Investi ce 13 juin par la Knesset, le gouvernement Bennett-Lapid est le fruit d’un pari politique : renverser le régime de Benyamin Nétanyahou. Ce pari gagné de justesse, l’enjeu est désormais d’éviter tout différend majeur entre ses ailes du centre gauche, du centre et de droite, sous peine de voir Nétanyahou revenir au pouvoir.
L’aile gauche de ce gouvernement hétéroclite se trouve structurellement et parlementairement en position de faiblesse. C’est ce qui explique que l’ultranationaliste Naftali Bennett, avec seulement six sièges à la Knesset, soit devenu Premier ministre et que l’hypothèse de s’adjoindre la Liste commune [cartel arabe nationaliste et de centre gauche] ait été balayée d’un revers de la main, confirmant l’identité nationaliste de droite de cette invraisemblable coalition.
La répartition des portefeuilles ministériels parle d’elle-même. Gideon Saar [Tikva Hadasha, dissidence de droite du Likoud] obtient la Justice, Ayelet Shaked [députée du parti Yamina de Bennett, ultradroite] l’Intérieur et Zeev Elkin [parti de Gideon Saar] le Logement et Jérusalem. Surtout, ce gouvernement endosse la création d’un ministère flambant neuf imaginé au départ par le Likoud il y a un mois : le ministère de la Colonisation, détenu par le nouveau Premier ministre Naftali Bennett, ce dernier obtenant donc la haute main sur tous les domaines touchant aux implantations israéliennes en Cisjordanie.
“La colonisation partout”
Ne prenons que deux exemples. D’une part, l’accord prévoit explicitement d’investir massivement dans les routes menant aux implantations [juives] de Cisjordanie et les reliant entre elles. Et qui détient le portefeuille afférent des Transports ? La dirigeante travailliste Merav Michaëli. Certes, d’un point de vue historique, l’Avoda [travailliste] porte une lourde part de responsabilité dans le lancement de l’entreprise de colonisation dans les Territoires, mais en paraphant ce chapitre de l’accord de coalition, le Parti travailliste d’aujourd’hui et le Meretz [pacifiste et défenseur des droits civiques], bien qu’hostiles aux investissements coloniaux, ont déjà mangé leur chapeau.
D’autre part, dans son discours d’investiture devant la Knesset, entre autres destiné à faire taire les attaques du Likoud et de l’extrême droit suprémaciste, Naftali Bennett a pris soin de souligner que son gouvernement “renforcera la colonisation partout en Terre d’Israël” [Israël et les territoires palestiniens] et a répété le mot “partout”, un mot qui, pour les distraits, est imprimé en caractères gras dans la version écrite de l’accord distribuée aux journalistes.
Enfin, le nouveau Premier ministre a ajouté : “Après des années de laisser-aller, nous veillerons à ce que nos intérêts nationaux dans la zone C [61 % du territoire de la Cisjordanie restés sous contrôle exclusif de l’armée israélienne] soient à nouveau garantis et prioritaires.” Théoriquement placée sous l’autorité du ministre de la Défense Benny Gantz [centre droit], la gestion de ce dossier, si elle devait connaître l’inflexion revendiquée par Bennett, risque d’anéantir ce qu’il reste de réalisable en faveur d’une solution diplomatique à deux États. On pourrait ajouter à ces deux exemples les déclarations de Bennett concernant le dossier iranien, lesquelles ne sont qu’un copié-collé des discours de Nétanyahou.
Le renvoi de ce dernier dans l’opposition ne changera pas un rapport de forces idéologique favorable à la droite et illustré par la composition du gouvernement. D’autant que, forte de dizaines de groupes de pression nationalistes et religieux, la droite extraparlementaire est parfaitement préparée. Pragmatique, peu lui importe que ce ne soit plus Nétanyahou mais Bennett ou Lapid son nouvel interlocuteur. Du moment que, en définitive, ses intérêts politiques peuvent trouver des porte-voix au sein du nouveau gouvernement.
Noa Landau
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