RÉGIONALES - Ils sont donnés favoris à la prochaine élection présidentielle. Pourtant, Emmanuel Macron et Marine Le Pen viennent de subir une cuisante défaite, un an avant l’échéance. Le premier a beau avoir dépêché une ribambelle de ministres dans les fameux “territoires” pour contrecarrer certains de ses adversaires directs, la deuxième a bien envoyé plusieurs de ses fidèles au combat, rien n’y fait : leurs troupes ne parviennent toujours pas à s’implanter, leur parti à fédérer.
Au contraire, les formations politiques parfois qualifiées “d’historiques”, plutôt moribondes sur la scène nationale, sortent renforcées, ce dimanche 20 juin, du premier tour des élections régionales.
La droite traditionnelle, dont la frange modérée est toujours convoitée par le chef de l’État, se classe en tête dans six régions. Soit une de plus que le Parti socialiste. Des résultats presque inespérés pour les patrons Olivier Faure et Christian Jacob, plus habitués à commenter les difficultés que les victoires. Ils peuvent en tous cas remercier leurs barons locaux, élus pour certains depuis des décennies dans leurs fiefs, pour cette belle soirée.
Maxi-prime au sortant
Ce sont eux, de Laurent Wauquiez en Auvergne-Rhône-Alpes à Valérie Pécresse en Île-de-France en passant par Alain Rousset en Nouvelle-Aquitaine ou Xavier Bertrand dans les Hauts-de-France qui accordent aux formations de “l’Ancien Monde” cette bouffée d’air. Une “prime aux sortants” théorisée par le président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand en avril dernier à l’annonce de la tenue de ces scrutins plusieurs fois repoussés.
Comprendre : un avantage indubitable pour les présidents sortants des exécutifs régionaux, souvent en première ligne au gré de la crise sanitaire, des commandes de masque à l’acheminement des vaccins. De fait, ces responsables, même inconnus du grand public, distancent quasiment tous très largement leurs rivaux et semblent en passe d’être réélus dans une semaine. Exception faite de Renaud Muselier, embourbé en Paca face à l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy, Thierry Mariani, désormais candidat RN,
Un bonus sans doute décuplé par la pandémie de covid-19... mais également par l’abstention massive, historique pour une élection sous la Ve République. Le poids des réseaux et des clientèles électorales cultivé par ces différentes figures locales aura sans doute joué un rôle déterminant dans le résultat. Même dans les régions comme le Centre-Val de Loire ou la Bourgogne-Franche-Comté, où ils avaient été mal élus lors du dernier scrutin et en dépit de sondages inquiétants, les sortants socialistes François Bonneau et Marie-Guite Dufay virent en tête.
Pour le politologue Rémi Lefebvre, tous profitent à plein du “réflexe légitimiste” de leurs concitoyens. “C’est transpartisan, avec le score exceptionnel de Xavier Bertrand et le niveau historiquement bas du Rassemblement national dans la région Hauts-de-France. On voit ce phénomène aussi du côté des socialistes avec Carole Delga”, en Occitanie, analysait-il, ce dimanche, sur France Inter.
LREM en déroute, le RN en plein doute
Dans ce contexte, la formation de Marine Le Pen est effectivement celle qui perd le plus gros. Non seulement ses scores sont bien plus bas que ceux prévus par les sondages -qui voyait l’extrême droite se placer en tête dans six régions différentes- mais elle ne parvient pas à se hisser aux scores que réalisait le Front national en 2015. Dans les Hauts-de-France, l’un de ses bastions, l’échec est cinglant pour le député Sébastien Chenu, un des visages du parti, largement distancé avec un score moitié moins bon que celui réalisé par la présidente du FN en 2015.
Même en Paca, Thierry Mariani (35%) réussit certes à dépasser le sortant Renaud Muselier, mais il obtient un score bien inférieur à celui que réalisait Marion Maréchal (40%) il y a six ans. Globalement, aucun candidat d’extrême droite ne dépasse les 25%, quand Marine Le Pen et sa nièce engrangeaient plus de 40% des voix, l’ancien numéro deux Florian Philippot 36.
Mais l’herbe n’est pas forcément plus verte ailleurs. En face du Rassemblement national dans ce nouvel échiquier politique, la République en marche continue, elle, sa bérézina aux élections locales. La déroute était attendue pour les troupes d’Emmanuel Macron, mais elle n’en reste pas moins sévère : le parti fondé par le président de la République en 2016 est éliminé dans les Hauts-de-France, en Auvergne-Rhône-Alpes et en Occitanie. Pire : il est privé de, presque, toute possibilité de se muer en faiseur de roi.
Malgré la présence de quatre autres membres du gouvernement sur sa liste -Agnès Pannier-Runacher, Éric Dupond-Moretti, Gérald Darmanin et Alain Griset- la candidature du ministre Laurent Pietraszewski, s’écrase autour des 8% face à l’indéboulonnable Xavier Bertrand. Plus révélateurs, encore, les meilleurs scores de la majorité ne sont pas réalisés par des marcheurs... mais par des fidèles de François Bayrou, membres du MoDem. Le ministre des Relations avec le Parlement Marc Fesneau, longtemps présenté comme favori en Centre-Val de Loire, plafonne par exemple à 16%.
EELV ne confirme pas (encore)
S’il offre, avec ce score, l’une des meilleures performances à la majorité, derrière le sortant François Bonneau et le LR Nicolas Forissier, il a, semble-t-il, perdu tout espoir de victoire. De même, en Nouvelle-Aquitaine, la ministre des Anciens combattants Geneviève Darrieussecq, avec environ 14%, ne peut nourrir d’ambition face au sortant socialiste Alain Rousset, qui a recueilli plus de 30%. La mine des mauvais soirs, Stanislas Guérini n’a pas cherché à masquer ces échecs. “Je ne vais pas faire de langue de bois : oui, bien sûr qu’on a des déceptions” d’avoir “réalisé ce score-là”, a euphémisé le patron du parti présidentiel sur RTL.
Mais que les marcheurs se rassurent : la bamboche ne sera pas, non plus, chez les écolos. Si EELV poursuit la dynamique des dernières élections en réalisant environ 12% des voix au premier tour, la formation de Julien Bayou ne parvient pas à concurrencer, à ce stade, l’ancrage territorial du Parti socialiste pour devenir la première force de gauche dans le pays. Elle peut toutefois nourrir l’espoir de remporter les Pays de la Loire, si Guillaume Garot, le député et candidat PS se range derrière Matthieu Orphelin.
Une éventualité qui viendrait bonifier le bilan des Verts pour ce scrutin, et apporter de la crédibilité à leurs élus, un an avant l’élection présidentielle. Mais dans cette optique, les principaux gagnants de ce premier tour des régionales sont, pour l’instant, les différents prétendants de la droite pour 2022. Avec plus de 40% des voix, Laurent Wauquiez d’un côté, Xavier Bertrand de l’autre -sans oublier Valérie Pécresse- peuvent se targuer d’un ancrage et d’une reconnaissance locale particulièrement puissante. La meilleure des rampes de lancement pour une future revanche, encore plus cinglante ?
Anthony Berthelier