Mediapart publie des extraits des comptes-rendus de la gendarmerie sur les opérations menées pour interdire la free party près de Redon (Ille-et-Vilaine). Au cours de cette intervention, dans la nuit du 18 au 19 juin, un jeune homme de 22 ans a eu la main arrachée. Ces notes évoquent un dispositif totalement disproportionné et révèlent l’impassibilité, voire l’indifférence des forces de l’ordre, pourtant informées en temps réel de l’état d’urgence vitale du jeune teufeur.
En effet, lorsque celui-ci a la main arrachée, des agents d’un service de renseignement, infiltrés parmi les jeunes, informent leur hiérarchie. Pour autant, aucune assistance ne lui est portée. Quant aux pompiers, comme nous l’avions raconté, interdits d’accès par le préfet, ils sont restés immobilisés à un rond-point, comme retranscrit dans un rapport d’intervention.
Le 19 juin, « en liaison étroite avec le cabinet du ministre de l’intérieur », ainsi qu’il l’a précisé à la presse, le préfet d’Ille-et-Vilaine, Emmanuel Berthier, a fait intervenir 14 militaires de l’antenne du groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (AGIGN) de Nantes pour saccager tout le matériel (enceintes, tables de mixage, groupes électrogènes) prévu pour la fête. Une présence et un rôle pour le moins inattendus. Les militaires du GIGN, qui constituent l’élite de la gendarmerie, sont formés et équipés de moyens et armements spécifiques, très sophistiqués, pour accomplir leurs missions. Ils interviennent généralement pour des faits très graves : terrorisme, prises d’otages, arrestations de dangereux forcenés, émeutes dans les prisons, risques ou menaces sur des intérêts vitaux pour l’État.
Interrogés, le cabinet du ministre Gérald Darmanin, celui du préfet d’Ille-et-Vilaine, ainsi que la direction générale de la gendarmerie nationale, n’ont pas souhaité répondre à nos questions, prétextant les enquêtes en cours. Mediapart revient sur ces deux jours d’intervention qui, tant par les moyens mis en œuvre que par l’absence de plan d’évacuation, accablent la préfecture et le ministère de l’intérieur.
Le vendredi 18 juin, en fin de journée, les gendarmes tentent d’identifier le lieu prévu pour une free party interdite en hommage à Steve Maia Caniço, décédé à la suite d’une intervention de police sur les quais de la Loire, à Nantes, lors de la fête de la musique, en juin 2019.
Pour cela, certains suivent les réseaux sociaux et d’autres, en patrouille, vérifient les véhicules. À 20 h 13, ils localisent « 33 personnes [qui] se rassemblent sur le secteur de Redon » et, quelques minutes plus tard, précisent qu’ils se retrouvent sur le parking d’une grande surface.
À partir de là et tandis que la surveillance des jeunes réunis sur le parking se poursuit, faisant état à 23 heures de « 300 à 400 véhicules »,très vite, trois escadrons, soit près de 250 hommes, sont mobilisés sur l’ancien hippodrome, identifié comme étant le lieu de la fête . Aux alentours de 23 h 47, on note même la présence d’un hélicoptère qui se dirige vers Redon.
À 2 h 57, la cellule départementale d’observation et de surveillance (CDOS) signale au centre opérationnel de la gendarmerie un « blessé à la main arrachée »
À ce moment-là, impossible d’engager le moindre dialogue avec les gendarmes, comme nous l’ont rapporté plusieurs jeunes, dont les tentatives ont toutes échoué (à lire ici et là).
Face aux forces de l’ordre, certains se sont même assis en tailleur, refusant tout affrontement, comme le montre une vidéo tournée par le journaliste Clément Lanot (à voir ici). À 23 h 39, le nombre de jeunes est estimé à « 1 200 personnes ». « La tension monte, est-il précisé dans le rapport. Un VL [véhicule léger – ndlr] gendarmerie a été caillassé. »
À minuit trente, les gendarmes, rejoints par un quatrième escadron composé de 55 hommes, opèrent des « tirs nourris de grenades », ainsi qu’il est retranscrit dans le compte-rendu des opérations.
Alors que les premières interpellations ont lieu, l’usage de grenades lacrymogènes, de désencerclement et de GM2L, est fait massivement et sans interruption.
Un haut gradé de la gendarmerie nous explique que les grenades GM2L, qui remplacent les GLI-F4, à charge explosive, ont une composition pyrotechnique susceptible d’arracher un membre. Et comme nous l’avons indiqué dans un article (à lire ici), leur bouchon allumeur présente des dysfonctionnements qui ont contraint le ministère de l’intérieur à interdire leur lancer à la main, depuis le 1er juillet.
Ainsi que le prévoient les instructions du ministère de l’intérieur du 2 août 2017, lors de l’utilisation de la GM2L, après emploi, il faut « porter secours dès que l’environnement opérationnel le permet », « s’assurer de l’état de santé de la personne » et « la présenter à un médecin si nécessaire ».
À 2 h 45, les pompiers reçoivent les premiers appels pour un jeune dont la main a été arrachée. Quelques minutes plus tard, à 2 h 53, les gendarmes sont directement informés qu’un « individu [a été] blessé à la main » par leurs propres agents. Des gendarmes en civil se sont effectivement infiltrés au plus près des jeunes. Ils font partie de la cellule départementale d’observation et de surveillance (CDOS).
À 2 h 57, ces mêmes agents apportent des précisions au centre opérationnel : « blessé à la main arrachée ». Contre toute attente, les gendarmes ne prennent aucune décision, ni celle de porter assistance au blessé ni celle de procéder à son évacuation en sécurisant l’accès d’une ambulance.
La préfecture ne les autorisant à intervenir que pour les gendarmes, les pompiers sont toujours, à 2 h 59, bloqués au « au rond-point des Noës », sans pouvoir porter secours ni au jeune en urgence vitale ni à d’autres blessés, comme le signale le compte-rendu d’intervention.
En revanche, ainsi que le retranscrivent les gendarmes, à 4 h 22, leur passage a bien été sécurisé pour « trois gendarmes évacués par les pompiers ».
Rien n’a été fait pour secourir ce jeune homme. Néanmoins, les services de gendarmerie sont restés actifs pour fournir des renseignements le concernant.
Après avoir « constaté que parmi les manifestants, l’individu a été évacué »,à 4 h 53, « une patrouille actuellement au CH [centre hospitalier] Redon confirme l’hospitalisation d’un jeune homme qui est soigné pour une main qui a été arrachée ». Et son nom et prénom sont donnés mais « pas de lieu de naissance et pas de domicile pour le moment ». Quelques heures plus tard, son transfert dans un autre hôpital, près de Rennes, figure également dans le compte-rendu.
L’antenne GIGN de Nantes est prévue sur site à 14 h 30.
Compte-rendu des opérations du 18 et 19 juin à Redon, centre opérationnel de la gendarmerie.
La suite de ce rapport interpelle tout autant sur les moyens disproportionnés et les unités engagées pour interdire la tenue de cette free party.
Le samedi 19 juin, alors que le matériel a été installé et que, comme le signalent les gendarmes à 9 h 30, « le mur du son diffuse sans trop de puissance », deux hélicoptères sont réquisitionnés, l’un venant de Tours et l’autre de Rennes, pour survoler le site, « équipés de caméra transmission en direct », notamment pour relever les plaques d’immatriculation.
Le service de renseignement est lui aussi renforcé puisqu’à la cellule départementale d’observation succède à midi le groupe d’observation et de surveillance de Rennes. Un service plus aguerri et mieux doté.
Mais la démesure des moyens ne s’arrête pas là. « L’antenne GIGN de Nantes est prévue sur site à 14 h 30 ». Et effectivement, à 14 h 31, « 14 militaires » de cette antenne arrivent sur l’ancien hippodrome.
À Redon, les 14 militaires ont saccagé le matériel des jeunes teufeurs, ainsi que le montre la vidéo que nous publions.
Des militaires de l’antenne du GIGN de Nantes saccagent le matériel de la free party, Redon, 19 juin.
Outre l’antenne du GIGN, près de 11 escadrons de gendarmerie se sont relayés, venant notamment de Blois, du Havre, de Satory, de Pontivy ou de Cherbourg, ainsi que trois compagnies de CRS, dont celles de Mulhouse et de Saint-Brieuc.
Autre fait notable révélé par ces notes, le rôle particulièrement étrange joué par l’Agence régionale de santé (ARS). Alors qu’elle doit venir en soutien dans l’organisation des secours, l’ARS a tenu le rôle d’informatrice pour les gendarmes. Ainsi, le 19 juin, à 16 h 07, le centre opérationnel de la gendarmerie relaye « l’information de l’ARS » qui signale « la présence de teufeurs autour du centre de vaccination de Redon ». La suite du rapport précise qu’une « unité de gendarmerie locale » est sur place pour les contrôler.
Enfin, si le préfet est resté peu loquace sur la nature des blessures des gendarmes, ce compte-rendu précise qu’il y a « cinq blessés légers ». Trois autres sont également mentionnés pour un nez cassé, un orteil écrasé et une perte de connaissance. Contrairement au jeune amputé, tous ont pu être secourus.
Pascale Pascariello
• MEDIAPART. 8 juillet 2021 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/080721/redon-des-notes-de-gendarmerie-accablent-le-prefet-et-le-ministere
À Redon, « les jeunes n’ont plus de liberté »
À l’initiative de la population de Redon et d’organisations comme Amnesty et la Ligue des droits de l’homme, des centaines de personnes se sont rassemblées, samedi, pour dénoncer l’intervention des gendarmes des 18 et 19 juin, au cours de laquelle un jeune homme a eu la main arrachée.
Redon (Ille-et-Vilaine).– La pluie n’aura pas eu raison de leur détermination. Près de 300 personnes se sont retrouvées, à 11 heures, devant la sous-préfecture de Redon (Ille-et-Vilaine), pour exprimer leur colère et dénoncer les violences commises les 18 et 19 juin à l’encontre de 1 500 jeunes rassemblés pour une free party interdite dans un ancien hippodrome.
Sept heures durant, près de 400 gendarmes ont fait un usage massif de gaz lacrymogènes, de grenades de désencerclement et de GM2L (à composante pyrotechnique), ainsi que des lanceurs de balles de défense (LBD), pour empêcher que la fête ait lieu. Au cours de cette opération, un jeune a eu la main arrachée et plusieurs autres ont été blessés.
Afin de rappeler la violence de cette intervention, les débris de grenades retrouvés sur le site ont été déversés sur le sol.
© PP
« C’était le chaos, se remémore Clément, 20 ans, encore sous le choc de la nuit du 18 juin. Lorsque je suis arrivé, les gendarmes ne voulaient pas discuter. Ils nous ont tout de suite envoyé des lacrymos sans sommation, alors que certains étaient assis devant eux, les bras en l’air. »
Le jeune homme garde en mémoire cette main arrachée qu’il a vue, le « brouillard continu des gaz lacrymogènes rendant l’air irrespirable ». Les tremblements de sa voix trahissent l’émotion qu’il contient malgré tout, parce qu’il a « la rage. Celle d’avoir vécu une nuit d’horreur, de répression alors qu’[ils] voulai[ent] juste faire la fête ».
Ce charpentier, toujours profondément choqué, « pense sans cesse à celui qui a perdu sa main et aux bouleversements dans sa vie mutilée » : « Contrairement à ce qui a été dit, nous travaillons et tentons de nous construire un avenir. C’est inhumain et cela provoque un sentiment de colère. » Sans approuver les jets de cocktails Molotov qui ont pu être envoyés contre les gendarmes, Clément rappelle que c’était « en réponse à la violence des forces de l’ordre ».
Les mots lui semblent « bien vains » : « Ça ne suffit pas de dire que ça ne va pas. Comment allons-nous nous défendre et faire stopper cette répression ? C’est du fascisme qui n’en porte pas le nom mais c’est cela que nous vivons aujourd’hui. »
Rassemblement contre les violences policières à Redon, Ille-et-Vilaine, 26 juin 2021. © PP
« Le scandale est grand !, lance alors une habitante de Redon, du haut d’un petit muret qui fait office de tribune pour les prises de parole. Peut-on trouver normal que près de 2 000 jeunes en fête se trouvent confrontés à plus de 500 gendarmes, des jeunes qui ne font que vivre ce dont leur âge leur permet de profiter, ces jeunes qui n’ont plus d’avenir que des petits boulots précaires, ces forces de l’ordre souvent lâchées comme des meutes sans frein ni loi ? », interroge-t-elle.
« Le sous-préfet, dimanche matin, bien propre sur lui, se félicitait de l’ordre maintenu. […] C’est un choix vilement politique qui a prévalu. Juste avant des élections », poursuit-elle, avant d’appeler l’ensemble des « citoyens et citoyennes, de tous bords professionnels et politiques, à dénoncer cette attitude des pouvoirs en place qui privilégient la répression brutale à la négociation, et surtout à l’éducation ».
Pascal lors du rassemblement contre les violences policières à Redon (Ille-et-Vilaine), 26 juin 2021. © PP
C’est aussi « une question de classe sociale », commente Pascal, 29 ans, habitant à quelques kilomètres de Redon. « Que vous soyez riche ou pauvre, vos droits ne sont pas les mêmes et le gouvernement ne vous réserve pas le même sort », constate-t-il en prenant l’exemple de la fête « de musique électronique organisée à l’Élysée, le 21 juin, alors que les jeunes qui l’ont faite le 18 juin dans un champ à Redon se sont fait gazer et que ceux qui étaient dans la rue le 21 juin, à Nantes ou Paris, ont eu droit aux matraques ». Sans activité professionnelle, Pascal donne de son temps à différentes associations en tant que bénévole.
« Je suis au service des autres. Ce qui me paraît d’autant plus important dans les heures qu’on vit actuellement. On ne peut plus vraiment parler de démocratie. J’ai moi-même un profond dégoût du gouvernement et de l’institution policière », concède-t-il. Cela n’a pas toujours été le cas, puisqu’il y a quelques années, il a voulu entrer dans la police. « Mais en préparant les concours, j’ai déchanté en découvrant un système surtout répressif. On est loin de la notion de “police secours”, celle pour laquelle je respectais encore ce métier. »
Lire aussi
Pascal trouve d’un « cynisme terrible » l’intervention des forces de l’ordre sur cette free party organisée « en hommage à Steve [Maia Caniço], décédé lorsque les policiers ont chargé une fête sur les quai de la Loire à Nantes. Et là, que font-ils ? Ils refont la même chose. Et un jeune a une main arrachée ».
Difficile pour ce bénévole de « respecter la police. Surtout lorsqu’on voit un préfet faire des déclarations contradictoires pour ne pas assumer la casse du matériel ».
Rassemblement contre les violences policières à Redon, Ille-et-Vilaine, 26 juin 2021. © PP
Le 19 juin, vers 17 heures, les gendarmes sont intervenus à nouveau, sur l’ancien hippodrome, pour saccager à coups de masse et de matraque les enceintes et les tables de mixage prévues pour la fête. Aucune demande en ce sens n’a été faite par le procureur de la République de Rennes, Philippe Astruc, qui a tenu à précisé auprès de plusieurs médias, dont Mediapart, que « les gendarmes ont procédé sur instruction du parquet à la saisie conservatoire d’une platine, trois tables de mixage et trois amplificateurs. Les recherches pour identifier les propriétaires de ces biens se poursuivent. Aucune instruction du parquet de Rennes n’a été donnée au-delà ».
Seuls les articles 41-4 et 41-5 du code de procédure pénale prévoient la destruction de biens, dans des cas bien particuliers (par exemple lors des saisies de produits stupéfiants). Le code de la sécurité intérieure encadre, quant à lui, la saisie du matériel des rave parties, mais ne notifie, en aucun cas, sa destruction.
C’est donc en toute illégalité que les gendarmes ont agi le 19 juin. Le préfet d’Ille-et-Vilaine Emmanuel Berthier s’est empêtré dans des communiqués contradictoires. Après avoir nié l’ordre de destruction, il a finalement reconnu avoir demandé à ce que le matériel soit saisi et rendu « inopérant ».
Mais la responsabilité du préfet n’est pas la seule pointée du doigt. C’est également au ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin que plusieurs associations demandent des comptes. Lors de leurs prises de parole, Patrick Rothkegel et Mireille Spiteri, représentants de la Ligue des droits de l’homme de Rennes et de Redon, ainsi que Pascal Trochet, secrétaire général du syndicat Solidaires 35, ont rappelé que « Gérald Darmanin devra[it] rendre des comptes ».
Rassemblement contre les violences policières à Redon, Ille-et-Vilaine, 26 juin 2021. © PP
Ils ont convié l’ensemble des jeunes à venir déposer leurs témoignages auprès de l’Observatoire rennais des libertés publiques (Orlib), qui fera « tout pour que la vérité soit faite sur les violences commises par les forces de l’ordre », observatoire qui, dès le 22 juin, a interpellé dans un courrier que nous avons publié (à lire ici) le ministre de l’intérieur et le préfet d’Ille-et-Vilaine.
Amnesty a également annoncé l’envoi d’un courrier au ministre de l’intérieur « pour qu’une enquête impartiale et indépendante soit menée », précise Marie-Françoise Barboux, secrétaire générale d’Amnesty-Rennes. « Cette opération des forces de l’ordre ne semble ni légitime ni proportionnée, poursuit-elle, avec le recours à des armes de guerre, dont les grenades explosives et les LBD, dont nous ne cessons de demander l’arrêt en France. »
Françoise et Edwige, lors du rassemblement contre les violences policières à Redon (Ille-et-Vilaine), 26 juin 2021. © PP
Collée l’une contre l’autre sous leur parapluie, Françoise et Edwige tentent de « se réchauffer et de retrouver un peu le moral ». Rejointe par Noé, son fils de 27 ans, Françoise est « inquiète ». « Les jeunes n’ont plus de liberté », s’énerve-t-elle. Les larmes la submergent lorsqu’elle pense « à ce jeune qui a perdu une main ». « C’est insoutenable. Ça aurait pu être mon fils. Quel avenir leur réserve-t-on ? »
Son fils, Noé, rappelle que ces fêtes sont « gratuites pour une jeunesse qui ne roule pas sur l’or et qui rêve d’autre chose que des discothèques ou de consommer ». Mécanicien, il se rend régulièrement dans des free parties, « qui s’organisent dans des lieux qui ne dérangent personne, en plein air, dans des friches par exemple ». « Il y a une cohésion qui se crée dans ces fêtes auxquelles on a encore accès, contrairement aux gros festivals de musique qui coûtent cher. »
Depuis trois ans, il constate que le dialogue avec les autorités est « toujours plus difficile » : « [Cela] crée des situations de plus en plus dangereuses pour nous. Ils nous mettent en danger au lieu de nous protéger. »
Enseignante à la retraite et grand-mère de trois petits enfants, Edwige est remontée de « voir comment on casse une jeunesse » : « On veut en faire des moutons qui consomment sans réfléchir en leur réservant des boulots précaires. C’est cela l’avenir qu’on veut pour nos enfants ? »
Elle ne se résout pas à devoir un jour dire à ses « petits-enfants qu’ils n’auront plus le droit de danser » : « Et pour cela, je soutiendrai jusqu’au bout toutes les procédures qui seront engagées pour faire la lumière sur ce qu’il s’est passé à Redon. »
À quelques mètres de là, Jean-Marie, 60 ans, et sa fille Lena, 19 ans, sont venus apporter leur soutien à « ce jeune qui a perdu sa main et à ces jeunes qui ont simplement voulu faire la fête » .
Sans être un fan de la musique « électronique », c’est parce que « la situation n’est plus acceptable et que le niveau de violence a atteint un degré plus qu’inquiétant » que cet ingénieur agricole, habitant de Redon, s’est joint au rassemblement. « C’est terrible pour ma génération de voir qu’on est en train de taper sur la gueule de notre jeunesse. Une société qui fait cela va très mal. »
Peu coutumier des manifestations, Jean-Marie constate qu’après le droit à manifester, c’est « le droit de faire la fête et de s’exprimer pour toute une jeunesse qui est remis en question ».
À ses côtés, Christine, 50 ans, a eu peur pour son fils le soir du 18 juin. « Il va souvent à des fêtes comme celle-ci et j’ai attendu des heures avant d’avoir de ses nouvelles. Par chance, il n’y était pas. Et voilà où nous en sommes arrivés, à avoir peur que nos enfants aillent faire la fête », regrette-t-elle. Témoin d’une mutilation lors d’une manifestation à Bordeaux, son fils ne va plus « manifester. Désormais il ne va plus aller dans ces fêtes qui étaient encore des espaces de liberté, quoi qu’on en pense ».
Mais à ces mots, Jean-Marie tente de « combattre la peur » : « Nous ne devons pas vivre terrorisés. C’est toute la difficulté de cette époque où le gouvernement entretient ce climat de peur. C’est très dangereux. »
Pascale Pascariello
• MEDIAPART. 26 juin 2021 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/260621/redon-les-jeunes-n-ont-plus-de-liberte