances exceptionnelles de la pandémie, et dans un contexte marqué par une sortie de l’Union européenne qui a profondément divisé la société britannique et par le spectre de l’indépendance écossaise, seul le temps pluvieux sous lequel s’est tenu le scrutin avait de quoi redonner un peu de normalité au tableau.
Pandémie, Brexit, indépendance : une campagne singulière
Si le référendum d’indépendance de 2014 s’est soldé par une victoire du « Non » avec 55 % des suffrages exprimés, les nationalistes du Scottish National Party (SNP) n’ont pas tardé à rebondir, remportant tour à tour 56 des 59 sièges attribués à l’Écosse à la Chambre des Communes lors des législatives britanniques de 2015, puis les élections législatives écossaises de 2016 – signe que la tendance de 2014 n’était pas nécessairement définitive.
En effet, lors du référendum tenu cette année-là, le camp du Non – où s’étaient réunis travaillistes, conservateurs et libéraux-démocrates – avait largement appuyé son argumentaire sur le fait que l’indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni signifierait que l’Écosse ne ferait plus partie l’UE. Depuis, le Brexit est venu rebattre les cartes. Les Écossais, qui avaient voté à 62 % pour y demeurer, se sont retrouvés contraints de sortir de l’Union.
En 2020, après un feuilleton interminable, Boris Johnson scellait finalement la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Dans le même temps, le parti conservateur – honni en Écosse depuis l’ère Thatcher – était devenu le principal parti d’opposition à un SNP hégémonique en Écosse. Quant à l’option indépendantiste, elle émergeait dans les sondages aux alentours des 50 % après le référendum sur le Brexit et avait encore progressé de quelques points dans le contexte de la gestion de la crise sanitaire.
Un clivage bien marqué entre indépendantistes et unionistes
Les législatives écossaises de 2021 annonçaient donc une nouvelle édition du jeu de la corde entre indépendantistes et unionistes. Dans le premier camp, on retrouvait le SNP, les Verts ou encore Alba, parti formé tout récemment et dirigé par l’ancien leader du SNP Alex Salmond ; dans le second, le parti conservateur et unioniste, le parti travailliste et le parti libéral-démocrate.
Les règles du jeu électoral veulent que le scrutin comporte deux votations simultanées. D’une part, un scrutin uninominal majoritaire à un tour permet d’élire soixante-treize députés issus d’autant de circonscriptions. D’autre part, un scrutin proportionnel de listes permet d’envoyer à Holyrood cinquante-six députés répartis également entre les huit régions électorales. La désignation des députés issus des listes est pondérée par le nombre de sièges remportés par chaque parti dans les élections par circonscription.
Le SNP et les Verts promettent un référendum dès la fin de la crise sanitaire et avant le terme de la législature, tandis que le parti Alba se fait plus pressant. Les unionistes insistent quant à eux sur la nécessité de se concentrer sur la relance économique d’une Écosse durement touchée. Plus véhément sur cet enjeu, Douglas Ross (parti conservateur) promet d’empêcher les nationalistes d’obtenir une majorité qui ouvrirait la voie à un nouveau référendum.
L’une des grandes interrogations portait sur le score qu’obtiendraient les conservateurs, notamment parce qu’ils se réclament d’un unionisme sans ambiguïté qui a fait recette depuis le référendum de 2014. Les Verts, crédités de scores flatteurs dans les sondages, fondaient également de grands espoirs, de même que le tout nouveau parti Alba. Le SNP de la première ministre Nicola Sturgeon était à peu près certain de l’emporter, mais visait une majorité absolue – ce qui tient cependant de l’anomalie, compte tenu du mode de scrutin mixte écossais.
Des résultats globalement prévisibles
Au sortir d’une campagne qui n’a ressemblé à aucune autre et d’un dépouillement interminable, les urnes révèlent d’abord une participation d’un peu plus de 63 %, en hausse de 7,5 % par rapport à 2016 – établissant un nouveau record pour cette élection. Néanmoins, la répartition des voix demeure largement stable : aucun parti ne connaît une hausse ou une baisse de plus de 2 % de son score. La cartographie du Parlement de Holyrood n’est pas bouleversée : les travaillistes et les libéraux-démocrates perdent encore du terrain – respectivement deux et un siège – au profit des Verts et du SNP.
Pour autant, l’élection n’est pas dépourvue d’enseignements.
À Glasgow Southside, le chef du parti travailliste Anas Sarwar est allé défier Nicola Sturgeon dans son fief de toujours. Comme attendu, il n’est pas parvenu à déloger la première ministre, victorieuse avec plus de 60 % des voix. Il a néanmoins réussi à endiguer la relative montée des conservateurs dans cet ancien fief travailliste.
Dans les circonscriptions d’East Lothian et d’Ayr, le SNP a ravi un siège acquis au parti travailliste depuis 1999 et un autre qui était tenu par le parti conservateur et unioniste. C’est dans la circonscription d’Édimbourg Central qu’est survenu le retournement le plus emblématique : le vétéran de Westminster Angus Robertson (SNP) y obtient une victoire spectaculaire avec une hausse de plus de 10 % pour le SNP dans cette circonscription qui avait pourtant envoyé à Holyrood l’ancienne cheffe du parti conservateur Ruth Davidson lors de l’élection précédente. La capitale, qui avait voté contre l’indépendance à plus de 60 %, se colore désormais presque entièrement de jaune, couleur du SNP.
Cependant, l’élection au Parlement écossais est ainsi faite que tout siège remporté au scrutin uninominal grève davantage les chances de remporter des sièges au scrutin de liste. En recueillant le plus haut pourcentage jamais atteint depuis 1999, avec trois circonscriptions supplémentaires, le SNP perd deux élus au scrutin régional et échoue à un siège de la majorité absolue tant convoitée. Malgré plus de 40 % des voix, il n’y remporte que deux sièges ; tandis que les conservateurs avec 23,5 %, et les travaillistes avec 18 % des voix, remportent respectivement 26 et 20 sièges.
Quant à Alex Salmond, qui entendait éviter la dilution du vote SNP par le scrutin mixte et assurer une « supermajorité » indépendantiste, son pari est perdant. N’ayant pu prendre part aux débats télévisés en dépit de la notoriété de son chef, l’Alba Party n’est guère parvenu à faire entendre sa stratégie au-delà de cybermilitants indépendantistes qui semblent s’être finalement davantage portés vers les Verts.
À l’inverse, il semble que les électeurs unionistes ont effectué de nombreux votes stratégiques, comme le relevaient les politologues Nicola McEwen et John Curtice. En effet, de nombreuses circonscriptions témoignent du basculement parfois massif des voix vers le candidat du parti jugé le plus à même de battre le SNP ; démonstration supplémentaire de l’importance de la question nationale en Écosse.
Un nouveau choc des légitimités ?
À l’annonce des résultats, Nicola Sturgeon a le sourire aux lèvres, et pour cause. La population a largement exprimé son appui à la promesse électorale que la première ministre avait explicitement formulée : l’organisation d’un second référendum d’autodétermination dès que la pandémie relèvera du passé.
Se réjouissant de cette « victoire historique », Sturgeon appelle le gouvernement britannique à reconnaître le mandat octroyé par le peuple écossais. Dans une rhétorique semblable à celle de son alter ego catalan Carles Puigdemont – qui avait été sévèrement réprimé par les autorités de Madrid pour avoir organisé de façon unilatérale une consultation sur l’indépendance en 2017 –, elle revendique pour le peuple écossais le « droit de décider » de son avenir politique.
Reprenant un argumentaire dont elle est coutumière, la cheffe du Scottish National Party souligne qu’à la différence des Anglais qui tenaient leurs élections locales le même jour, l’Écosse n’a une nouvelle fois pas porté sa préférence sur les conservateurs. Dès lors, ceux-ci, au pouvoir à Westminster n’ont à ses yeux « aucune légitimité démocratique à empêcher le peuple de l’Écosse de se prononcer » et « il n’est pas question de savoir si Boris Johnson “accorde” un référendum, mais plutôt s’il entend respecter le vote des Écossais et leur volonté démocratiquement exprimée ».
Quoique renforcé par la victoire des conservateurs en Angleterre, le premier ministre britannique est sommé de réagir.
Lui qui a dévoilé un vaste plan d’investissement dans les infrastructures écossaises peu avant les élections n’a pas manqué d’afficher sa fermeté sur le sujet et d’écarter la possibilité d’un second référendum qu’il juge irresponsable dans le contexte pandémique actuel et bien moins urgent que le relèvement économique orchestré par Londres. Après avoir rappelé le mot d’ordre d’« une fois par génération » lancé par les organisateurs du référendum de 2014 – un mot d’ordre qui n’a cependant pas de valeur juridique –, Boris Johnson a invité Nicola Sturgeon et les autres premiers ministres à la tenue d’un sommet sur la dévolution afin de repenser la coopération entre le Royaume-Uni et ses nations constitutives.
Cependant, Nicola Sturgeon a évoqué la possibilité d’adopter au Parlement de Holyrood un texte visant à l’organisation d’un référendum d’autodétermination. Dans le cas d’une démarche unilatérale de l’Écosse, il serait alors probable que Boris Johnson porte l’affaire devant la Cour suprême. Une issue incertaine qui, comme dans le cas de la Catalogne récemment, conduirait à opposer deux registres de légitimité…< !—> http://theconversation.com/republishing-guidelines —>
Jérémy Elmerich, Doctorant en civilisation britannique et en science politique (UPHF & UQAM), Université Polytechnique des Hauts-de-France