Le débat Royal-Bayrou a montré que ces deux-là ne vivent pas seulement dans le même monde... Leurs projets respectifs présentent assurément beaucoup de similitudes. La cordialité du ton n’est pas seule en cause. Bien sûr, des arrières-pensées tactiques empêchent de tout dire. Pour Royal, l’obsession immédiate, c’est d’aspirer le maximum de voix centristes du premier tour. Et, pour Bayrou, de s’inviter dans le second tour pour travailler sa stature de présidentiable et de recours pour l’avenir. Mais on a pu mesurer combien cette convergence a une base politique sérieuse.
François Bayrou et Ségolène Royal sont d’accord sur les institutions, les médias, la sécurité, et leurs divergences sur les questions économiques, sur le Smic, les 35 heures ou la Banque centrale européenne, sont loin d’être insurmontables. Surtout quand on sait ce que font généralement les socialistes de leurs maigres promesses électorales une fois arrivés au pouvoir... Certains commentateurs estiment même que ce qu’ils appellent le « couple Bayrou-Royal » pourrait être, à l’avenir, fondateur d’une nouvelle donne institutionnelle baptisée VIe République. Quant au toujours sémillant Jack Lang, il n’a pas fallu beaucoup pour qu’il passe à l’aveu : « Ce que montre ce débat, c’est que nous sommes d’accord avec François Bayrou pour reconstruire ensemble la maison commune de la République. »
Les thèmes sociaux auront logiquement été les grands absents de la « confrontation ». Et pour cause ! Il ne faudra attendre ni de l’une, ni de l’autre, qu’ils choisissent naturellement de s’en prendre aux possesseurs de parachutes dorés afin de répartir les richesses et d’augmenter de 300 euros net les salaires, les pensions des retraités, les minima sociaux. Le virage vers le centre met la social-démocratie française en conformité avec les thèses et politiques prônées ou menées par les autres partis de l’Internationale socialiste, de l’Allemagne à l’Angleterre en passant par l’Italie. Bayrou a souvent donné des satisfecit à Blair ou à Prodi. Ce dernier a fait savoir tout le bien qu’il pensait de la possible traduction en France du gouvernement de collaboration de classe qu’il dirige en Italie. Jacques Delors, lui aussi, est sorti de sa réserve pour adouber la confluence au centre au nom de la redynamisation en France du projet d’Europe libérale, qu’il a largement contribué à mettre sur les rails.
Certes, le président de l’UDF n’a pas apporté son soutien factuel par un appel au vote en faveur de Royal. Mais il a fait un geste de proximité avec elle, qui contraste fortement avec les propos très durs portés à l’encontre de Sarkozy, accusé de vouloir étouffer la démocratie et verrouiller les médias. Le pari est risqué. D’ailleurs, la riposte s’organise pour lui mettre des bâtons dans les roues. Au projet de transformation de l’UDF en Parti démocrate, les snipers « centristes » de Sarkozy, De Robien en tête, ripostent en promettant une UDF maintenue... et satellisée par l’UMP. L’UMP menace aussi les députés de Bayrou, élus en 2002 sans concurrence sur leur droite, de représailles pour le cas où ils n’appelleraient pas à voter Sarkozy. Conséquence, pendant que Bayrou débat avec Royal, des dizaines de députés sortants centristes ont fait leurs calculs dans leurs circonscriptions, et ils ont décidé d’appeler à voter Sarkozy.
Indépendance politique
Pour sa part, la direction du PS sait que la fuite en avant vers le centre risque aussi, en retour, de compromettre une partie du report des voix des candidatures placées à sa gauche. Même si le matelas est moins épais, l’addition Voynet, Buffet, Laguiller, Schivardi, Bové, Besancenot pèse tout de même près de 4 millions d’électeurs soit 10,57 %. Les instituts de sondage montrent que les multiples tentatives de capter les électeurs du centre sèment le trouble et réduisent les reports de voix venant de la gauche. Nous ressentons, nous aussi, ce phénomène, qui touche une - petite - partie de l’électorat de la LCR, à travers le courrier reçu, les messages sur le blog d’Olivier Besancenot ou encore à l’occasion des discussions que nous avons sur les marchés, dans les entreprises et les quartiers.
D’où les zigzags de Royal, qui cherche aussi à donner le change à gauche. Sur France 2, mercredi 25 avril, elle tançait les patrons qui faisaient des profits et licenciaient. Lors d’un de ses grands meetings, elle faisait acclamer Arlette Laguiller et annonçait qu’elle s’entretiendrait avec elle. José Bové n’était pas en reste et se voyait proposer une mission sur la souveraineté alimentaire... qu’il s’est empressé d’accepter. Et, comme rien ne l’effraie, Royal affirmait même son accord total avec notre slogan de campagne « Nos vies valent plus que leurs profits ». Seulement voilà, nous ne sommes pas dupes, et nous ne sommes pas les seuls. L’arbre de la démagogie ne cache pas la forêt du programme libéral. Rocard disait déjà, en 1985, pour résumer son appel à rompre avec le messianisme socialiste : « Je suis un tueur de rêve. » Voilà qui avait au moins le mérite de la franchise. Royal est, en réalité, dans cette continuité. Une grande partie de son électorat du premier tour, a fortiori du second, vote les yeux grands ouverts, sans illusion sur le projet socialiste mais pour barrer la route à Sarkozy. Espérons que cela suffise.
Nous voterons contre Sarkozy. Nous le ferons parce qu’il est un véritable danger pour les travailleurs, la jeunesse et les libertés. Il suffit de lire ce qu’il veut faire de ses 100 premiers jours pour en prendre toute la mesure. Dès la session extraordinaire du Parlement, en juillet, il veut « instaurer le service minimum » contre les grèves, « créer des peines plancher pour les multirécidivistes et réviser l’ordonnance de 1945 sur les mineurs délinquants, changer les règles du regroupement familial, réformer les 35 heures, supprimer les dispenses de recherche d’emploi, revenir sur l’autonomie des universités ». Nous voterons contre Sarkozy sans l’ombre d’une hésitation. Mais nous ne ferons rien qui puisse laisser penser qu’il s’agit d’un quelconque soutien, même très critique, à la politique que défend la candidate du PS. C’est pour cela qu’Olivier Besancenot ne sera pas la guest star des meetings de Royal. C’est en toute indépendance du PS que nous menons la bataille contre Sarkozy.