Au moment où nous écrivons, les terribles inondations qui ont frappé la Belgique, une partie de l’Allemagne et les Pays-Bas ont fait plus de cent morts. Des dizaines de milliers de gens ont dû être déplacés, ont tout perdu et resteront traumatisés à jamais. D’autres n’ont même pas eu cette « chance », hélas, et le grand nombre de personnes disparues (1300 en Allemagne) ne laisse malheureusement pas de doute : au final, le bilan macabre sera beaucoup, beaucoup plus lourd. Les dégâts matériels sont immenses, sans parler des impacts en termes de pollution des eaux et des sols (par les hydrocarbures, les métaux lourds, les PCB, les plastiques, les eaux d’égout, etc.).
Voilà à quoi ressemble le changement climatique
Il est pratiquement certain que cette catastrophe est une manifestation des changements climatiques provoqués par les émissions de gaz à effet de serre (dues principalement à la combustion des combustibles fossiles). A la limite, s’il s’agissait d’un événement isolé, le doute serait permis. Mais il ne s’agit pas d’un événement isolé, bien au contraire.
Primo, ces pluies exceptionnelles font suite à deux années de canicules et de sécheresse tout aussi exceptionnelles (rappel : la canicule de 2020 a fait 1400 morts en Belgique…).
Secundo, le fait que ce déluge en Europe occidentale coïncide avec une vague de chaleur meurtrière et sans précédent au Canada (Colombie britannique) n’est pas le fruit du hasard : il est fort probable que les deux phénomènes sont liés et découlent de la perturbation du jet stream circumpolaire (des vents puissants qui tournent à haute altitude autour du pôle).
Tertio, la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes (tempêtes et cyclones plus violents, vagues de chaleur et vagues de froid plus intenses, sécheresses et incendies sans précédent, pluies, inondations et coulées de boues…) est indiscutable et correspond parfaitement aux conséquences du réchauffement telles qu’elles sont projetées par le GIEC depuis son premier rapport… il y a plus de trente ans.
Les gouvernements ont ignoré les avertissements de la météo
Les services météorologiques des pays concernés avaient diagnostiqué la présence au-dessus de nos régions d’une « goutte froide » - une dépression isolée et stable, associée à une masse d’air froid. On sait que ce genre de phénomène provoque des précipitations abondantes. On sait que celles-ci peuvent durer plusieurs jours, vu que la dépression est stationnaire. Dans ce cas-ci, la menace était d’autant plus sérieuse que la « goutte froide » était entourée d’énormes masses d’air chaud, chargées de grandes quantités de vapeur d’eau. En tournant autour de la dépression, cette vapeur d’eau ne pouvait que se condenser et tomber en pluie.
L’avertissement avait été lancé par les météorologues et les hydrologues : un événement exceptionnel se préparait. Les deux-trois jours avant le début du déluge auraient pu/dû être mis à profit pour analyser la menace, prendre des mesures d’urgence, mobiliser la protection civile et l’armée, avertir la population, évacuer les habitations les plus menacées. Cela n’aurait pas empêché les inondations, mais les dégâts auraient été limités et, surtout, on aurait évité des pertes humaines. L’expérience de Cuba avec les cyclones le confirme : la prévention fait la différence. Mais ici, rien n’a été fait. Une fois de plus (comme face au COVID19 !), les mises en garde ont été ignorées.
Les raisons sont chaque fois identiques : les gouvernements ont le nez dans le guidon de l’économie, leur priorité est « la compétitivité » des entreprises, ils refusent d’intégrer le fait que l’humanité est entrée dans la catastrophe climatique (en Belgique, tandis que les nuages s’accumulaient, une partie de la « classe » politique trouvait même plus important de diffuser des ragots sur les liens entre Mme Haouach et les Frères musulmans).
Un faisceau de facteurs structurels aggravants
Outre cette impréparation, l’ampleur des inondations et de leurs conséquences a été démultipliée par une foule de facteurs structurels d’ordres divers. Citons en vrac : les restrictions budgétaires (à la protection civile et chez les pompiers, notamment - merci Jan Jambon !) ; le bétonnage des sols (il empêche le percolage des eaux) ; la rectification des ruisseaux et l’assèchement des zones humides (elles jouent le rôle d’éponge) ; l’étalement urbain ; la gestion des eaux pluviales (envoyées à l’égout, elles passent par les stations d’épuration avant de grossir les cours d’eau) ; la spéculation foncière (elle incite à construire en zones inondables) ; la politique agricole (l’encouragement aux grandes exploitations en monocultures) et les pratiques culturales (labour profond, absence de couverture des sols, disparition des haies).
Sur tous ces plans, d’indispensables mesures de prévention auraient dû être prises depuis des années - et devront l’être sans délai pour éviter de nouveaux drames. Mais ce qu’on appelle « l’adaptation" nécessaire à la part irréversible du changement climatique ne doit pas servir à éviter le fond du problème : le climat lui-même. Il faut sortir au plus vite des combustibles fossiles et, pour cela, il ne suffit pas d’augmenter la part des renouvelables : il faut rompre avec le productivisme capitaliste, changer complètement de mode de production, de consommation et de relation avec la nature, et le faire selon un plan public.
Un prêt de 2500 Euros par ménage, c’est une insulte aux victimes
Le gouvernement décrète un jour de deuil national, appelle à la solidarité et à l’unité, mais, par ses déclarations, il maintient dans l’ignorance la partie de la population qui n’est pas consciente du changement climatique. Le premier ministre belge a évoqué un événement « exceptionnel, sans précédent ». Or, le fond du problème est que, avec le réchauffement, « l’exceptionnel » devient la règle, le « sans précédent » devient banal.
On voit bien ici le lien entre « savoir » et « pouvoir » : souligner le caractère « exceptionnel » des inondations sans parler du climat permet aux politiques de garder le monopole des décisions tout en fuyant leurs responsabilités. Sans le dire explicitement, ils font passer l’idée que la catastrophe est « naturelle », alors qu’elle ne l’est pas.
Il va de soi que ce discours fait le jeu des climato-négationnistes (représentés au gouvernement par le MR David Clarinval, vice-premier ministre, comparse négationniste de Drieu Godefridi et de feu Istvan Marko) ((Le président du MR, GL Bouchez, a cru bon de s’insurger contre le lien fait par « certains » - notamment le climatologue JP van Ypersele - entre les inondations et le réchauffement)). Mais toutes les tendances politiques au pouvoir ont un certain intérêt à tenir ce discours. Parler de « catastrophe naturelle » permet de balayer sous le tapis l’inaction climatique des coalitions successives.
Si les victimes avaient une idée claire de la responsabilité des gouvernements, le prêt de 2500 Euros par ménage sinistré (une décision du gouvernement wallon) leur apparaîtrait en pleine lumière comme une injustice de plus, une insulte aux victimes. Au lieu de ce prêt à rembourser, les populations sont en droit d’exiger une réparation digne de ce nom, financée par les entreprises, les banques et les actionnaires qui continuent envers et contre tout à investir dans les fossiles.
Inondés et assoiffés du monde entier, unissez-vous !
Au-delà de la solidarité impérieuse avec les sinistrés, il faut tirer les leçons de la tragédie et la leçon N°1 est que l’heure est grave, qu’il n’y a plus une minute à perdre. Les mesures les plus énergiques doivent être prises d’urgence pour arrêter la catastrophe climatique, sans quoi cette catastrophe se transformera en cataclysme.
La leçon N°2 est que nous ne pouvons faire aucune confiance aux gouvernements : cela fait plus de trente ans qu’ils nous disent agir pour le climat et ils n’ont quasiment rien fait. Ou plutôt si, ils ont fait beaucoup : leur politique néolibérale d’austérité, de privatisations, d’aide à la maximisation des profits des multinationales fossiles et de soutien à l’agrobusiness nous a conduits au bord du gouffre. « Nous sommes tous dans le même bateau », disent les décideurs politiques. Non : au Nord comme au Sud, les riches s’en tirent et s’enrichissent à travers les catastrophes dont ils sont les principaux responsables (les 10% les plus riches émettent plus de 50% du CO2 global). Les classes populaires paient la note qui sont confrontées à la fois à l’aggravation du réchauffement et à l’approfondissement des inégalités sociales.. Les plus pauvres la paient doublement, triplement quand ils n’ont d’autre solution que de migrer au péril de leur vie, dans l’espoir légitime d’une vie meilleure. Le changement climatique est une question de classe.
La leçon N°3 est que toustes celles et ceux qui sont victimes de cette politique - les petit.e.s paysan.ne.s, les jeunes, les femmes, les travailleurs/euses, les peuples indigènes - doivent s’unir, par-delà les frontières. Rien ne distingue les pauvres gens qui pataugent dans l’eau à Pepinster ou à Verviers des pauvres gens qui pataugent dans l’eau à Karachi ou à Dacca (1/3 du Bangladesh sous eau en 2020 suite à la perturbation de la mousson par le changement climatique !). Ne tombons pas dans le panneau du gouvernement, qui poussera le cynisme jusqu’à profiter des inondations pour détourner l’attention des sans papiers en grève de la faim à Bruxelles depuis plus de 50 jours, alors qu’ils sont en danger de mort.
Le non-dit criminel de l’UE : le « dépassement temporaire » du 1,5°C
Dans les prochains jours, on entendra les gouvernants jurer la main sur le cœur que les inondations dramatiques les confortent dans leur volonté de verdir le capitalisme, que l’Union Européenne est à l’avant-garde et que tout irait mieux si les autres pays du monde suivaient son exemple. La leçon N°4 est de ne pas laisser les gouvernements nous endormir avec ce discours. Le capitalisme vert est un leurre.
Le plan climat de l’Union Européenne est truffé de fausses solutions (planter des arbres), de tours de passe-passe (ne pas comptabiliser les émissions du transport aérien et maritime mondial), de technologies dangereuses (la capture-séquestration du carbone, le nucléaire, les cultures énergétiques sur des millions d’hectares), de nouvelles injustices coloniales vis-à-vis du Sud (les « compensations carbone », les taxes aux frontières de l’UE), et de nouvelles mesures de marché antisociales (le paiement de droits d’émission du carbone dans les secteurs de la construction et de la mobilité, que les entreprises répercuteront sur les consommateurs/trices).
Le vrai but de ce plan est de tenter la quadrature du cercle : combiner la croissance capitaliste et la stabilisation du climat. Son non-dit est le projet insensé d’un « dépassement temporaire » du seuil de 1,5°C de réchauffement, compensé ultérieurement par un hypothétique « refroidissement » technologique de la planète.
Provoquées par un réchauffement de 1,1°C, les inondations en Belgique et en Allemagne, ainsi que les autres catastrophes aux quatre coins du globe, laissent imaginer les conséquences cauchemardesques de ce « dépassement temporaire ».
Le 10 octobre prochain, à Bruxelles, faisons de la manifestation pour le climat un raz-de-marée populaire en faveur d’une autre politique. Une politique du bien commun, une politique démocratique et sociale pour satisfaire les besoins humains réels, une politique prudente et aimante de soin sans frontières aux personnes et à notre mère la Terre.
Daniel Tanuro