L’heure est à l’apaisement au Cachemire. Pour la première fois depuis la réorganisation forcée de cette région himalayenne à majorité musulmane en août 2019, les principales personnalités politiques locales ont rencontré Narendra Modi, jeudi 24 juin. Le Premier ministre indien les a reçues à sa résidence officielle, à Delhi, pour leur demander de participer à la définition d’une nouvelle carte électorale, en vue d’organiser des élections régionales et de réinstaller un gouvernement à Srinagar. “Deux ans après, le gouvernement semble être en train de revoir sa stratégie”, explique Suhasini Haidar, rédactrice en chef à The Hindu.
L’idée de départ était d’atteindre trois objectifs, en plus de mettre fin au terrorisme et à la violence dans la région : “Lancer quantité d’investissements afin de développer le Jammu-et-Cachemire, récupérer les parties du Cachemire occupées par le Pakistan (depuis 1947) et la Chine (depuis 1962), et mettre fin aux politiques dynastiques” qui caractérisent la région depuis plus de soixante-dix ans.
“Si deux ans ne suffisent peut-être pas pour juger véritablement du succès de ses intentions, compte tenu notamment de l’impact de la pandémie de coronavirus, il est certainement juste de dire que le gouvernement n’a pas réussi à faire avancer la plupart de ces objectifs”, estime la journaliste. La violence a certes diminué depuis 2019, mais au prix de privations massives pour la population locale.
Plus de 5 000 personnes ont été arrêtées, la plus longue suspension d’Internet de toutes les démocraties du monde (213 jours) a été instaurée, et le déploiement de militaires se poursuit en dépit du retour de la paix.
Narendra Modi et son ministre de l’Intérieur, Amit Shah, persistent à dire que la situation au Cachemire est un dossier de politique intérieure. Pourtant, le sujet est abordé “dans de nombreuses capitales, y compris au Congrès américain et dans les parlements du Royaume-Uni, de l’Union européenne et des pays nordiques”. Il est du reste assez cocasse que le gouvernement indien ait fait venir à plusieurs reprises “des délégations de députés européens, des ambassadeurs et des diplomates des Nations unies pour les escorter au Cachemire et tenter d’obtenir leur approbation” sur le climat qui y règne.
Nouvelle donne régionale
Le rétablissement de la démocratie sur place va naturellement au-delà de considérations propres à l’Inde. “Au cours des derniers mois, il est apparu clairement que l’Inde et le Pakistan discutaient de garanties sur le Jammu-et-Cachemire qui permettraient un dialogue bilatéral plus large”, rappelle Suhasini Haidar, qui observe que le Pakistan “a lui aussi considérablement baissé d’un cran par rapport à ses précédentes demandes de référendum” au Cachemire, région dont il revendique la souveraineté depuis la partition du sous-continent indien en 1947.
D’autres éléments internationaux ont également joué un rôle dans la reprise du dialogue entre Delhi et Srinagar. La rédactrice en chef de The Hindu cite par exemple “les incitations externes de la part des États-Unis, désireux de mener à bien leur retrait d’Afghanistan et leurs négociations avec les talibans”, ainsi que les pressions exercées par “l’Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis”, sous forme d’offres de médiation. Autre indication importante : désireuse de jouer un nouveau rôle en Afghanistan, l’Inde de Modi “a récemment rencontré les talibans à Doha”, a-t-on appris lundi 21 juin de la bouche d’un diplomate qatari.
À défaut d’obtenir le soutien qu’il attendait de Washington au Cachemire, en échange de sa participation au projet américain d’endiguement de la Chine dans la zone indo-pacifique, le gouvernement Modi est actuellement “entraîné dans un jeu plus complexe de dominos régionaux, où la sécurité de l’Inde est de plus en plus en jeu”, conclut la journaliste. D’où sa tentative de faire baisser la température au Cachemire.
Suhasini Haidar
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