Dans les années 1970, le mouvement palestinien Fatah [dirigé par Yasser Arafat] avait lancé la lutte armée à partir de la diaspora palestinienne réfugiée dans les pays voisins. L’idée était que les fedayins [combattants palestiniens] attaquent Israël à partir du Liban,, de la Jordanie et de la Syrie pour provoquer des réponses israéliennes, qui à leur tour devaient obliger les armées arabes à déclarer la guerre.
Considérant que la cause palestinienne était la cause centrale du monde arabe dans son ensemble, cela allait être une guerre de libération nationale avec les Palestiniens dans le rôle de l’avant-garde.
Instrumentalisation
Cette stratégie ne faisait pas l’unanimité. À l’extrême gauche, le Front populaire considérait que cela représentait un pari hasardeux, qui risquait de faire basculer certains régimes (et surtout celui de Gamal Abdel Nasser en Égypte) dans la guerre à un moment mal choisi. Mais, par la suite, l’extrême gauche palestinienne, avec le Front populaire pour la libération de la Palestine, a rejoint la ligne du Fatah.
À l’autre bout du spectre politique, les Frères musulmans ont connu la même évolution. [Initialement, ils sont sur une ligne quiétiste, qui privilégie le prêche à la lutte armée. Mais, avec la création du Hamas en 1987, ils adoptent, eux aussi, l’idée de la lutte armée.]
Cette idée présuppose que le reste du monde arabe suive. Mais, premièrement, les régimes arabes ne se sont pas laissé dicter leur conduite par telle ou telle faction palestinienne, et les armées arabes n’ont pas été à la hauteur.
Deuxièmement, quand il y a eu conflit, cela s’est soldé par des défaites arabes, surtout en 1967. Troisièmement, les autres Arabes avaient certes de la sympathie pour les Palestiniens, mais n’avaient pas voix au chapitre sous les régimes autoritaires.
Au contraire, ce sont ces régimes qui ont dicté leur agenda aux Palestiniens, pour les instrumentaliser, pour asseoir des appétits de puissance régionale ou pour masquer leurs propres échecs. Si ce n’est pour se heurter frontalement aux Palestiniens, comme lors du “septembre noir” de 1970 en Jordanie, quand l’armée jordanienne est intervenue contre les fedayins dans les camps de réfugiés palestiniens contrôlés par l’OLP [Organisation de libération de la Palestine].
L’horizon d’un État
Cela marque la fin de l’époque où il était possible pour les réfugiés palestiniens en Jordanie de participer au mouvement national palestinien. Ensuite, à partir de la guerre de 1973, c’est la Syrie qui interdit aux Palestiniens de mener des opérations à partir de son sol. Restait donc le Liban, où l’OLP a profité de la faiblesse de l’État pour former une sorte d’État dans l’État. Cette époque prend définitivement, et tragiquement, fin en 1982, avec l’invasion du Liban par Israël pour en chasser l’OLP et son dirigeant, Yasser Arafat.
[Par la suite, l’OLP s’est convertie à la voie de la négociation afin d’obtenir un État à Gaza et en Cisjordanie. Or l’horizon d’un État palestinien indépendant n’a cessé de s’éloigner, sous l’effet notamment de la colonisation israélienne dans les Territoires occupés.]
Sur la scène internationale, la situation n’a fait que se détériorer pour les Palestiniens. En effet, l’Union soviétique propalestinienne s’est effondrée pour laisser la place à la Russie de Poutine. Et celle-ci, à l’instar de la Chine et de l’Inde, est un allié d’Israël.
Vers une nouvelle intifada ?
Aujourd’hui, on rentre dans une nouvelle phase. Il est trop tôt pour dire quelle forme celle-ci va prendre, mais on peut parier qu’il y aura à la fois un affrontement militaire entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza et un soulèvement populaire.
Ce serait donc une nouvelle intifada, mais qui aurait ceci de particulier qu’elle engloberait non seulement les Palestiniens de Cisjordanie, mais également les Palestiniens de 1948, qui vivent en Israël et en ont le passeport. Et ceux-ci vont probablement occuper une place centrale dans cette nouvelle configuration, alors qu’ils étaient jusqu’à présent à la marge du mouvement national palestinien.
Cela aura certainement d’importantes répercussions sur la manière dont les Palestiniens perçoivent leur propre identité. Et cela les poussera également à se débarrasser de bon nombre d’illusions et de paris hasardeux [sur les acteurs extérieurs], paris qu’ils ont perdus et qui n’ont fait que contribuer à perpétuer la situation coloniale et d’apartheid qu’ils subissent.
Majed Kayali
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