Le mouvement #MeToo touche toujours plus de secteurs. En Allemagne, c’est désormais les comportements sexistes dans le milieu du rap qu’il vise à dénoncer. Avec #DeutschrapMeToo, la dénonciation est double. Il y a d’abord les violences verbales, celles à peine cachées dans les textes et presque communément admises. Des paroles trash et misogynes souvent justifiées par une certaine démarche artistique par les rappeurs, qui se cachent derrière un “personnage scénique”, précise la journaliste et musicologue Nava Zarabian, interviewée par l’hebdomadaire allemand Die Zeit.
Une pétition en ligne pour “l’interdiction des textes misogynes qui légitiment les abus dans le rap” circule actuellement. Le 2 juillet, elle avait déjà récolté plus de 12 000 signatures. La musicologue donne l’exemple d’une nouvelle chanson du rappeur allemand Nimo, où il décrit le viol d’une femme. Après un énorme tollé, le rappeur et son label ont été contraints de retirer la chanson, indique Nava Zarabian :
“L’objectif devrait être que les textes de rap qui glorifient les violences sexuelles ne deviennent pas des succès commerciaux, ni même ne soient produits.”
Un changement de fond qui doit donc inclure les labels.
Et puis il y a les violences physiques et sexuelles, dont sont souvent victimes de jeunes fans. Les réseaux sociaux jouent alors un double rôle. Ils permettent d’une part de dénoncer ces agressions et de libérer la parole. Le compte Instagram @DeutschrapMeToo, créé le 18 juin, alors que la polémique éclatait outre-Rhin, compte déjà plus de 25 000 abonnés à l’écoute des témoignages anonymes de victimes de violences sexuelles et sexistes dans la scène rap allemande.
Les réseaux sociaux sont donc un outil nécessaire pour les victimes, mais servent également de terrain de chasse à certains rappeurs, selon l’experte interrogée par Die Zeit. “Les fans ont rapidement l’impression de réellement connaître leur idole, voire d’être proche. Si un rappeur écrit alors un message suggestif à une fan, celle-ci risque de réagir plus naïvement.”
Dénonciations publiques
Pour le rappeur allemand Bushido, les faits sont indéniables, même seize ans après. Une vidéo diffusée le 26 juin le montre en train de harceler une jeune femme en 2005. Selon les explications du quotidien Süddeutsche Zeitung, on le voit dans une chambre d’hôtel accompagné d’une jeune femme dont le visage est pixélisé. Elle répète à plusieurs reprises qu’elle ne sait pas ce qu’elle doit faire et qu’elle ne souhaite pas être filmée. Le rappeur, agacé, répond qu’il “n’a pas envie […] d’être assis comme un idiot devant son lit”.
Dans une seconde vidéo, publiée il y a quelques jours par Bushido lui-même, on le voit allongé auprès de la jeune femme, entouré de trois autres hommes qui fument en filmant. Le rappeur a confirmé l’authenticité des vidéos et s’est publiquement excusé. Bushido a déclaré qu’il était impensable que la jeune femme, une fan qui l’avait rejoint en backstage après un concert, ait été mineure au moment des faits, mais la question reste en suspens.
Les dénonciations publiques s’accumulent et ne sont pas toujours anonymes. L’influenceuse Nika Irani a ainsi accusé dans un post Instagram le rappeur berlinois Samra de l’avoir enfermée et violée. Le rappeur a quant à lui nié ces allégations. Dans la foulée, Visa Vie, figure féminine de la scène hip-hop allemande et ex-animatrice du média en ligne 16 Bars, assure qu’en douze ans elle a “remarqué, expérimenté ou entendu parler de tant de cas de violences sexuelles contre les femmes dans l’univers du rap qu’il faudrait des mois pour tout raconter”, relate le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Malgré cette mouvance #MeToo dans le rap, la journaliste Nava Zarabian reste “pessimiste” quant à une réelle évolution dans ce milieu musical. Même si de plus en plus de femmes témoignent et que la place laissée aux rappeuses progresse, elle craint que “l’attention médiatique ne retombe très vite”.
Joséphine Maunier
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